AUGENDRE - La mémoire du Tour s’est envolée
Les journalistes Jacques Augendre, Pierre Chany et l’écrivain Antoine Blondin (de gauche à droite) à bord de la fameuse voiture 101 de « L’Équipe » sur les routes du Tour 1963.
Ancien journaliste de « L’Équipe » et encyclopédie du cyclisme, Jacques Augendre aura suivi 55 Tours de France dans sa vie. Il est mort hier à l’âge de 99 ans.
“L’art de raconter le Tour est né,
par connivence, dans une unité de ton et d’esprit,
dans la voiture 101''
19 Feb 2025 - L'Équipe
ALEXANDRE ROOS
On le voyait encore il y a quelques années débarquer à l’improviste dans les locaux de L’Équipe ,au milieu de l’après-midi, le dos voûté, l’ouïe un peu endormie avec les années et c’était à chaque fois une opportunité magnifique de lui parler des temps anciens, de lui montrer des photos pour qu’il y reconnaisse des personnages que tout le monde avait oubliés. Jacques Augendre est mort hier alors qu’il allait atteindre un siècle d’existence en avril et c’est peu dire que le cyclisme a perdu une partie de sa mémoire, lui qui aura couvert 55 Tours de France, un record.
Il aura vécu la guerre, reçu Fausto Coppi sur un quai de la gare de Lyon, à Paris, pour sa première interview en 1946. Il fut l’ami de Louison Bobet, de Raymond Poulidor, de Bernard Hinault. Il racontait avec tendresse que sa mère avait été élevée tout près du Trocadéro et qu’elle allait chercher le lait dans la dernière ferme parisienne, dans le XVIe arrondissement, la Vacherie de l’espérance, qui était tenue par les parents des frères Pélissier. « Comme les Pélissier étaient des dragueurs, elle aurait pu devenir Mme Pélissier, pourquoi pas ? Mais ses parents se sont occupés d’un restaurant dans la Nièvre. Elle y a vu un jeune garçon qui courait à vélo, avec ses bacchantes. C’était mon père, Philippe. Ils sont tombés amoureux. Décidément, elle était faite pour épouser un coureur », souriait Jacques Augendre.
Son père fut en effet coureur à partir de 1909, notamment sur le circuit français Peugeot, le Tour de l’Avenir de l’époque, des étapes de 300 ou 400 bornes sur lesquelles « il emmenait des côtelettes de mouton attachées au cadre avec du chatterton », décrivait le fiston. Le paternel entraîna le temps d’un Championnat de France Lucien Petit-Breton, vainqueur des Tours 1907 et 1908, et c’est dans tout cet univers que le petit Jacques baigna. Lui-même courut un peu et disputa le premier pas Dunlop, le Championnat de France des débutants, en 1943, qui vit la victoire de Raphaël Geminiani. Mais il bifurqua rapidement vers le journalisme.
Des débuts à Témoignage chrétien en 1944, puis à L’Équipe en l’Agence centrale de presse en 1965, puis le Midi Libre, le Télégramme, des collaborations au Monde età Miroir du cyclisme, ainsi qu’un poste de documentaliste du Tour de France à partir de 1991. La Grande Boucle, il la découvre en 1949. Cette année-là, Coppi s’impose devant Gino Bartali, mais Jacques Augendre est téléphoniste, il dicte les papiers à la rédaction à Paris. À l’époque, les journalistes travaillent dans des salles de mairie, des théâtres, des postes, dans la fumée des cigarettes, et ils doivent souvent faire la queue pour trouver une ligne disponible. « J’ai vu un confrère italien pisser dans une cabine téléphonique, car il ne pouvait pas sortir, sinon il perdait son tour», rigolait Augendre.
Il rédigera des papiers sur le porte-bagages d’une moto, des coureurs venaient le voir en pleine course pour lui donner des nouvelles, «Hé Jacques, j’ai crevé deux fois, t’oublie pas!».
Il fut aussi de l’aventure de la voiture 101 de L’Équipe, où il s’asseyait sur la banquette arrière à côté de Michel Clare, ancien athlète, rédacteur en chef, et d’Antoine Blondin, l’écrivain, alors qu’à l’avant se trouvaient Jean Farges, le chauffeur, et Pierre Chany, qui passait sa matinée à relire sa copie pour y débusquer les coquilles et s’était étranglé quand il avait remarqué qu’à la place de «Marcel Bidot (directeur technique de l’équipe de France) fait la moue », il avait écrit « fait l’amour».
Augendre partageait souvent la chambre avec le patron du cyclisme du journal. «À chaque fois, il avait mal dormi, et à chaque fois il disait: “Ce soir, c’est une pomme et au lit à 8heures !” Mais Pierre n’a jamais réussi à se coucher à 8heures le soir », racontait-il. Pas plus qu’Antoine Blondin, le « gentleman fermeur », qui éclusait les bars et les boîtes de nuit jusqu’au petit matin, et à qui Augendre a consacré un livre, Blondin, un singe en été. Blondin qu’il avait vu dans sa chambre de l’hôtel Splendid, à Bordeaux, boire de l’encre qu’il avait confondue avec du Saint-Émilion et qu’il avait recrachée partout sur les murs, la moquette. « Le lendemain, il tombe nez à nez avec Goddet (directeur de L’Équipe et du Tour de France), poursuivait Augendre, qui lui dit : “Alors Antoine ? Le pastis, le vin blanc ne vous suffisent plus ? Vous buvez de l’encre maintenant?” Et à ces mots Antoine retrouve son souffle et rétorque cette chose mémorable: “Mais sinon comment voulez-vous que je pisse de la copie?” »
Jacques Augendre se remémorait avec douceur ce compagnonnage. « L’art de raconter le Tour est né, par connivence, dans une unité de ton et d’esprit, dans la voiture 101 », soutenait-il. Et lui était un conteur hors pair, capable de parler des courses des années 1910, des filouteries, des coureurs qui grimpaient dans des trains pour escamoter une partie des étapes. De raconter André Leducq, vainqueur des Tours 1930 et 1932 et de 25 étapes, arrêté pendant la guerre dans une rafle, avec des tracts pour la Ré1946, sistance dans sa mallette, avant d’être reconnu et libéré par un officier allemand. «J’étais présent le jour où il a raconté l’anecdote à Poulidor et lui avait balancé : “Tu vois Raymond, ça peut toujours servir d’avoir gagné le Tour!” »
Admiratif de Louison Bobet,
partisan de Raymond Poulidor
Jacques Augendre admirait Louison Bobet. «Je vibrais dans le Tour. Louison était en difficulté, j’avais le coeur qui battait », décrivait-il. Mais aussi Raymond Poulidor, dont il était un partisan, même s’il s’en défendait, dans le bras de fer qui l’opposait à Jacques Anquetil et déchirait la France. « J’aimais son bon sens paysan, justifiait-il, je considérais que son manque de réussite méritait non pas de la compassion mais des égards. Les gens se retrouvaient en Poulidor.»
Au-delà de ce grand théâtre, de tous ces personnages, Jacques Augendre aura vécu le métier d’une façon qui a fait rêver et inspiré des générations de journalistes. «Je ne sais pas si je m’en suis vraiment remis, soupirait-il, car la nuit, il m’arrive encore de cauchemarder. Je suis encore journaliste, j’ai oublié ma valise, je reste à quai, les trains ne partent pas, je n’arrive pas à écrire mon papier. Oui, la nuit, dans mon sommeil, j’ai encore l’angoisse de la page blanche.»
La nuit l’a désormais emporté, mais il nous a légué son angoisse, une certaine idée de la profession de reporter, le goût de l’aventure et sa passion pour le plus beau sport qui soit. À sa femme et à sa famille, L’Équipe adresse ses sentiments reconnaissants et émus.
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I giornalisti Jacques Augendre, Pierre Chany e lo scrittore Antoine Blondin
(da sinistra a destra) a bordo della famosa auto 101 “L'Équipe” sulle strade del Tour 1963.
AUGENDRE - La memoria del Tour non c'è più
Ex giornalista de “L'Équipe” ed enciclopedia del ciclismo, Jacques Augendre ha seguito 55 Tour de France nella sua vita. È morto ieri all'età di 99 anni.
“È nata l'arte di raccontare il Tour,
con la connivenza, in un'unità di tono e di spirito,
nell'auto 101”.
19 febbraio 2025 - L'Équipe
ALESSANDRO ROOS
Qualche anno fa, lo vedevamo ancora presentarsi senza preavviso negli uffici de L'Équipe, a metà pomeriggio, con la schiena ingobbita, l'udito un po' offuscato dagli anni, e ogni volta era una splendida occasione per parlargli dei vecchi tempi, per mostrargli le foto in modo che potesse riconoscere persone che tutti avevano dimenticato.
Ha vissuto la guerra e ha incontrato Fausto Coppi su un binario della Gare de Lyon a Parigi per la sua prima intervista nel 1946. Era amico di Louison Bobet, Raymond Poulidor e Bernard Hinault. Raccontava con affetto di come sua madre fosse cresciuta vicino al Trocadero e di come andasse a prendere il latte nell'ultima fattoria parigina rimasta nel XVI arrondissement, la Vacherie de l'Espérance, gestita dai genitori dei fratelli Pélissier. “Poiché i Pélissier erano dei seduttori, avrebbe potuto diventare Mme Pélissier, perché no? Ma i suoi genitori gestivano un ristorante nella regione della Nièvre. Là, vide un ragazzo in bicicletta, con le sue baccanti. Era mio padre, Philippe. Si innamorarono. Era destinata a sposare un corridore”, sorride Jacques Augendre.
Suo padre fu infatti un corridore a partire dal 1909, in particolare sul circuito francese Peugeot, il Tour de l'Avenir dell'epoca, tappe di 300 o 400 chilometri su cui “portava le costolette di montone attaccate al telaio con il nastro adesivo”, come lo descrive il figlio. Suo padre allenò Lucien Petit-Breton, vincitore dei Tour del 1907 e del 1908, ai campionati francesi, e fu in questo mondo che il piccolo Jacques crebbe. Per un po' gareggiò anche lui e partecipò al primo evento Dunlop, il campionato francese esordienti del 1943, vinto da Raphaël Geminiani. Ma si dedicò presto al giornalismo.
Inizia a lavorare al Témoignage chrétien nel 1944, poi a L'Équipe presso l'Agence Centrale de Presse nel 1965, quindi a Midi Libre, Le Télégramme, Le Monde e Miroir du Cyclisme, oltre a ricoprire il ruolo di documentalista del Tour de France dal 1991. Scoprì la Grande Boucle nel 1949. Quell'anno, Coppi vinse davanti a Gino Bartali, ma Jacques Augendre era un operatore telefonico che dettava i documenti alla redazione di Parigi. A quei tempi, i giornalisti lavoravano nei municipi, nei teatri e negli uffici postali, tra i fumi delle sigarette, e spesso dovevano fare la fila per trovare una linea disponibile. “Una volta ho visto un collega italiano pisciare in una cabina telefonica, perché non poteva uscire, altrimenti perdeva il turno”, ride Augendre.
Scriveva appunti sul portapacchi di una moto, e i corridori si avvicinavano a lui nel bel mezzo di una gara per dargli notizie: “Ehi Jacques, ho forato due volte, non dimenticartene!
Ha partecipato anche all'avventura dell'auto 101 de L'Équipe, dove sedeva sul sedile posteriore accanto a Michel Clare, ex atleta e caporedattore, e Antoine Blondin, lo scrittore, mentre davanti c'erano Jean Farges, l'autista, e Pierre Chany, che passava le mattine a correggere i suoi testi alla ricerca di errori di battitura e che si strozzava quando si accorgeva che invece di “Marcel Bidot (direttore tecnico della squadra francese) fait la moue” (fatto il broncio), aveva scritto “fait l'amour”.
Augendre condivideva spesso la stanza con il capo del ciclismo del giornale. “Ogni volta aveva dormito male, e ogni volta diceva: “Stasera una mela e a letto per le 8!”. Ma Pierre non è mai riuscito ad andare a letto alle 8 di sera”, ha raccontato. Nemmeno Antoine Blondin, il “contadino gentiluomo”, che era solito bere nei bar e nei locali notturni fino alle prime ore del mattino, e al quale Augendre ha dedicato un libro, Blondin, un singe en été. Aveva visto Blondin nella sua stanza all'Hotel Splendid di Bordeaux, mentre beveva dell'inchiostro che aveva scambiato per Saint-Émilion e sputava sulle pareti e sul tappeto. Il giorno dopo si trovò faccia a faccia con Goddet (direttore de L'Équipe e del Tour de France)”, continua Augendre, ‘che gli disse: ’Allora, Antoine? Il pastis e il vino bianco non ti bastano più? Bevi inchiostro, adesso? A queste parole Antoine riprese fiato e replicò in modo memorabile: “Sennò come farei a pisciare copie?".
Jacques Augendre ricordava con affetto quella compagnia. “L'arte di raccontare il Tour è nata, grazie alla complicità, all'unità di tono e di spirito, nell'auto dei 101”, sosteneva. Ed era un narratore impareggiabile, capace di parlare delle corse degli anni Dieci, delle scorrettezze, dei corridori che salivano sui treni per evitare alcune tappe. E André Leducq, vincitore dei Tour del 1930 e del 1932 e di 25 tappe, che fu arrestato durante la guerra in una retata con volantini per la Re1946 nella valigetta, prima di essere riconosciuto e liberato da un ufficiale tedesco. “Ero presente il giorno in cui raccontò l'aneddoto a Poulidor e gli dissi: "Vedi, Raymond, è sempre utile aver vinto il Tour!".
Ammiratore di Louison Bobet,
sostenitore di Raymond Poulidor
Jacques Augendre ammirava Louison Bobet. “Il Tour mi ha entusiasmato. Quando Louison era in difficoltà, il mio cuore batteva forte”, ha detto. Ma anche Raymond Poulidor, di cui fu sostenitore, anche se lo negò, nel braccio di ferro che lo contrappose a Jacques Anquetil e che lacerò la Francia. Mi piaceva il suo buon senso contadino”, ha spiegato, ”e ritenevo che la sua mancanza di successi meritasse considerazione piuttosto che compassione. La gente si rivedeva in Poulidor".
Al di là di tutto quel grande teatro e di tutti quei personaggi, Jacques Augendre ha vissuto la professione in un modo che ha ispirato generazioni di giornalisti. Non so se l'ho davvero superata”, sospirò, ”perché la notte a volte ho ancora degli incubi. Sono ancora un giornalista, ho dimenticato la valigia, sono seduto sul binario, i treni non partono, non riesco a scrivere il pezzo”. Sì, di notte, nel sonno, ho ancora la paura della pagina bianca.
La notte se l'è portato via, ma ci ha lasciato la sua angoscia, una certa idea del mestiere di cronista, il gusto dell'avventura e la passione per lo sport più bello che ci sia. Alla moglie e alla famiglia, L'Équipe rivolge un sincero e sentito ringraziamento.
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