Sagan, pour lui

Il aime taper des roues arrière sur la ligne d’arrivée, descendre des montagnes en VTT et pincer les fesses des filles sur le podium. Peter Sagan est-il une tête à claques ou le sauveur dont le cyclisme, devenu trop sage, avait besoin? C’est toute la question.

Par Pierre Koetschet, Avec Valentin Pauluzzi et Christophe Gleize à Zilina (Slovaquie) 


Il prend appui sur son guidon, lance un petit sourire narquois à la foule, et d’un coup de pédale, fait décoller la roue avant de son vélo. Un mètre, puis cinq, puis dix, Peter Sagan n’en finit plus de remonter la foule massée contre les balustrades. Aux abords du Rose Bowl, le stade de Pasadena, banlieue cossue de Los Angeles qui accueille l’arrivée de la dernière étape du Tour de Californie, on a rarement vu ça. Et Peter Sagan continue, sous les applaudissements yankees, comme s’il cherchait à exorciser un début d’année catastrophique et cumuler en une seule fois toutes les roues arrière qu’il n’a pas pu aligner cette saison. Car le wheelie est la marque de fabrique du garçon. Un geste de rock star, entre insouciance et arrogance.

Pourtant, ce Tour de Californie 2015 ne s’est pas donné à lui comme une groupie en tournée. Peter Sagan s’est employé, au point de s’écrouler de sa monture, le coeur au bord des lèvres sitôt passée la ligne d’arrivée de l’étape de montagne. L’abnégation n’est pas vraiment le trait de caractère le plus marquant du personnage.

Jeune, Little Peto –surnom hérité de sa petite taille alors– est un enfant gentil et rieur, couvé par ses grands frères et surtout sa grande soeur pendant que les parents triment à la pizzeria et l’épicerie familiale. Il ne pense qu’à une chose: aller le plus vite possible. “L’adrénaline, c’est mon seul moteur”, en sourit-il encore. Et voilà vingt-cinq ans que cela dure. “Il n’avait de respect ni de peur pour rien ni personne, confirme Matej Vysna, un de ses premiers partenaires d’entraînement à Zilina, ville slovaque de province coincée entre les frontières tchèque et polonaise. Je crois qu’il a essayé tout ce qu’il est possible de faire en termes de danger, que ce soit avec son VTT, sa moto ou sur des skis, quand l’hiver arrivait. Un jour, j’ai essayé de l’empêcher de prendre un énorme tremplin. Il aurait pu se faire mal, mais il s’en foutait, il n’écoutait rien.”


Il gagne avec le vélo de sa soeur
“Le seul problème c’est qu’il était paresseux”, souffle Milan Novosad, son premier entraîneur. Regard bourru, polo serré et jean feu de plancher, Milan Novosad a une tête à élever les gymnastes russes en batterie. Il reçoit dans son garage de Zilina, qui sert aussi de siège social pour le club. Au milieu des roues de vélo et dans un anglais à couper au couteau, il cherche parfois ses mots sur Google traduction. “Mais même s’il n’aimait pas beaucoup s’entraîner, il avait un talent incroyable. Même la plus dure des descentes était une formalité.” Peter écume toutes les collines boisées qui entourent Zilina, le plus souvent en basket et t-shirt, avec déjà un signe distinctif. “À chaque arrivée, il franchissait la ligne en roue arrière, que se soit sur route ou en VTT”, rembobine Milan Novosad. Un épisode va forger la légende du jeune prodige de Zilina. “Un jour, j’ai cassé mon vélo, alors le lendemain, j’ai couru avec celui de ma soeur”, élude l’intéressé, pas connu pour être un grand bavard. Milan Novosad, lui, a des souvenirs un peu plus vivaces. “Il a commencé à examiner le vélo de sa soeur et il l’a trouvé pas mal, faute de mieux, alors qu’il n’y avait pas toutes les vitesses…

C’était pas un vélo de course. Il a passé toute la nuit à le retaper et le lendemain il a gagné avec. Petit ou grand, cassé ou non, il s’en tapait complètement, de son vélo. Il voulait juste faire de la compétition et gagner.”

“Je dois rester avec Lance ou je peux suivre les échappés?”
Venu au vélo pour imiter son grand frère Juraj, de deux ans son aîné, l’adolescent devient très vite la star des courses du coin. “Dès les cadets, il a eu des très bons résultats dans toutes les catégories, que ce soit en VTT, en cyclo-cross ou en cyclisme sur route, raconte Pavol Galik, manager du cyclisme sur route à la fédération slovaque. Il suffisait de regarder ses courses pour voir ce qui le séparait des autres.” 

Avec la fédération, Little Peto –qui a pris entre temps quelques centimètres pour culminer à 1,83 mètre – commence à écumer l’Europe. Seul problème, si niveau jambes il carbure au Super, c’est plutôt du sans plomb côté cerveau. “Il partait seul à l’abordage avant de se faire rejoindre dans les derniers kilomètres”, soupire Milan Novosad. “Dès qu’il est arrivé chez Dukla Trencin Mérida, il a été nommé leader de l’équipe. Moi, j’étais son domestique”, rigole Matej Vysna, ancien coéquipier à Zilina et Dukla. Grand pote de Juraj, il a bien saisi la particularité du petit frère.

“Avec Juraj on était très sérieux, on ne faisait que parler de vélo. Lui ne pensait qu’aux filles, aux fêtes et à faire de la moto. On l’a aidé à gagner pas mal de courses. Il avait besoin de nous car le gros problème de Peter, c’est qu’il n’a jamais rien compris à la tactique de course (rires). Il n’aime pas ça, il aime juste aller tout droit et très vite.” 

Le monde du cyclisme apprend très vite à connaître le phénomène. Après une deuxième place à Paris-Roubaix junior et au mondial junior de cyclo-cross, Sagan signe son premier contrat dans l’équipe slovaque de Dukla Trencin Mérida.

Les gros poissons sont sur le coup. Au premier rang, Patrick Lefevere lui fait passer un essai chez la Quick-Step. Verdict sans appel: pas taillé pour le cyclisme pro. Dégoûté, Sagan pense arrêter la route pour se consacrer au VTT, mais les Italiens de Liquigas le rattrapent par le col et le mettent à l’aise en engageant aussi son frère Juraj. Arrivé chez les pros, le cadet ne tarde pas à tout casser. La saison 2010 commence avec le Tour Down Under en Australie. “Armstrong disputait cette course. Il était venu nous saluer quand on mangeait un soir après une étape, et nous avait dit que Sagan irait très loin”, exhume Mario Scirea, directeur sportif à la Liquigas de 2005 à 2014. Son ancien gregario de l’époque, Tiziano Dall’Antonia, a encore en mémoire ce séjour australien: “Le directeur sportif lui a lancé le défi de rester dans la roue d’Armstrong dans la montée. À ce momentlà, Evans et Sanchez partent et on entend Sagan à la radio: ‘Je dois rester avec Lance ou je peux suivre les échappés?’ Il est parti et les a repris tranquillement.”


La bise et les fesses de l’hôtesse
La machine Sagan est lancée. Il enchaîne avec Paris-Nice, où il remplace au pied levé un coéquipier blessé. “Étape d’Aurillac, on était sur une grande route et ensuite on tournait à droite vers une petite avec une côte, déroule Scirea, l’oeil brillant des anciens combattants qui racontent leur plus belle montée au front. J’avais dit aux gars: ‘On reste devant et on fait gaffe aux finisseurs.’ Radio-course annonce une attaque de Contador. Peter a suivi. Je lui ai dit de tenir, de rester tranquille, de se faire amener au sprint. Il gagne devant Purito, Roche, Voigt, Martin et Contador.” 

Le Slovaque récidive deux jours plus tard, où il met les gaz dans le dernier raidard et aligne Valverde. 

“Là, on a compris à qui on avait affaire, embraye Scirea. Une victoire peut arriver par hasard, mais la seconde, ça ne pouvait pas être de la chance.” 

Sagan gagne alors le surnom de Tourminator et une solide réputation dans le peloton. Mais pas de quoi se prendre la tête. “Ses coéquipiers ont tous beaucoup d’affection pour lui, assure Mario Scirea. Il a toujours envie de déconner. Ils l’invitaient souvent à manger. En revanche, en course, il ne s’est jamais énervé et ça c’est un défaut. Un leader ne doit pas juste féliciter ses coéquipiers, il doit savoir s’énerver aussi quand les choses ne vont pas bien.” Lui s’en fout, gagne toujours et enchaîne les pitreries. Comme après sa deuxième place sur le Tour des Flandres 2013, où il pince sur le podium la fesse de Maja Leye, hôtesse chargée de déposer un baiser sur la joue de Fabian Cancellara, le vainqueur du jour. Stupeur, indignation, excuses publiques.

“Pfff, plutôt que de critiquer, ils devraient profiter de lui… soupire Milan Novosad, son entraîneur de toujours, sans préciser qui sont “ils”. Il a toujours aimé faire le spectacle pour son fan club et ses amis. Comme quand il est devenu champion du monde de VTT, à Val di Sole. Il s’est arrêté avant la ligne pour regarder en arrière, a mis ses mains en visière pour voir s’il y avait des poursuivants, et il a fini par gagner en marchant avec son vélo! (rires)” Le déconneur confirme: “Le vélo, c’est du travail, mais c’est aussi du fun.”


Bonjour tristesse et Oleg
Seul problème, avec les victoires arrivent les responsabilités et l’argent. “L’an dernier, il a commencé à galérer. Il y a un peu de tout, la pression, le fait qu’il soit désormais craint par ses adversaires, tous courent contre lui, analyse Jan Svorada, parrain du cyclisme slovaque. Il commet des erreurs tactiques aussi, il fait trop de sélection, et se retrouve vite seul. Je pensais que cela allait changer dans sa nouvelle équipe, mais non.”

Été 2014: alors qu’il collectionne les places de deux sur le Tour de France, Sagan signe chez le magnat du vélo Oleg Tinkov, pour un salaire entre trois et quatre millions par an. Une seule obligation: lever des bras. Et vite. Tinkov est du genre impatient. Sauf que son nouveau poulain n’y arrive plus, à l’image du Grand Prix E3 Harelbeke. Parti en costaud avec Zdenek Stybar et Geraint Thomas dans le vieux

Quaremont, Sagan roule en réserve quand le Gallois attaque à 4 kilomètres de l’arrivée. Sans jus, il finit trentième. Un bon résumé de son début de saison, où il peine à sauver l’honneur tandis que Tinkov fulmine sur Twitter. “Il ne comprend pas, on en a parlé récemment, rapporte Mauro Da Dalto, son équipier à Liquigas. Il m’a dit que c’était surtout un problème de préparation: ‘Je suis à la perfection ce qu’on me dit de faire. Avant, je ne faisais jamais une montée de plus de 5 kilomètres, maintenant j’en fais de 15 à 20 bornes, et bon Dieu, il n’y a aucune amélioration.’” 

Jusqu’à ce redoux californien. À portée de fusil de Julian Alaphilippe avant la dernière étape, Sagan dépasse d’un boyau Tyler Farrar pour arracher la troisième place, la bonification et voler au frisson français de la saison la victoire finale. De quoi s’offrir un wheelie d’anthologie avant de se tourner vers son principal objectif de la saison: un quatrième maillot vert sur le Tour en quatre participations. S’il est d’humeur, il offrira peut-être une roue arrière au sommet de l’Alpe d’Huez. Parce qu’une rock star, même en plein doute, même en pleine rédemption, se doit toujours à son public. •PROPOS RECUEILLIS PAR PK,

VP ET CG

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