Casting royal
Le Critérium du Dauphiné qui s’ouvre aujourd’hui sera plus qu’une simple répétition générale avant juillet, un premier round où Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard voudront grignoter le cerveau de l’autre d’ici au Tour de France (5-27 juillet).
8 Jun 2025 - L'Équipe
ALEXANDRE ROOS
L’été approche et si son souffle chaud n’est pas encore tout à fait là, le Critérium du Dauphiné aura cette semaine des allures de stage d’acclimatation. Sur les cimes, les cols se débarrassent au fur et à mesure de leur manteau d’hiver, les routes rouvrent un peu partout, ces jours-ci dans les Alpes, les Pyrénées, les bergers partent pour l’estive et leur monde parallèle, de silence, au milieu de leur monastère de verdure, nichés avec leurs chiens et leurs troupeaux dans les plis du Tourmalet ou des autres géants du Tour de France. C’est l’heure de la montagne, pas tout de suite ce matin au départ de l’Allier, c’est vrai, mais on la devine à l’horizon, pour la fin de semaine déjà, pour le mois de juillet ensuite, et avec elle celle des grimpeurs, lutins lyophilisés par des semaines de camps en altitude, sous la chaleur de la Sierra Nevada ou des Canaries. Si les classiques, qui sont déjà loin, sont associées dans notre esprit à la terre, la saison de l’air est arrivée, des envolées, et Tadej Pogacar est de cette espèce rare, hybride, capable de marier les deux éléments. L’armure boueuse du printemps dans l’armoire depuis fin avril, le champion du monde a désormais sorti la tenue légère pour la suite des aventures.
Pocagar et Vingegaard ne se sont pas chicanés
depuis le Tour de France de l’an passé
Il ne faudrait en revanche pas commettre l’erreur de jauger le nouveau chapitre à l’aune de sa campagne sensationnelle – vainqueur des Strade Bianche, du Tour des Flandres, de la Flèche Wallonne et de la Doyenne, 2e de Paris-Roubaix et de l’Amstel Gold Race, 3e de Milan-San Remo -, car ce matin, les compteurs sont comme remis à zéro. Ce qui ne signifie pas que le champion du monde doive se faire du souci pour autant, il n’a pas raté un rendez-vous depuis près de deux ans, si l’on considère que sa 2e place dans le Tour 2023 fut un échec.
Mais il change de terrain et d’adversaire, et ce qu’il a réalisé sur les pavés du Nord ne va pas lui servir dans les semaines qui viennent. Après s’être coltiné Mathieu van der Poel, il s’attaque à plus fluet, mais pas moins coriace, avec Jonas Vingegaard qu’il croise pour la première fois de la saison et même depuis près d’un an, puisque les deux rivaux ne se sont pas chicanés depuis le Tour de France de l’an passé. Leurs retrouvailles sont attendues parce qu’elles se déroulent sans astérisque, sans urgence pour revenir d’une blessure. Il n’y a aucune raison de penser qu’ils ne sont pas tous les deux où ils aimeraient être à ce moment de leur saison, pas loin de leur meilleur, donc.
Le Dauphiné n’est pas le Tour, mais c’est un point de passage primordial. Son vainqueur n’a aucune garantie de monter sur le podium des Champs-Elysées, certes, mais tout de même, le niveau affiché ici sera à peu de chose près celui du grand départ à Lille, car les derniers stages en altitude entre les deux épreuves auront pour objet de la récupération et des réglages fins, pas des bouleversements de grande ampleur. Il ne peut donc y avoir un écart trop grand entre les deux cette semaine sans que ce soit une mauvaise nouvelle pour celui derrière.
Le bras de fer sera avant tout psychologique
Mais le bras de fer sera avant tout psychologique, une première morsure, un avantage dont profiter ou un désavantage à ruminer, c’est selon, jusqu’au Tour. À ce jeulà, on dirait que Jonas Vingegaard a davantage la pression, davantage de raisons de vouloir se rassurer. Le Danois n’a pas pu ignorer le show Pogacar du printemps, alors que lui pataugeait dans un début de saison compliqué par sa chute à Paris-Nice et la commotion cérébrale qu’elle causa.
Le contraste était fort entre l’arc-enciel vibrionnant et le temps maussade qui entourait le leader des Visma-lease a bike. Ce dernier a expliqué ces derniers temps qu’il était désormais une personne différente, mais rien n’assure que le double vainqueur du Tour ait totalement évacué les conséquences, mentales, de son effroyable gamelle du Pays basque l’an passé, que le traumatisme n’est pas encore là, peut-être réveillé par ce nouveau choc à la tête en mars.
C’est de tout ce poids, de ces freins que Jonas Vingegaard va devoir se libérer à partir d’ au - jour d’hui, lui qui a déjà dû lutter contre des fragilités psychologiques par le passé.
Et tout ça face à son plus grand rival, qui ne va pas manquer une occasion de lui bourdonner autour des oreilles, sans forcément attendre la haute montagne. Il trouvera en son adversaire du printemps, Mathieu Van der Poel, un merveilleux allié pour gratter quelques silex.
Le Néerlandais, même si son poignet est encore un peu sensible après sa fracture du scaphoïde à VTT, est toujours partant pour allumer un incendie. Sur lequel Remco Evenepoel, le troisième favori pour ce Dauphiné et pour le Tour, ne manquera pas de souffler, s’il a complètement retrouvé ses jambes après sa grave chute de l’hiver et que Jonas Vingegaard pourra aller consulter, parce que s’il y en a un qui connaît le chemin pour toujours se relever, c’est bien le Belge.
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Dans la montagne du Giro la semaine dernière, sur le Dauphiné à partir d’aujourd’hui,
Romain Bardet s’offre une tournée d’adieux de haute tenue.
Un an après avoir annoncé qu’il prendrait sa retraite au soir du Dauphiné 2025, Romain Bardet est au départ de sa course préférée, serein et en quête d’un résultat.
“Le Dauphiné, c’est ma course de coeur, un état de pureté du vélo,
avec presque toute la magie du Tour sans le côté éreintant
- ROMAIN BARDET
PIERRE MENJOT
La der des ders
MOULINS – Pour la dernière de papa, Angus Bardet ne sera pas à Domérat, ce matin, pourtant pas loin de la maison.
«Il a cours de skateboard et il préfère le skate. Voilà, je suis content car c’est exactement ce que je veux», sourit Romain Bardet. Le premier Maillot Jaune du Tour 2024 démarre aujourd’hui le Dauphiné, sa dernière course en tant que professionnel, une ultime semaine de compétition avant de raccrocher pour de bon, comme il l’avait annoncé il y a un an. « Et je me sens très bien, très serein, répète le grimpeur de 34 ans. J’ai eu beaucoup de temps pour me projeter et c’est triste à dire, mais il n’y a pas d’émotions particulières. Parce que je sens que je suis allé au bout, et je suis très serein avec ce qui arrive et ce qui a été fait.»
Voilà douze mois que l’Auvergnat multiplie les «ders», du virage Bardet au Pas de Peyrol, sur la Grande Boucle l’été dernier, au Giro en mai (2e de l’étape à Bormio), alors il a l’habitude de saluer, de remercier, de profiter encore une fois de chaque course.
« Mais là, pour la première fois, je ressens que, ah, ça arrive, avoue son directeur sportif Christian Guiberteau en mimant un trouble qui monte en lui. On essayait de ne pas y penser car on est dans l’engrenage, la compétition. Ce soir ( hier), j’avoue une certaine émotion. C’est un honneur d’être là, d’être présent au côté de Romain. Et, en même temps, pourquoi ça s’arrête?»
Le garçon formé à Brioude, où il est retourné mercredi pour rouler avec les gamins, est encore capable de jouer les premiers rôles. « Mais je ne peux pas continuer à avoir cette hygiène de vie, tous ces sacrifices, pour simplement espérer pouvoir faire deux ou trois coups dans l’année, répond-il. Les fois où on part sur des périodes de trois semaines en haut d’un volcan, une course d’une semaine derrière, puis on repart sur un Grand Tour six jours après, sont des moments durs à vivre parce que si je comblais la partie athlète en moi, une autre partie, le père de famille, s’y perdait un peu.»
Cette partie, « qui est aussi mon identité propre » , sera comblée d’ici peu. Lundi prochain, il ouvrira un sas de décompression d’un gros mois «à passer du temps avec les amis, à ne plus regarder forcément la montre et que mon entraînement du jour ne soit plus la simple focale de ma journée. Il va falloir appréhender un nouveau quotidien, même si je vais rester dans le haut niveau», en gravel. Mais avant cela, il y a donc ce huitième Dauphiné (2e en 2016), « ma course de coeur, un état de pureté du vélo, avec presque toute la magie du Tour sans le côté éreintant d’un Grand Tour.» Où il «ne sera pas en tournée d’adieux, sinon je prenais un camping-car et je restais au bord de la route. Honnêtement, j’ai envie de faire la course. Je ne me suis quasiment pas entraîné de la semaine, et cet enchaînement après le Giro est inédit, mais je pense que je peux avoir une ou deux bonnes journées sur le vélo, et une ou deux très bonnes. J’espère.»
Christian Guiberteau imagine que « ce qui le poussera, c’est la tête plus que les jambes». Celle de Romain Bardet est légère, prête pour un dernier baroud. «Avec l’envie et toujours un peu ce regard d’enfant, parce que, finalement, je n’ai pas vu passer ces quatorze années comme professionnel.»
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