Gabriel Hanot, le grand oublié
À l’origine de la Coupe d’Europe, du Ballon d’Or, du professionnalisme en France et des diplômes d’entraîneur, ancien sélectionneur de l’équipe de France pendant qu’il était journaliste à « L’Équipe », Gabriel Hanot est l’un des personnages les plus impor
"Je me bats depuis 34 ans,
et je n’y arrive pas, il ne se passe rien"
- GAËL HANOT, PETIT-FILS DE GABRIEL HANOT
"Il était dur avec lui-même et aussi avec ses amis.
Il n’aimait pas la médiocrité"
- SON AMI RAYMOND DUBLY, 31 SÉLECTIONS EN BLEU
4 Apr 2025 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL VINCENT DULUC
TALLARD (HAUTES-ALPES) – En bas, c’est un restaurant au décor classique, la Pizzeria du château, dans une petite rue de Tallard, à vingt minutes au sud de Gap. Àl’étage,c’est encore la pizzeria, mais un musée occupe les murs, le musée d’un homme, Gabriel Hanot, qui a à peu près tout inventé dans le football français, mais dont la mémoire se perd, lentement.
Le patron du restaurant est Gaël Hanot, son petit-fils, qui s’est fixé la mission depuis plusieurs années de rendre à son grand-père la postérité qu’il mérite. «De nombreux journaux étrangers le placent là où il doit être, glisse-t-il, mais je ne comprends pas pourquoi la FFF et l’UEFA le cachent. J’ai appris que dans les sous-sols de l’UEFA, à Nyon (Suisse), il y avait une statue de lui. J’avais failli rencontrer Michel Platini, mais c’était juste avant l’affaire (*)… »
Les murs de l’étage donnent une mesure parcellaire mais fidèle d’une trace. Des photos, des coupures de journaux, quelques documents. Ce matin-là, Gaël Hanot, qui devait porter le même prénom que son grand-père et qui en a finalement conservé le début et la fin, a amené des souvenirs précieux conservés dans le coton d’une petite boîte en fer: des médailles, ainsi qu’une épingle à cravate en or du Real Madrid avec la Coupe d’Europe en relief. Il connaît toutes les traces publiques de son grandpère: jamais un livre sur lui, jamais un documentaire, une seule rue, à Arras, sa ville natale, « qui mène à un centre commercial », etseulementlestadeduvillaged’Alsaceoù il s’est éteint en 1968, à Wangenbourg-Engenthal, et où il était venu vivre avec sa seconde épouse, dans un chalet avec vue sur les sapins.
À l’origine, le Trophée des champions inventé par l’Union des journalistes portait son nom en hommage, mais la LFP a fini par balayer cette double trace. Ce matin de la semaine dernière, son petit-fils résume ce combat: « Je me bats depuis 34 ans, et je n’y arrive pas, il ne se passe rien. Si on regarde son oeuvre et ce qu’est le football, aujourd’hui, c’est juste un homme oublié. » Ilya eu, pourtant, peu de vies comme celle de Gabriel Hanot dans le football, peu d’influences aussi fortes, peu d’avancées aussi visionnaires. Il a été à l’origine de la création de la Coupe d’Europe des clubs, a directement participé à l’invention du Ballon d’Or, a été déterminant dans l’instauration du professionnalisme en France, en 1932, a créé les premiers stages d’entraîneurs, puis l’Amicale des éducateurs, a inventé le concours du jeune footballeur, avant d’être, de 1945 à 1949, sélectionneur de l’équipe de France dans le temps même où il était le leader de la rubrique football de L’Équipe.
L’une des photos les plus connues de lui est la remise du premier Ballon d’Or de l’histoire, attribué le 18 décembre 1956, à Stanley Matthews, en février 1957, à la mai riede Blackpool. Il ne sourit pas, parce qu’il souriait peu, austère, pudique et tranchant. Il ne serrait pas les mains non plus : « Cela n’est pas hygiénique et cela ne sert à rien », tranchait-il. Ancien international, son ami Raymond Dubly (31 sélections de 1913 à 1925) dira à sa mort: « D’un abord très froid, très réservé, il vivait en ascète dans toute l’acception du terme. Il était dur avec lui-même et aussi avec ses amis. Il n’aimait pas la médiocrité. »
À l’étage de son restaurant de Tallard, Gaël Hanot remonte le fil d’une histoire familiale qui dit une époque, une éducation et ses fractures. À la mort du père, instituteur, la mère de Gabriel Hanot était devenue lingère à Tourcoing pour l’élever, avec son frère Marius, né un an avant lui en 1888. Marius sera l’ami du poète, romancier et journaliste Blaise Cendrars, s’engagera dans l’extrême gauche et deviendra secrétaire général du Soviet suprême avant d’être arrêté pour « complot contre la sûreté de l’État», et acquitté en février 1921.
Il en avait fini du militantisme et son frère en avait fini avec lui. « Mon père, Daniel, décédé en 2011, n’a jamais vu son oncle, mort en1958», avoue Gaël. Le père de Gaël Hanot aura lui-même expérimenté l’intransigeance de Gabriel Hanot à son retour d’Indochine, où il s’était engagé contre l’avis de son père, et d’où il était revenu amputé d’une jambe, à 24 ans, après avoir été déclaré mort. Le sollicitant pour vivre quelque temps sous son toit à son retour, il avait essuyé un refus, et cette phrase: « Je t’avais dit de ne pas y aller. »
Au commencement, Gabriel Hanot était footballeur et bon élève. Ailier gauche à l’US Tourcoing, international à 18 ans, puis khâgneux à Lille, il allait passer deux ans à l’université de Münster, tout en jouant au FC Preussen. Ses 12 sélections entre 1908 et 1919, plus souvent au poste d’arrière
central où il avait glissé, auraient pu être plus nombreuses, mais les fédérations rivales, qui favorisaient une fois les Parisiens, une fois les Nordistes, et la guerre étaient passées par là. Il était parti faire son service en 1912, et avait été démobilisé en 1919, ce qui n’a pas dû faire beaucoup pour son humour et sa légèreté.
Footballeur international pris dans la Première Guerre mondiale
Il avait commencé le conflit dans l’infanterie, avait été trois fois abattu, trois fois fait prisonnier, s’était trois fois évadé. « J’ai dix pages écrites de sa main pendant son évasion, dit son petit-fils. Il évoque la peur de se faire reprendre, la difficulté d’avoir laissé les copains.» Il racontait s’être évadé du camp de Friedrichsfeld en se déguisant en ramoneur avec un tuyau de poêle sur le dos, en utilisant son allemand parfait. En 1917, il avait passé son brevet de pilote pour la fin de la guerre, puisque chaque évasion le ramenait au front, plutôt qu’à la liberté. En juillet 1919, il s’était blessé à un genou dans un accident d’atterrissage, et avait refermé la page de sa carrière de joueur.
Il était devenu journaliste, pour la Vie au grand air, le Miroir des sports, l’Intransigeant, et passera à L’Équipe et à France Football, qui partageaient la même rédaction. Il ne faut pas chercher la trace, le concernant, de l’indépendance des pouvoirs : il cherche l’influence, plutôt, grâce à la convergence de plusieurs pouvoirs, étant un exemple incroyable du mélange des genres, mais au profit d’une cause plus grande que lui et avec une honnêteté intellectuelle absolue.
Les visionnaires doivent apprendre à être patients : il réclame le professionnalisme dès 1920, et évoque une Coupe d’Europe des clubs dès 1932, au prétexte du développement des transports aériens. Quand le Championnat de France devient pro, en 1932, le journaliste est aussi vice-président de la commission du Championnat.
Formateur d’entraîneurs, journaliste sélectionneur
Son combat est de former les entraîneurs français. Il organise des stages, instaure des diplômes, oblige les clubs à payer des entraîneurs diplômés. En 1942, le major de la session qu’il dirige est Helenio Herrera, qui va remporter la C1 avec l’Inter en 1964 et 1965. Mais pour illustrer le mélange des genres et son intransigeance, on ne fera pas mieux que son histoire de sélectionneur. Il avait été brièvement l’adjoint de Gaston Barreau en 1920, avant de claquer la porte après les JO d’Anvers, avait été son conseiller officieux à la fin des années 1930, en installant le WM en sélection, ce 3-4-3 avec un carré au milieu et puis très officiel de 1945 à 1949, pendant 24 matches.
Demande sa propre démission dans « L’Équipe »
Toujours journaliste, il était le véritable sélectionneur des Bleus, mais en juin 1949, après une déroute face à l’Espagne (1-5), éreinté par les critiques qui lui reprochaient son entêtement autour du WM, lâché par Barreau, poussé dehors par Paul Nicolas, qui sera le patron du comité de sélection lors de la Coupe du monde 1958, il demandera sa propre démission dans L’Équipe, dans un papier qui n’est pas signé : « Un conseiller technique nouveau, pense l’un de nous, doit être désigné, l’ancien n’ayant pas obtenu un rendement acceptable des joueurs choisis.»
Mais, une casquette après l’autre, il sera quand même, fugitivement, du nouveau comité de sélection mis en place pendant l’été 1949, en tant que représentant du Groupement, l’ancêtre de la Ligue. Intransigeant avec lui-même et avec les autres, il détestait le jeu du Stade de Reims, qu’il moquait avec l’expression « klein klein Spiel» («petit petit jeu»), pensait que la vérité du football était dans la verticalité et l’intensité anglo-saxonnes, et défendra jusqu’au bout son idée du jeu, indifférent à la postérité, même lorsque le club d’Anderlecht avait proposé que la Coupe d’Europe porte son nom.
Trop de sentiments, sans doute. Le soir de la première finale de la Coupe d’Europe, Real-Reims (4-3), le 13 juin 1956 au Parc des Princes, à Paris, pendant qu’on ne cessait de venir le féliciter de son invention, il avait simplement répondu : « Puis-je faire mon métier?» Et il avait écrit ces mots, sur une feuille qu’il allait dicter aux sténos, pour dire son amour du jeu, et d’un joueur qui avait remporté la Coupe d’Europe née de son esprit : « Alfredo Di Stéfano, premier footballeur du monde, est pareil à la providence : son centre est partout, sa circonférence nulle part.»
(*) Michel Platini a été acquitté en appel, le 25mars, par le tribunal pénal fédéral de Muttenz (Suisse), comme en première instance, en juillet 2022, dans l’affaire dite des «2millions de francs suisses» liés à un travail de «conseiller technique» du Français effectué entre 1998 et 2002 auprès de Sepp Blatter (lui aussi acquitté), alors président de la FIFA.
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