TOUR DE FRANCE Les Français dans l’attente du coup de jaune


L’édition 2025 de la Grande Boucle s’élance ce samedi de Lille. Alors que la dernière victoire tricolore au général est vieille de quarante ans et que les chances sont faibles cette année, quelques espoirs montants visent de futurs podiums.

5 Jul 2025 - Libération
par Romain Boulho et Louis Moulin

Guillaume Martin-Guyonnet, c’est le type qui se pointe à la fête d’anniversaire, cône en carton vissé sur la tête et langue de belle-mère multicolore entre les dents, et se rend compte qu’il va passer une soirée très longue parce qu’il est absolument seul dans la salle des fêtes. Le coureur de la Groupama-FDJ possède une régularité métronomique : chaque été, il s’escrime à jouer le général, une lutte de chaque instant pour accrocher une place d’honneur (8e en 2021, son meilleur classement). Parmi les coureurs tricolores engagés sur le Tour de France, qui s’ouvre ce samedi à Lille, aucun autre que lui ne labourera le terrain du Slovène Tadej Pogacar (UAE Team Emirates-XRG), vainqueur de trois Tours dont le dernier, et du Danois Jonas Vingegaard (Visma-Lease a Bike), deux succès au compteur.Sur la Grand Place de Lille, avant la présentation des équipes qui participent au 112e Tour de France, jeudi.

Or l’édition numéro 112 de la Grande Boucle marque l’anniversaire d’un symbole, une date comme une griffe dans les articles de presse: 1985, la cinquième et dernière victoire de Bernard Hinault, 36e et ultime victoire d’un Français dans l’épreuve sportive la plus patrimoniale et sacrée du pays. Ce n’est même pas abattus que les coureurs de l’Hexagone s’avancent vers le Nord, mais presque détachés et secs face à ce constat : ils n’ont probablement jamais été aussi de loin de claquer le bec du «Blaireau» («On n’a plus la grosse moto, celle à 1000 cm³ qui peut faire la différence, on n’a que des 750 cm³», maugréait encore Hinault cette semaine dans L'Équipe) que cette année.

La solitude relative de Martin-Guyonnet et ce désamour collectif pour le classement général sont certes liés aux performances des deux «ogres», comme il les appelle, mais le trentenaire y voit également «une question de reconnaissance, de popularité» : «Il y a des nations, l’Espagne ou la Grande-Bretagne, où la course au classement général a une vraie noblesse, juge-t-il. Moi, je n’ai jamais eu la prétention de dire que j’allais gagner le Tour, mais que je pouvais jouer le top 10. Et je me suis parfois fait un peu attaquer pour ça par des supporteurs français, qui me disaient que dixième du Tour ça n’avait pas de valeur, qu’il valait mieux viser une victoire d’étape.» Martin-Guyonnet, auteur de quelques bouquins de philo, rumine un éloge de la patience : «En France, on est un pays de panache, où on aime bien les coups d’éclat, les grands faits d’armes, les émotions déclenchées par des victoires d’étapes ou des chevauchées en montagne, là où le côté un peu besogneux de se battre pendant trois semaines pour un classement, d’être endurant, persistant, constant, ça enflamme moins les foules. Sauf que pour pouvoir, un jour, gagner le Tour de France, il faut avoir au préalable bataillé pour terminer dans le top 10, le top 5… Ça ne vient pas d’un coup.»

«Il manque quel qu’un qui montre que c’est possible»

Plusieurs fois, ce n’est pas passé loin. Jusqu’à tout récemment, les ambitions tricolores s’incarnaient dans le duo Romain Bardet-Thibaut Pinot. Chacun a touché du doigt le Graal. Le premier a terminé deux fois sur le podium (2 en 2016, 3 en 2017). Le second, une seule (3 en 2014), mais il est celui qui, ces vingt-cinq dernières années, n’a jamais paru aussi proche de briser la malédiction, lorsqu’il volait dans les Pyrénées en 2019 avant d’abandonner en larmes dans les Alpes, victime d’une blessure qui ne lui est «jamais arrivée et ne [lui] arrivera plus jamais». Pinot a lâché le guidon en fin de saison 2023, et Bardet en juin. Et la disette de s’aggraver toujours plus. Pour se rassurer, on peut se dire que c’est lié à la mondialisation du cyclisme. «Il faut avoir conscience que le niveau international est plus homogène, c’est de plus en plus dur», soupire Thomas Voeckler, le sélectionneur national. «Il y a quarante ou cinquante ans, le cyclisme était très européen, il n’y avait que quatre ou cinq nations qui se disputaient la victoire, rembobine Martin-Guyonnet. Depuis, ça s’est énormément internationalisé, et donc statistiquement…» On peut aussi relever, à l’inverse, que la France continue de fournir le plus gros contingent de coureurs au niveau World Tour (l’élite du cyclisme mondial). Les stats ne suffisent pas.

«Il manque quelque chose, quel qu’un qui montre que c’est possible», avance Voeckler en piste d’explication. Le 4e du Tour 2011 se rappelle ne pas avoir réussi à s’imaginer en jaune sur les Champs. «La seule fois où j’étais en lice pour le remporter, j’aurais peut-être dû y croire plus. Pourtant, ce n’était pas une époque d’archi domination, le contexte était favorable, mais je n’y croyais pas moi-même.» Et l’ancien coureur de constater que le cycle se poursuit: «Aujourd’hui, ils sont rares, les Français à pouvoir rêver. En face, certains sont tellement supérieurs…» La traversée du désert n’est pas circonscrite à juillet. Le dernier coureur français à avoir remporté un classement général en World Tour: Pavel Sivakov, en 2019, sur le Tour de Pologne. Sauf qu’à l’époque, il était russe aux yeux du sport. Si non, il faut remonter à l’année 2007, avec Christophe Moreau sur le Dauphiné.

Une nouvelle vague pointe le bout de son nez

Alors, rideau? Julien Thollet, sélectionneur des juniors (la catégorie 17-19 ans) depuis une dizaine d’années, nous assure au contraire qu’il ressent toujours «une vraie attirance» pour le maillot jaune chez les jeunes qu’il entraîne. A l’occasion de stages, il mène des entretiens pour «savoir ce qui les pousse», et leur demande : «Quel est ton rêve le plus fou?» Le Tour arrive en tête. «Ils sont culturellement nourris par ça, inondés d’infos par les réseaux, la série Netflix a fait son effet également. Par contre, je ne perçois aucun intérêt avec cette date des 40 ans. Ils n’ont même pas le palmarès en tête, tout juste les sept ou huit dernières années.»

Une nouvelle vague, dont certains membres sont passés dans les rangs sélectionnés par Thollet, pointe le bout de son nez, dont il sortirait du lait si on le pressait. Mais ces jeunes coureurs lèvent déjà crânement les bras sur le circuit mondial: les Vauquelin, Grégoire, Martinez, avec, au bout du bout, un garçon de 18 ans, silhouette de mante religieuse, Paul Seixas. Passé pro cette année, il enchaîne les performances hors normes pour son âge (8e au Dauphiné, 3e du chrono des championnats de France à la fin juin) comme autant de présages. Thomas Voeckler se fait prophète : «On dit toujours qu’on n’a pas de Pogacar, d’Evenepoel… Peut-être qu’on en a un, cette fois ? Les personnes qui l’ont entraîné en jeune affirment qu’on n’a pas eu un tel phénomène depuis qu’on est capable de mesurer les données physiologiques.»

«Il m’impressionne, mais j’espère qu’il est bien accompagné d’un point de vue sportif, mais aussi en matière de gestion médiatique et psychologique, tempère Martin-Guyonnet. J’entends déjà des “C’est le futur vainqueur français du Tour”. Il ne faut pas qu’il se fasse manger par ça.» Julien Thollet pense au contraire que «cette pression-là, de la part des médias et des supporteurs, fait partie des cases à cocher pour remporter des grands tours». En attendant, son équipe (Decathlon-AG2R) a préféré le préserver des rayons brûlants de la Grande Boucle pour cette année. La France attend depuis quarante ans. Elle peut sans doute patienter quelques années de plus.

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Au-delà du classement général, quatre courses dans la course

Si l’affaire semble entendue pour le maillot jaune, d’autres combats vont se jouer à différents échelons de la Grande Boucle.

L.Mo.

On devrait voir différentes formations se glisser dans les échappées ou s’arracher au sprint, même pour une douzième place.

On peut l’annoncer sans trop trembler: Tadej Pogacar va gagner le Tour de France. Ou alors ce sera Jonas Vingegaard. On ne voit pas bien qui d’autre que ces deux-là, qui se sont arrogé les cinq dernières éditions de la Grande Boucle et ont terminé chacun deuxième quand ils ne gagnaient pas. Mi-juin, le Slovène et le Danois ont terminé facilement aux deux premières places du Critérium du Dauphiné, la course par excellence de préparation aux joutes estivales. Dans ce duel au soleil, avantage Pogacar, qui a étonné de facilité. Pour le suspense, on repassera (sauf accident bien sûr). Heureusement, il y a d’autres raisons de regarder le Tour. Voici quatre autres courses dans la course.

Les maillots vert, à pois, blanc

Outre celle pour la tunique jaune, d’autres batailles seront assurément disputées. Particulièrement le maillot vert (meilleur sprinteur), avec une petite dizaine de coureurs qui peuvent légitimement prétendre à la succession de l’Erythréen Biniam Girmay (Intermarché-Wanty). En la matière, le monde se divise en deux catégories: ceux qui ont d’énormes cuisses et ne passent pas les bosses (Tim Merlier, Jasper Philipsen, Jonathan Milan pour les plus rapides) et ceux à peine moins musculeux mais qui y parviennent (Mathieu van der Poel, Wout Van Aert, Biniam Girmay pour les plus en vue).

Si le maillot à pois (meilleur grimpeur) se joue souvent entre les cadors, qui s’accaparent les arrivées au sommet, un bon grimpeur lâché au général pourrait réussir à le gratter. Pourquoi pas le Français Lenny Martinez ? Enfin, Remco Evenepoel devra défendre son maillot blanc (de meilleur jeune, 25 ans ou moins) face à Carlos Rodríguez, Mattias Skjelmose et Florian Lipowitz, qui impressionne depuis le début de l’année et a terminé devant lui au dernier Dauphiné.

Les points UCI

Dans un jeu vidéo, on parlerait de sous-quête, pour certaines équipes, elle est pourtant primordiale : celle destinée à glaner des points attribués par l’Union Cycliste Internationale (UCI). Ils récompensent les quinze premiers de chaque étape et les places dans les différents classements. Ils servent aussi à déterminer quelles équipes disposent d’une licence World Tour, qui permet d’évoluer au plus haut niveau. Les promotions et relégations se font tous les trois ans, un cycle qui touche à son terme cette année. Epreuve la plus généreuse de la saison, le Tour est capital pour les équipes qui évoluent autour de la zone rouge: XDS-Astana, Picnic-PostNL, Cofidis et Uno-X Mobility. On devrait voir ces différentes formations se glisser dans les échappées ou s’arracher au sprint, même pour une douzième place.

Les coureurs en fin de contrat

Bonne nouvelle pour le progrès social: le cyclisme professionnel a découvert le CDI. Wout Van Aert, Mads Pedersen ou Marianne Vos ont récemment fait l’objet de «contrats à vie» (sportive) annoncés en grande pompe par leurs équipes respectives. Une rareté. La plu part du peloton continue d’être au régime du CDD de deux ou trois ans. Si le Tour n’est plus le grand forum pour l’emploi qu’il a pu être, il demeure une vitrine incontestable. Les mauvaises langues disent que la conquête d’un contrat était la principale motivation de Bob Jungels, en 2022, pour décrocher une victoire d’étape après un an et demi à ne pas faire grand-chose chez AG2R-Citroën. L’année suivante, il émargeait à la Bora-hansgrohe.

Parfois, un simple coup de pouce suffit : sur le dernier Giro, Dries De Bondt (Decathlon-AG2R) a pris un relais très remarqué pour Richard Carapaz (EF Education-EasyPost) dans le col du Finestre. Dans une interview, le Belge a expliqué qu’au matin de l’étape, le directeur sportif d’EF était venu lui tenir ce langage: «Ça va être très difficile pour nous d’envoyer des coureurs dans l’échappée matinale. Si tu en es et que tu peux jouer un rôle qui peut être décisif, alors quelque chose de sérieux peut en découler». Ça n’a pas plu à l’UCI qui a décidé de saisir sa commission d’éthique. C’est pourtant vieux comme le vélo, mais le tort est sans doute de l’avoir trop ouvertement assumé.

Les potentiels sponsors

Les équipes françaises n’ont pas la même envergure économique que les mastodontes étrangers. Les directeurs de ces structures doivent souvent partir en quête de nouveaux sponsors ou réussir à garder les actuels pour survivre. Jean-René Bernaudeau ainsi a su convaincre Total de rester une saison de plus tandis que Dominique Serieys de Decathlon-AG2R devrait arriver à remplacer AG2R en partance à la fin de l’année. L’Oréal a été évoqué. En revanche, on est inquiet pour Emmanuel Hubert, dont les deux partenaires principaux, Arkéa et B&B Hotels, ont annoncé leur départ. Ses coureurs vont devoir montrer au maximum le maillot rouge et noir de l’écurie bretonne pour tenter de la sauver. Ce sont les emplois d’une centaine de personnes qui sont menacés.

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