Tour de France - Lenny Martinez, grimpeur de père en cycle


Fils de, petit-fils de, neveu de et arrière-petit-fils de, le prodige de 21 ans du cyclisme français court sa première Grande Boucle cette année, sous les yeux fiers et exigeants de sa famille, qui a le vélo ancré dans les veines.

15 Jul 2024 - Libération
Par Romain Boulho Envoyé spécial sur la route du Tour

Ce matin-là, Marie-Noëlle a fait deux heures de route depuis Fourchambault, dans la Nièvre. Devant le bus de la Groupama-FDJ, elle prend son petit-fils dans les bras et lui caresse le dos. Elle lui dit des mots de mamie : «T’as grandi encore.» Lui répond qu’elle a rapetissé. Le gamin a le corps en fil de couteau. La pulpe absente. Une carrure de grimpeur, pas large et pas long. Marie-Noëlle ne le voit plus qu’occasionnellement. Elle le suit à la télévision et sur Strava, l’application des coureurs cyclistes. Elle lui rappelle : «C’est ton premier Tour de France, tu vois ce que c’est.» Lui souffle que la 10e étape entre Orléans (Loiret) et SaintAmand-Montrond (Cher) est toute plate. «Ça va aller.»

Lenny Martinez, 21 ans, est passé professionnel voilà deux ans. Quand il a porté deux jours durant le maillot rouge de leader du Tour d’Espagne, en août, on exposait déjà son extrême précocité. Ses 20 ans tout juste franchis, il devenait le plus jeune leader de l’histoire du Tour d’Espagne, devant Miguel Indurain en 1985 à alors 21 ans. Il faisait ressurgir à l’écume de la mémoire cycliste des figures oubliées, comme Henri Cornet, seul coureur plus jeune que lui à avoir endossé le maillot de premier au classement général d’un grand tour. C’était sur le Tour de France, en 1904 il y a pile cent ans.

Un peloton familial de dizaines de coureurs

A l’arrivée de l’étape à Saint-Amand-Montrond, le 9 juillet, Marie-Noëlle s’est posée en famille dans le coin réservé au gratin local, les tribunes avec petits fours et coupes de champagne. Sur la sélection de son petit-fils, décidée au dernier moment par la Groupama-FDJ, elle s’exclame : «Je ne pensais pas qu’il allait faire le Tour, mon titi. J’aurais loué un camping-car pour le suivre, autrement.» Marie-Noëlle est née au vélo dans les kermesses et les pique-niques de bords de routes. Elle raconte Lenny. Puis son fils Miguel, le père de Lenny, ancien champion olympique en VTT à Sydney en 2000, et champion du monde de cross-country la même année. Puis encore son mari, Mariano, ancien meilleur grimpeur du Tour de France 1978. Le trio est connu. Le vélo est un sport d’atavisme. Les descendants coulent en cascade. Mais MarieNoëlle ne s’est pas arrêtée. Elle a exhumé son père à elle, Pierre Simonin. Les frères, les tantes, les cousins, les neveux. Des rouleurs amateurs ou des professionnels confirmés. Elle a dressé un peloton familial de dizaines et dizaines de coureurs. Une dynastie sur deux-roues. En pleine descendance, il a fallu fermement s’accrocher au guidon.

Au côté de sa mère, Miguel Martinez, peau brune, sourcils effilés, a pris le relais. Il raconte son grand-père maternel, coureur après-guerre puis facteur à vélo de Fourchambault. «Le jour où il est mort, 3 000 personnes se sont rendues à son enterrement, tellement il était aimé.» Son grand-père paternel, originaire des Asturies, en Espagne, qui «parcourait des boucles de 100 kilomètres à vélo pour vendre du poisson.» Sur ces mythes familiaux, il s’amuse : «C’est ce qu’on m’a dit.» Dans les années 60, les Simonin partent tous les dimanches dans la Peugeot 404 familiale, les huit gamins parqués à l’arrière, les arrêts dans les forêts, sur les bas-côtés, manger, boire, encourager toute la famille qui s’escrime sur la route.

C’est le vélo des kermesses et des primes de vainqueur. «Tout ça est resté et s’est transmis», songe Miguel Martinez. Sur les huit gamins, les quatre garçons seront coureurs et les quatre filles mariées à des coureurs. Aujourd’hui, quand il jette un oeil sur les compétitions locales dans la Nièvre ou les départements limitrophes, des courses au public maigre, Miguel mesure: «Sur les 200 derniers mètres, un quart des personnes sont de la famille.»

«La génétique n’y est pas pour rien»

Lui a vécu dans l’ombre de son père. «Je voulais faire comme lui.» Ses parents tiennent un magasin de cycles à Fourchambault. La famille, large, y cause vélo jour et nuit. Quand Mariano part en course dans les villages, il emmène Miguel, lui confie les clés de la voiture. Le gamin tourne avec son petit vélo Lejeune rouge autour des églises. Il lance le bidon d’eau au père. Le jour de remporter sa médaille d’or, bien des années plus tard, le paternel l’interpelle : «Miguel, c’est la course de ta vie, tu dois te faire exploser les jambes, mourir sur le vélo. Je serais capable de mourir sur le vélo pour une victoire.» Sur l’ADN de la famille, Miguel dit : «C’est un mode de vie, qu’on transmet, c’est ce que j’ai ressenti de mon père, je ne sais pas si ça vient de notre sang gitan et espagnol, de ce besoin de bouger, d’être en scène, de faire le spectacle.» Pour Lenny Martinez, la succession est venue le jour de ses 14 ans. Ses parents sont séparés. Il quitte sa mère et Saint-Etiennede-Tinée, dans les Alpes-Maritimes, où il pratique le ski alpin. Le père devient son coach. Le môme possède des dons irréels. Yannick, son oncle et frère de Miguel, ancien professionnel notamment chez Europcar, calcule sa puissance, grâce à un capteur. «Je regardais ses données, je me suis aperçu qu’il avait un rapport poids puissance énorme, alors qu’il ne pesait même pas 50 kilos. Il avait le niveau d’un coureur de World Tour [le niveau le plus élevé chez les professionnels, ndlr]. Je me suis dit: y a un truc. La génétique n’y est pas pour rien.» A l’époque, Yannick discute et donne des conseils au petit, parfois «jusqu’à minuit». Désormais, c’est Lenny qui l’informe des dernières nouveautés sur la nutrition. A l’entraînement de l’apprenti grimpeur, dans le club du CC Varennes-Vauzelles, il y a le grand-oncle JeanFrançois sur la moto suiveuse. Quand il se présente, ce dernier donne la ligne la plus éclatante de son CV: «Champion de Bourgogne en 1978.» Jean-François, passé «presque professionnel», la faute à «un virus attrapé sur le Tour de Guadeloupe», pense que le vélo a de l’inné chez le dernier des Martinez. «Tout ça se fait en causant, en regardant les anciens. C’est en nous.»

«C’est trop tôt et trop jeune pour ce Tour de France!»

Avant de partir à Dijon chez les jeunes de la Groupama, Lenny Martinez, qui étudie l’ingénierie technique, s’oblige à effectuer un stage à l’usine Iveco du coin. Il dit à son père: «Comme ça, je sais que je voudrai faire du vélo.» Dans ses années juniors, il atteint la deuxième place au championnat de Bourgogne-Franche-Comté en 2019, derrière l’autre promesse bleue Romain Grégoire, puis la deuxième du championnat de France en 2021. Il compte aujourd’hui six victoires chez les professionnels. Au téléphone, son grand-père Mariano, ancien maillot à pois, pose son regard exigeant sur les débuts modestes du petit-fils depuis le grand départ en Italie, malgré une percée dans un groupe d’échapés dimanche dans les Pyrénées: «C’est trop tôt et trop jeune pour ce Tour de France! Il n’est pas assez formé physiquement et psychiquement. Quand tu as à peine le permis, tu ne prends pas les commandes d’une Formule 1.» Son étape achevée, à SaintAmand-Montrond, Lenny Martinez sort pieds nus du bus de son équipe. Il a la jeunesse accrochée à son regard noir. Il touche trois mots, vanné par la course, dit simplement que la généalogie ne le surprend pas. Que c’est un mécanisme de «transmission». Autour de lui, une masse se forme. L’enfance semble l’avoir quitté il y a peu et, déjà, il porte sur lui bien des espoirs. Des hommes du troisième âge comme des adolescentes lui réclament un autographe.

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