Un vent nouveau chez les loups
Jürgen Foré, devant le bus des Soudal-Quick Step, l’équipe qu’il dirige depuis le début de l’année, vendredi dernier, en marge de la E3 Saxo Classic.
Un vent nouveau chez les loups envisage de réinventer l’équipe Soudal-Quick Step en douceur,
Successeur de Patrick Lefévère, en gardant l’esprit du « Wolfpack ».
"Tout le monde veut des responsabilités
mais cela veut dire qu’il faut les prendre"
- JÜRGEN FORÉ
"La question est de bien s’entourer,
il me demande encore mon avis.
L’équipe, c’est quand même mon enfant depuis 2003,
on ne veut pas que le successeur le détruise"
- PATRICK LEFÉVÈRE
4 Apr 2025 - L'Équipe
YOHANN HAUTBOIS
TIELT (BEL) – Tout est sous contrôle avec Jürgen Foré, la ponctualité, les sucrettes qu’ils glissent dans son café (et qu’en bon Pierre Richard, on a renversé sans qu’il montre le moindre signe d’agacement), ses déclarations aussi qu’il a voulu relire parce qu’il estimait (à tort) que son français n’était pas assez précis. Le nouveau patron de SoudalQuick Step, formation qu’il a rejointe il y a déjà un an, mais dont il a pris les rênes il y a seulement trois mois, tranche avec son mythique prédécesseur, Patrick Lefévère.
Le volubile fondateur de l’équipe belge ruait dans les brancards quand Foré (54 ans), devenu fan de triathlon après 40 ans, s’avance placide, presque timide : «Chacun a son caractère, confirme l’ancien patron de 70ans. Jürgen est tout à fait différent de moi, il aime les réunions, Teams, tout ça. C’est un homme bien structuré.» Ami des deux, Mark Van Hamme appuie le trait : « Si Remco (Evenepoel) gagne le Tour de France, Patrick peut monter au ciel, Jürgen restera le même, très calme. Il incarne un vent nouveau.»
Malgré son passé de conseiller dans de grandes entreprises (E & Y, Deloitte mais aussi Möbius qu’il a créée), il a, comme un simple stagiaire, envoyé « un mail et un CV, en expliquant à Patrick qui j’étais, que je voulais faire connaissance. Patrick et monsieur (Zdenek) Bakala (le propriétaire de l’équipe) avaient à ce moment-là envie de penser sur le long terme et j’ai peut-être envoyé mon message au bon moment. Mon profil pouvait les intéresser car, dans ma vie professionnelle, j’ai été le patron de 125 personnes, j’ai participé à des transformations, tout ce que je m’imaginais capable de faire ici. La seule nouveauté, c’était le processus sportif mais avec mon passé de coureur, ce n’était pas la plus grande difficulté.»
Car Jürgen Foré, avec les bons gènes de son père Noël – vainqueur de Gand Wevelgem (1958), de Paris Roubaix (1959) et du Tour des Flandres (1963) –, a longtemps brillé dans les catégories de jeunes, «surtout sur la piste où il a été champion de Belgique» (Van Hamme), avec cinquante et une victoires au côté notamment de Tom Steels, aujourd’hui l’un de ses directeurs sportifs: «Il était fort, il avait le talent pour être un des meilleurs de Belgique.»
Mais la suite fut douloureuse, avec la maladie de son papa, décédé en 1994 d’un cancer du cerveau: «La vie a été un peu dure entre mes 18 et 23 ans, glisse-t-il sans pathos. J’ai assisté ma mère pendant ces moments.Jenesuisjamaisallédansunbarpendant mes études, je n’avais pas le temps. Pendant neuf mois, j’allais d’Eeklo (où il réside encore) à Gand le matin pour mes cours et je revenais pour amener mon père à sa radiothérapie à Gand, six jours sur sept. Je n’avais plus le temps de m’entraîner.»
Sa dernière compétition fut un supplice avec un abandon dans le mont Kemmel : « Mon esprit n’était pas du tout à la course, j’ai cassé deux roues. À Ypres, j’ai mis le vélo dans la voiture de mon oncle et j’ai dit “mais qu’est-ce que je fais là?“Aujourd’hui, je fais attention aux coureurs. Quand ils sont malades ou un peu moins bien, c’est important de leur laisser un message.»
Aujourd’hui chez Tudor, Julian Alaphilippe, parfois rudoyé par Lefévère, a apprécié les quelques mois auprès du nouveau patron belge: «Cela s’est toujours bien passé avec lui. Il a toujours été à l’écoute me concernant. On ne s’est simplement pas mis d’accord sur la prolongation de mon contrat mais ce la n’a pas posé de problème. On s’est re croisés, on était contents de se saluer.»
Capable de sonder une potentielle recrue pendant une discussion de plusieurs heures, le dirigeant s’inspire, pour son management, de ses lectures sur l’holacratie, notamment: « Tout le monde veut des responsabilités mais cela veut dire qu’il faut les prendre. Je ne crois pas aux hiérarchies très strictes, il faut des débats où tout le monde peut donner son avis. Mais je n’hésite pas à prendre des décisions rapidement sans avoir toujours le consensus. Quitte à adapter ensuite car je n’ai pas peur de faire des erreurs.»
Tom Steels, qui le retrouve dans un autre cadre (« ça fait bizarre ! »), estime que son ancien compagnon de chambre n’a pas changé:«C’estungarçoncalmemaisquisait décider. Il donne à l’équipe une direction.» La sienne, « retrouver notre ADN originel. Je veux qu’on se focalise un peu plus sur les coursesd’unejournéesansperdrelesgrands Tours qui sont importants. La balance a peutêtre trop vite basculé sur les classements généraux, j’ai envie de rééquilibrer.»
Une transition, aperçue par Alaphilippe (« Il est arrivé dans l’équipe avec une grande envie d’apporter sa propre vision tout en gardant le Wolfpack tel qu’il est»), qu’il annonce tout en douceur alors qu’il a pu apparaître plus brut lorsqu’il était régulateur de course sur le Tour de Flandres pendant vingt ans. «Oui, j’étais strict, rit-il. Mais avec l’expérience, on gagne en souplesse.»
Son acolyte sur la moto, l’ancien coureur Frank Hoste, confirme l’intransigeance de ce père de quatre enfants: «Dans son briefing avec les photographes, il était précis et pointu. En course, pareil, il appliquait les règles, sinon il n’était pas content. Pour rigoler en dehors, c’est un mec très gentil mais avec les règles, il est juste pam pam pam. »
Et loyal. La veille de sa nomination comme patron chez Soudal-Quick Step, Hoste et Foré dînaient ensemble «et il ne m’a rien dit! J’ai découvert ça dans le journal le lendemain. Il s’est excusé ensuite, il m’a expliqué qu’il ne pouvait pas en parler. C’est un mec droit».
Maintenant, tout le monde se pose évidemment la question de sa réussite, même ses amis, conscients d’une succession qui va être scrutée dans tout le pays. Pour Hoste, «il a une très bonne réputation depuis Deloitte, il a beaucoup d’expérience. Et puis Patrick est encore un peu à ses côtés». L’ancien boss ne doute pas de son successeur mais veille: «La question est de bien s’entourer, il me demande encore mon avis. L’équipe, c’est quand même mon enfant depuis 2003, on ne veut pas que le successeur le détruise.»
Foré prévoit de le choyer et s’il ne parle pas de revanche par rapport à sa candidature non-retenue chez Lotto au même poste en 2017 (« mais il en a souffert », assure Hoste) ou d’aboutissement, il sait où regarder: «J’ai quelques supporters là-haut (sa maman Diane est décédée en 2019), je pense qu’ils sont très fiers. Quand tu perds ton père à 24ans, ta vie débute, j’ai toujours eu cette pensée: “Ah il n’a jamais rencontré mes enfants”, “ah, il ne m’a pas vu courir.” C’est un sentiment qui me traverse.»
Coureur, régulateur, entraîneur de jeunes et aujourd’hui dirigeant comme son paternel, Jürgen Foré entretient son souvenir à sa façon pour Mark Van Hamme: «Sans le vouloir, il a toujours marché dans les pas de son père.»
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