UNE SUPRÉMATIE - POGACAR SUR UN PLATEAU
Tadej Pogacar a confirmé sa supériorité sur Jonas Vingegaard dans l’ascension du plateau de Beille, où il a été intouchable. Il compte désormais plus de trois minutes d’avance sur le Danois et s’est rapproché d’un doublé Giro-Tour historique.
15 Jul 2024 - L'Équipe
ALEXANDRE ROOS
PLATEAU DE BEILLE (ARIÈGE) – C’est sans doute par le prisme des autres qu’il faut attaquer pour essayer de comprendre la séance de torture d’hier et la performance monumentale de Tadej Pogacar dans les derniers kilomètres du plateau de Beille, qui a donné envie à 150 coureurs de rentrer à la maison, rejoindre la plage la plus proche, et aujourd’hui à Gruissan, pour la deuxième journée de repos, elle ne sera pas bien loin.Le Maillot Jaune Tadej Pogacar a assommé la concurrence et en premier lieu Jonas Vingegaard (en haut à droite), relégué hier à plus d’une minute au plateau de Beille.
Dans une séance d’autopersuasion collective, on se disait que le Slovène de 25 ans avait écrasé le Giro en raison d’une concurrence faiblarde, ce qui était bien sûr un facteur mais, après ce week-end en lévitation dans les Pyrénées, il est parti pour ratatiner tout le monde de la même manière dans le Tour de France. Ce qui était tout de même le pronostic de beaucoup au départ de Florence, ne l’oublions pas. Hier, les écarts de l’étape ressemblaient à ceux qu’on pourrait attendre au général après deux sem a i n e s d e c o u r s e , a v e c seulement 22 coureurs en vingt minutes derrière le Maillot Jaune, 36 dans la même demi-heure au sommet du plateau de Beille.
Heureusement qu’à la demande de certaines équipes qui s’inquiétaient que la journée démarre directement avec un col, celui de Peyresourde, l’organisation avait poussé dans la matinée pour allonger les délais d’élimination de 2%, offrir ainsi six à sept minutes supplémentaires à tout le monde pour gagner l’arrivée et, vu l’état de souffrance dans lequel Arnaud Démare a terminé,152 e et dernier classé de l’étape à plus de 52’, elles ne furent pas de trop.
Romain Bardet, 33e à 29’, et David Gaudu, 87e à 43’, soupirèrent tous les deux à l’arrivée devant une telle raclée et estimèrent qu’ils n’avaient sans doute jamais couru une étape du Tour si difficile, alors qu’en la matière ils sont sortis de la coquille depuis longtemps. Idem pour Richard Carapaz, Jai Hindley, Enric Mas,Laurens De Pluset Tobias Johannessen, échappés de luxe qui, pour les deux premiers, ont déjà remporté un grand Tour, balayés dans la dernière montée de la journée alors qu’ils ne comptaient que 2’30” d’avance au pied et qu’ils n’avaient jamais réussi à se bâtir une avance douillette.
Pogacar ruine la copie parfaite des Visma
Plus que Pogacar, ce sont d’ailleurs les Visma-Lease a bike qui ont étouffé les espoirs des fuyards. Ce n’était pas le but premier des Néerlandais mais ils avaient décidé de rouler toute la journée pour épuiser leur rival et se donner une chance de lui reprendre du temps dans un format d’étape, davantage sur l’endurance , qui devait être favorable à Vingegaard. Son équipe a rendu une copie impeccable, elle a utilisé toutes ses cartouches au mieux, pris ses responsabilités et le risque de tout perdre pour avoir une chance de tout renverser. Le Danois a évolué à son meilleur niveau, selon ses dires, mais le gouffre, aperçu samedi dans le Pla d’Adet, s’est accentué au plateau de Beille.
Après un relais puissant de Matteo Jorgenson, Vingegaard a donc jeté les dés à un peu plus de 10 km du sommet, sa première attaque d’ampleur de ce Tour, mais Pogacar a immédiatement harponné son sillage. Le Maillot Jaune est d’abord resté planqué dans la roue, c’est d’ailleurs ce qu’il avait fait depuis le départ de l’étape, 190 km plus loin. Il a laissé son adversaire s’asphyxier, prendre le vent. On se demandait alors à quel point le Danois lui faisait mal, ou s’il attendait juste son heure pour l’ouvrir en deux, et on eut la réponse à 5,4 km de l’arrivée, quand il sortit son canif pour achever son adversaire, lui gratter encore 1’12” sur la ligne, en comptant les bonifications, et le repousser à 3’09” de son rêve de réaliser le triplé.
Au passage, Pogacar explosa de plus de trois minutes le record de la montée du plateau de Beille qui appartenait à Marco Pantani, mais il ne fut pas le seul, car Vingegaard et Remco Evenepoel, encore 3e mais qui a tout de même reculé (à 2’10” du Danois au général désormais), ont également grimpé plus vite que l’Italien, et Mikel Landa n’en fut pas loin, preuve que si le Slovène est le bourreau en chef de ce Tour, il compte aussi quelques adjoints. La physionomie, le scénario, avaient été totalement différents de ceux de samedi, mais le résultat fut le même, le signe d’une domination.
Après l’offensive totale du Pla d’Adet, Pogacar a couru hier sur la défensive, ce qui était finalement la meilleure attaque. Vingegaard se retrouve désormais face à une double impuissance, la sienne face à Pogacar et celle de son équipe qui, même à son meilleur, ne peut l’aider dans sa quête.
Une troisième semaine sûrement moins cadenassée
Alors maintenant? Le Maillot Jaune peut laisser venir, continuer à courir sur la défensive, en contrôle, même si l’on sait qu’il est compliqué de mettre son panache et son tempérament sous cloche et qu’il voudra sans doute s’offrir une étape de prestige ou deux, surtout par chez lui, à Monaco, en fin de semaine.
Quant à Vingegaard, la théorie qui voulait qu’il soit plus fort en troisième semaine s’est éventée dans les Pyrénées, mais si son équipe a reconnu son infériorité hier, et donc une forme de défaite, on ne voit pas pourquoi ils déposeraient les armes sitôt, sans tenter, sur une journée au moins, de prendre une revanche, car ce n’est pas le genre de la maison.
Ce duel dingo va sans doute entrer dans une nouvelle phase, plus passive, moins exclusive, mais les couteaux seront toujours à portée de main. Cela desserrera l’étau qui étrangle tous les autres, redonnera de la liberté aux échappés. Et si la bataille au général devait en rester là, cela signifierait également que Pogacar est sur la voie d’un doublé historique, après sa victoire sur le Giro. Il y a toujours des raisons d’aimer le Tour de France.
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Que peut encore espérer Vingegaard?
Relégué à désormais trois minutes au général, le Danois a reconnu la supériorité de Pogacar hier. Il va s’accrocher en guettant une éventuelle défaillance. Et espère ramasser ce qui restera.
PIERRE MENJOT
PLATEAU DE BEILLE (ARIÈGE) – Parce que l’étape et la chaleur convenaient à Jonas Vingegaard, les VismaLease a bike ont passé la journée le pied sur l’accélérateur pour lancer leur champion. Mais parce qu’il s’est encore incliné, plus d’une minute derrière Pogacar et désormais à 3’09” au général, le vainqueur sortant et les siens ont reconnu à demi-mot leur défaite.
« On doit être heureux et fiers de notre performance mais il faut accepter que quelqu’un soit meilleur. Tout le monde voit que Pogacar est le plus fort sur cette course » , déplorait le directeur sportif Grischa Niermann. « J’ai toujours une chance, on a vu ces deux dernières années que Tadej a parfois une journée sans, mais s’il continue à ce niveau, ce sera difficile » , avouait le coureur.
Si les deux rivaux évoluent dans un monde différent des autres, le Slovène de 25 ans paraît encore supérieur au Danois à chaque fois, exception faite de son attaque trop audacieuse dans le pas de Peyrol (11e étape). Hier, Vingegaard (27 ans) a répété qu’il était fier et heureux de lui, de son niveau, « car j’ai fait l’une des meilleures performances de ma vie sur le vélo » . L’an passé, il avait utilisé les mêmes termes lors du contre-la-montre de Combloux, où il avait désossé Pogacar (2e à 1 ’ 3 8 ” ) . U n a n p l u s t a rd , le meilleur niveau du dossard numéro 1 n’est donc plus suffisant.
Qu’est-ce que cela peut lui laisser espérer pour la suite ? Une deuxième victoire d’étape, après le Lioran? « Mais on a déjà couru pour les étapes, comme aujourd’hui ( hier), on combinait ça au classement général, et ce n’est pas arrivé car Tadej est meilleur que Jonas » , répondait Niermann. Concrètement, les seules opportunités « seront les trois derniers jours » , resitue Arthur Van Dongen, l’autre DS des Néerlandais. À savoir Isola 2000, la Couillole et le contre-la-montre.
Le premier (19e étape) est celui qui lui convient le mieux, avec 4400 m de dénivelé en trois cols perchés à plus de 2000 m d’altitude, dont l’effrayante Bonette (2 802 m), plus haute route de France. « C’est un col qui lui convient bien, juge Andy Schleck, vainqueur du Tour 2010, aujourd’hui ambassadeur Skoda. Il faudra essayer, être créatif, envoyer quelqu’un comme (son équipier) Wout Van Aert à l’avant qui peut l’aider ensuite. Vingegaard peut tout risquer, à quoi ça lui sert de finir 2e après avoir gagné deux Tours? »
Mais ce jour-là, comme lors de la 20e étape, il faudra sortir Pogacar de sa roue avant l’arrivée, « car c’est une mission très compliquée de le battre au sprint » , note le Luxembourgeois, qui n’imagine pas un instant le Slovène offrir une victoire à son meilleur ennemi: « Ce n’est pas son style. Et puis, Cavendish a un record de 35 étapes, lui déjà 14… »
Resterait alors le maillot de meilleur grimpeur, une maigre consolation, « même si cela intéresse certainement son équipe » , imagine Schleck. Les pois, il les avait déjà ramenés à Paris en 2022 et porte de nouveau cette tunique depuis hier. Par procuration, puisqu’il est deuxième du classement avec 19 points de moins que Pogacar, qu’il devra donc dominer dans les ascensions. Toujours le même problème.
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