AUX ORIGINES DU MYTHE


Les capitaines Robert Jonquet (Reims) et Miguel Munoz (Real Madrid) au 
Parc des Princes le 13 juin 1956 avant le coup d’envoi de la finale.

Il y a soixante-dix ans, dans les salons de l’hôtel Ambassador à Paris, « L’Équipe » organisait la réunion de lancement de la Coupe d’Europe des clubs qu’elle venait d’inventer. Le monde du foot en a été changé à jamais.

“La vie du football international exige d’être adaptée 
sans tarder au rythme de cette époque et à ses progrès''
   - JACQUES DE RYSWICK, ALORS PATRON DE LA RUBRIQUE 
     FOOTBALL DE « L’ÉQUIPE », DANS L’ÉDITION DU 16 DÉCEMBRE 1954

“C’est une chose bien touchante que d’assister à la naissance 
d’un enfant qu’on a conçu et auquel sont donnés seize pères''
   - JACQUES GODDET, FONDATEUR DE « L’ÉQUIPE », 
     DANS L’ÉDITION DU 4 AVRIL 1955

Sous la pression, l’UEFA acceptera finalement d’assumer la charge de l’organisation de la Coupe d’Europe

4 Apr 2025 - L'Équipe
VINCENT DULUC

Au commencement de la Coupe d’Europe de football était L’Équipe. Héritier de L’Auto, qui avait inventé le Tour de France en 1903, ce journal avait un peu plus de 8 ans, en décembre1954, quand il a lancé l’idée qui a révolutionné le sport européen. L’Équipe a fait beaucoup plus qu’en suggérer la création: il en a porté inlassablement le projet, pendant l’essentiel de la saison 1954-1955, en a rédigé le règlement et a invité les premiers clubs participants à une réunion de lancement à Paris, les 2 et 3 avril 1955, il y a soixante-dix ans, avant d’aller convaincre la FIFA d‘obliger l’UEFA naissante à faire son boulot, au-delà de ses réticences.

Il y a deux manières complémentaires de raconter le début de l’histoire. Le récit classique, d’abord, avec le match amical Wolverhampton-Budapest Honved (3-2), le 13 décembre 1954, et les événements qui s’ensuivirent. Un récit moins classique, mais très assumé, souligne un autre aspect de cette grande invention sportive et philosophique, par le rappel de ces mots de Jacques Goddet, le patron de L’Équipe, dès 1947: « Servir le sport, c’est commencer par servir notre propre cause. Toutes les entreprises conduites par L’Équipe ont en effet pour objectif de nous faire vendre du papier. »

L’Auto a inventé le Tour de France pour vendre le journal pendant l’été, et L’Équipe la Coupe d’Europe pour remplir les creux des milieux de semaine. Mais ce n’est pas le souci de Gabriel Hanot. Quand le leader de la rubrique foot prend son petit déjeuner dans sa chambre d’hôtel anglaise, le 14 décembre 1954, au lendemain du match amical Wolverhampton-Honved, quelque chose ne passe pas.

La presse anglaise et le manager des Wolves, Stan Cullis, considèrent l’horizon assez nettement: «Les Wolves sont maintenant champions du monde», titre même David Wynne-Morgan, dans le Daily Mail .Hanot ne va pas tarder à demander les sténos, là-bas, à Paris, au Faubourg Montmartre. A-t-il écrit son papier? Il avait la réputation d’improviser, et il avait tellement l’habitude de dicter qu’il lui arrivait de dire «virgule» au milieu d’une phrase quand il prononçait un discours.

Dans ce papier, il explique le contexte, la fin d’une longue tournée pour Honved, qui abrite la majorité de l’équipe de Hongrie qui a gagné à Wembley (6-3) un an plus tôt, dans l’un des matches les plus célèbres de l’ histoire du football mondial, et qui a encore dansé sur les inventeurs du jeu en mai à Budapest (7-1), avant de perdre la finale de la Coupe du monde 1954 face à l’Allemagne (2-3). Il y a là Puskas, Kocsis, Grosics, Lorant, Budai, Czibor et Bozsik, et ils sont cuits. Mais il y a aussi tout ce qui annonce la Coupe d’Europe à venir : Molineux a été le premier stade anglais équipé de projecteurs, le match a été retransmis en direct par la BBC, et les Wolves sont champions d’Angleterre en titre.

Hanot va annoncer son idée, mais sans roulement de tambour, en simple conclusion de son raisonnement. Il contredit le Daily Mail, en soulignant que Wolverhampton devrait aller jouer ses matches à l’extérieur pour que l’on puisse trancher, et la fin de son papier, historiquement la plus importante, ressemble à cinq lignes sur la pointe des pieds: «L’idée d’un Championnat du monde, ou, tout au moins, d’Europe des clubs, plus vaste, plus express if, moinsla route de l’ Europe centrale, et plus original qu’un Championnat d’Europe des équipes nationales, mériterait d’être lancée. Nous nous y hasardons. » « Route », c’était une coquille, il avait dicté «Coupe», tant pis pour les lignes fondatrices d’un papier qui a fait plusieurs fois le tour du monde, depuis, et qui était en page 10 de L’Équipe du 15 décembre 1954.

Le lendemain, en bas de page 6, Jacques de Ryswick, le patron de la rubrique football, détaille le projet de L’Équipe. Il y a presque tout dans le sous-titre de son article : «Un représentant par fédération, match es aller-retour en milieu de semaine et en nocturne, patronage éventuel de la télévision internationale .» Les arguments de Ryswick sont remarquablement clairs et visionnaires : la télévision arrive, les stades sont de plus en plus éclairés, les transports aériens se développent, tout le monde cherche de nouvelles recettes. Il conclut : « Pourquoi pas dès la saison prochaine ? (…) La vie du football international exige d’être adaptée sans tarder au rythme de cette époque et à ses progrès.»

Futur patron de France Football, plume majeure du foot au quotidien jusqu’ à sa retraite en 1985, au lendemain du Heysel, qui aura été un noir crépuscule pour un visionnaire des on rang, Jacques Ferran a 34 ans, alors, et rédige à la main le premier règlement de cette Coupe d’Europe. Il léguera ses six feuillets sur papier jaune, écrits de sa calligraphie régulière et dense, à l’UEFA, qui les a perdus, aux dernières nouvelles. Il les publie le 3 février 1955 dans L’Équipe, et comme le nom du journal l’indique, il y a là une paternité collective, mais parfois chatouilleuse.

Dans les années 1980, Jacques Goddet écrira ce mot à Gérard Ernault, alors patron du foot: «Mon vieux, je suis désolé de n’avoir pas lu mon nom sous la plume d’un de vos collaborateurs, que je ne connais pas et qui évoquaitl’ histoire des Coupes d’ Europe. Rendez à Gabriel Hanot et à Jacques Ferran ce qui leur revient. Rendez-le aussi à Jacques Goddet.» Les mêmes qui ont inventé la Coupe d’Europe ont également inventé le Ballon d’Or, la plus grande récompense individuelle au monde. Sur son berceau, a priori, les mêmes pères, le même quatuor : Gabriel Hanot et les trois Jacques, Goddet, Ferran et Ryswick. «Imagination commune et élucubrations collectives», dira Ferran.

Mais la Coupe d’Europe reste à organiser, et L’Équipe doit s’occuper de tout. Les 2 et 3 avril 1955, le journal réunit l’Europe du football à Paris, dans les salons de l’hôtel Ambassador, boulevard Haussmann. L’actualité, pour le quotidien, est ailleurs : le dimanche 3, il y a un France-Suède à Colombes (2-0). Le samedi 2 avril, un simple encadré annonce: «Aujourd’hui, jour 1 de la Coupe européenne interclubs. » L’édition du lundi 4 avril donnera le résultat des débats, en milieu de une, loin des gros titres : « Coupe d’Europe des clubs : OK ! »

À l’intérieur, dans la même page que l’haltérophilie, on peut lire: «La Coupe d’Europe des clubs est née dans l’allégresse.» Goddet écrira: «C’est une chose bien touchante que d’assister à la naissance d’un enfant qu’on a conçu et auquel sont donnés seize pères.» À l’Ambassador, sont réunis L’Équipe, le vice-président du Groupement, l’ancêtre de la Ligue, Ernest Bédrignans, qui va apporter une caution officielle et diriger les débats ès qualités, et quinze clubs européens, dont Chelsea, qui renoncera l’été venu. Le Real Madrid est représenté par Santiago Bernabeu et Raimundo Saporta, le football hongrois par Gusztav Sebes, le sélectionneur de la grande Hongrie, qui avait été ouvrier chez Renault à Billancourt. Jacques Goddet ouvre la séance, remercie les clubs, et laisse le Groupement diriger la réunion. Il est accompagné de Robert Thominet, administrateur de L’Équipe, Jacques Ferran et Jacques de Ryswick. Mais Gabriel Hanot n’est pas là. Jacques Ferran racontera: « Il en invente et en répand l’idée et la soutient tant qu’elle a besoin de lui. Mais quand s’ouvrent les négociations terminales, on ne le voit plus, on ne l’entend plus. Seul le passionne le jeu.»

Les clubs acceptent les principes rédigés par L’Équipe: 16 clubs, matches allerretour, tirage au sort à partir des quarts de finale, finale 1956 à Paris, en nocturne. Il est décidé de nommer Ernest Bédrignans à la présidence de la commission exécutive, mais l’entrée en lice de l’UEFA éteindra la structure et le dirigeant perdra même son siège au Groupement aux élections de juin 1956. Le 4 avril, dans L’Équipe, un regret en encadré, en petit, en bas de page: «L’actualité brûlante de la fin de saison et du début de celle-ci ne nous a pas permis de donner à la Coupe d’Europe toute l’ampleur qu’aurait méritée cette création.»

L’oeuvre n’est pas achevée. Un mois plus tôt, début mars, la veille du premier congrès de l’UEFA à Vienne, le comité exécutif avait accepté de recevoir Hanot et Ferran, mais en leur répondant que l’UEFA ne pouvait «s’engager à la place de chaque fédération ». D’où la réunion décisive organisée par L’Équipe à Paris. Jacques Goddet fait sculpter le premier trophée, avec de moins grandes oreilles, mais qui appartient bien à la même famille. Très vite, chacun comprend que les clubs ne peuvent pas organiser eux-mêmes la compétition, puisque d’autres participeront les années suivantes, et que L’Équipe ne le peut pas non plus, évidemment.

Le 8 mai, à Londres, sous la pression du journal, la FIFA exige que l’UEFA s’en occupe, mais interdit que le mot «Europe» figure dans l’intitulé de la nouvelle compétition, le réservant aux sélections. C’est la raison même pour laquelle, aujourd’hui encore, sur la coupe aux grandes oreilles, on peut lire, en français, «Coupe des clubs champions européens».

Le 21 mai, à Paris, l’UEFA accepte enfin de l’organiser elle-même, et adopte le trophée offert par L’Équipe. L’histoire n’est pas en marche, elle file. Un an plus tard, le 14 juin 1956, en recevant Santiago Bernabéu et le Real dans les locaux du journal, au 10 rue du Faubourg-Montmartre, le lendemain de leur première victoire en C1 face à Reims (4-3), Jacques Goddet glissera au grand dirigeant espagnol: «Prenez-en soin, c’est l’enfant de l’amour. » Il s’est un peu émancipé, depuis, il a vécu une vie mouvementée, mais, franchement, il ne fait pas ses 70 ans.

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S.Bu.
DU REAL AU REAL

1955-56 

Première édition de la Coupe des clubs champions européens. 16 clubs invités dont 7 champions nationaux. Formule à élimination directe en confrontations aller-retour. En finale, sur un match simple, le Real Madrid domine le Stade de Reims (4-3).

1956-57
22 participants, tous champions nationaux sauf le Real Madrid, tenant du titre. Apparition d’un tour préliminaire. En cas d’égalité sur une double confrontation, un match d’appui. Augmentation ensuite des participants. Règle des buts à l’extérieur en 1969-70 puis des tirs au but en 1970-71.

1991-92
Apparition d’une phase de groupes avec confrontations allerretour entre 8 clubs répartis en deux groupes. Les deux vainqueurs en finale.

1992-93
La Ligue des champions remplace la Coupe des clubs champions européens. L’OM de Boli remporte cette grande première face à l’AC Milan (1-0).

1997-98
Huit vicechampions au 2e tour préliminaire. Six groupes de quatre. Les premiers et les deuxièmes en quarts, sur le même principe allerretour. L’année suivante, les 3e et 4e des meilleures nations à l’indice UEFA aussi qualifiés. 8 groupes de quatre équipes.

2024-25
Après le 15e titre du Real Madrid, nouvelle formule avec une phase de ligue de 36 équipes. Chaque club affronte 8 adversaires, les 8 premiers en 8es, ceux de la 9e à la 24e place en play-offs.

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