Marc Madiot, 40 ans plus tard, les pavés toujours au coeur


12 Apr 2025 - Le Figaro
Jean-Julien Ezvan

« Il faut avoir envie d’être là. Et il ne faut pas se laisser prendre par l’événement. Il ne faut pas tomber dans une espèce d’euphorie ou d’enthousiasme. Paris-roubaix, c’est le coeur, les tripes, l’émotion. C’est la hargne. On n’est pas là pour être gentils » Marc Madiot Double vainqueur de Paris-roubaix (en 1985, photo ci-dessus, et en 1991) et manager de l’équipe Groupama-fdj

Le 14 avril 1985, la boue recouvre les secteurs pavés de Paris-roubaix. Les larges flaques d’eau s’étalent comme des miroirs déformants. Les coureurs, crottés, portent la douleur sous d’épais masques. Marc Madiot, maillot Renault-elf maculé, langue tirée comme un élève appliqué, se joue des pièges, des ornières, de ses rivaux, fonce vers le succès, son destin. Son équipier Bruno Wojtinek complète la fête (2e). Suivent Sean Kelly et Greg Lemond. Adrie van der Poel (le père de Mathieu) termine 9e.

« La première fois que j’ai vu des pavés, c’était quand je l’ai gagné en amateur (en 1979). J’ai tout de suite senti que c’était un endroit où tu étais en combat permanent avec toi-même. Il y a les autres autour, mais tu te révèles à toi-même. C’est un exercice de volonté. C’est la façon dont tu vas appréhender mentalement le sujet qui est importante », résume le Mayennais qui, en 1991 remporte une seconde fois l’épreuve en solitaire (avec le maillot RMO). Cette année-là, à son retour à Renazé, son fan-club lui a fait la surprise d’inviter son idole, Luis Ocaña. Marc Madiot n’a rien oublié de la soirée, de la coupe de champagne partagée dans un canapé qui entretient la légende.

Sur cette course fil rouge, il accompagne ensuite Frédéric Guesdon (le dernier lauréat français de «l’enfer du Nord », en 1997) en tant que patron d’équipe. Alors, quand le printemps s’éveille, Marc Madiot, manager de l’équipe Groupama-fdj, repart en campagne. Le coeur battant. Il y a quelques années, il n’hésitait pas, en santiags, à montrer à ses coureurs sur le vélo comment caresser le pavé sur certaines portions lors de la reconnaissance des secteurs clés de la « Reine des classiques ».

«C’est une course brutale»

Paris-roubaix, un aimant dégageant une force d’attraction que les années n’altèrent pas. Marc Madiot sent monter l’événement. La « dure des dures » s’esquisse, le décor s’installe, la fascination le saisit comme une morsure, il livre : «C’est une épreuve physique, psychologique. Tu sais que tu pars dans une aventure. Paris-roubaix, c’est une course d’endurance, une course brutale. Tu as rendez-vous avec toi. À la fin, tu sais un peu mieux qui tu es. On ne peut pas tricher, on ne peut pas mentir sur une journée comme ça. Tu peux toujours mentir à ton entourage, tu peux toujours mentir aux journalistes, mais, à toi, tu ne peux pas te mentir si tu ne mets pas la poussière sur le tapis. Est ce une course qui fait peur ? Non. Sauf si la vérité te fait peur. »

Il ajoute, au sujet de cette course extrême qui prône l’engagement et l’humilité : « Si tu es prêt dans tes jambes et dans ta tête, la pluie ou le sec, cela n’a pas d’importance. Pendant longtemps, je préférais la pluie. Non pas parce que j’étais meilleur, mais parce que je pensais que ça en éliminait déjà la moitié. Il n’y a pas d’art de passer sur les pavés. C’est d’abord une question d’envie. Tu as envie ou tu n’as pas envie. Si tu n’as pas envie, tu es sur le frein à main. Et quand tu es sur le frein à main, tu n’avances pas. Il faut avoir envie d’être là. Et il ne faut pas se laisser prendre par l’événement. Il ne faut pas tomber dans une espèce d’euphorie ou d’enthousiasme. Paris-roubaix, c’est le coeur, les tripes, l’émotion. C’est la hargne. On n’est pas là pour être gentils. »

Sur Paris-roubaix, Marc Madiot a tout connu. Le vertige et la chute. « La dernière fois que je suis tombé (en 1994), j’ai senti que j’allais me faire mal. J’étais en paix avec moi-même. Je savais que c’était le mot fin. Je suis monté dans l’ambulance. Je suis allé à l’hôpital. J’ai demandé à voir la télé. J’étais sur mon lit. Avec le maillot et le cuissard déchirés. J’ai regardé la fin de la course. Mon frère est venu me chercher avec Alain Gallopin. On est rentrés à Paris. J’étais très calme, très serein. Je savais que c’était fini. C’est incroyable. J’étais bien. Il était temps. C’était le moment. Ce n’était pas un hasard que ce soit là. »

La beauté du diable

Son sang bout quand il hume l’ambiance unique de la séquence, celle des classiques flandriennes, qui s’étire du Het Nieuwsblad (1er mars) jusqu’au soir de Paris-roubaix : « Toute cette période typée flamande me stimule. C’est un moment particulier dans la saison qui ne ressemble pas au reste. C’est un cyclisme qui reste brutal, qui est historique, qui a une vraie raison d’être. Les autres courses sont sur la route, normales. Un coup, on va dans le désert. Un coup, on va en Italie. Un coup, on va en Belgique, en Espagne ou en France. Là, c’est l’endroit où les gens sont les plus connaisseurs du cyclisme. Il y a un côté sacré du coureur que tu as du mal à trouver ailleurs. Oui, il y a un côté sacré… »

Dimanche, il plongera un regard intense dans les yeux de ses coureurs, respectera leur silence, puis déclamera son amour de la course lors d’un discours toujours émouvant. Après, ils se mettront au service du Suisse Stefan Küng (3e en 2022, 5e en 2023 et 2024). Lui vibrera au rythme des trépidations, des secousses et des soubresauts d’une journée qui sera marquée par les débuts de Tadej Pogacar pour un duel attendu avec Mathieu Van der Poel. « Il a bien raison d’y aller. Sinon, il l’aurait regretté longtemps. Est-ce qu’il prend des risques ? Non. Il a pris autant de risques sur les Strade Bianche. Il en a pris autant dans la descente de la Cipressa ou du Poggio (sur Milan-san Remo). Van der Poel ? C’est un sniper. Il ne met jamais la balle à côté. Encore plus en maîtrise qu’auparavant. Il est le sommet de son art. Sur le papier, il y a un petit cran au-dessus pour ces deux-là. Après, la course fera que ce sera peut-être autrement. Entre eux, c’est la forme du joueur qui fera aussi la différence. Je pense que Pogacar aura besoin d’être à 100 % pour gagner. Et idem pour van der Poel. Celui qui sera à 95 % sera battu. Deux monstres sacrés… Ça va avoir un piment vraiment spécial. »

Dans ce contexte, le 40e anniversaire de sa première victoire se faufile comme un détail : « Je ne suis pas très anniversaire… J’ai retrouvé les deux pavés (remis au vainqueur, NDLR) il n’y a pas très longtemps, enfouis au fond d’un carton. Je n’ai jamais revu les images de 1985. J’ai revu 1991 pendant le Covid parce qu’un jour ça a été programmé et j’ai regardé avec mon fils. Je n’ai pas de nostalgie. Je suis dans le présent. »À Beuvry-la-forêt à côté d’orchies, il traversera un secteur pavé qui porte son nom. Cette course qui a la beauté du diable, Marc Madiot (65 ans) la rangera ensuite en sachant qu’il la retrouvera. Intacte. Hostile. Attachante. Unique. La course de sa vie…

Commenti

Post popolari in questo blog

Dalla periferia del continente al Grand Continent

Chi sono Augusto e Giorgio Perfetti, i fratelli nella Top 10 dei più ricchi d’Italia?

I 100 cattivi del calcio