Sean Kelly



Quand vous êtes passé dans les rangs des professionnels, c'est Jean de Gribaldy qui vous a signé. Est-ce vraiment vrai qu'il est venu jusqu'à la ferme de vos parents avec un contrat en main ? 

Oui, c'est vrai ! Je suis allé courir en France en 1976. Je suis resté pendant peut-être 6 mois dans un club à Metz, j'ai eu de bons résultats et j'ai gagné beaucoup de courses. J'ai participé au Tour de Bretagne (en 1975) sous le maillot de l'équipe nationale irlandaise. J'ai été suspendu de l'équipe après être allé participer à une course en Afrique du sud, j'aurais certainement été sélectionné pour les Jeux Olympiques de 1976, que j'ai manqués de ce fait. Alors j'ai décidé de retourner courir en France, et fin 76 on m'a proposé un contrat avec l'équipe de Jean de Gribaldy. Il avait pris contact avec moi par l'intermédiaire de mon club alors que je ne l'avais jamais rencontré ! J'ai refusé, en répondant que je voulais rester amateur et que j'étais encore trop jeune. Je suis retourné à la maison en Irlande, et effectivement il est venu me voir jusqu'en Irlande en octobre avec un contrat à la main. 


Il était un personnage étonnant, à quoi ressemblait-il ? 

Comme directeur sportif, il était très en avance sur son époque. Il a eu quelques grandes idées. Par exemple, il était en avance de 10 ans sur tout le monde en matière de régime. Il savait, 10 ans avant que les autres équipes se préoccupent de cette question, ce que vous pouviez manger ou non. Pour l'entraînement, il était là aussi un précurseur. A l'époque, les coureurs parcouraient des distances incroyables sur leur vélo. Ils faisaient des sorties journalières de 5 à 6 heures, de vrais marathons. C'est lui qui m'a incité à faire des sorties plus courtes alternées avec une longue en milieu de semaine. Là aussi, c'était 10 ans avant les programmes d'entraînement pointus. J'ai vite réalisé qu'il possédait des qualités incroyables, car j'avais déjà pratiqué l'entraînement !


«Tout le monde prétend l’avoir découvert » sourit Jean Pierre Douçot, qui fut coureur amateur chez Jean puis directeur sportif du CC Etupes, revient sur la genèse de cette épopée franco-irlandaise écrite à deux mains. 

«Tout le monde ou presque prétend avoir découvert Sean Kelly. Mais je fus bien le premier à en parler à Jean de Gribaldy». L’Irlandais, encore amateur en 1976, court en France chez les amateurs au club de Metz-Woippy. « La première fois que je l’ai vu, c’était à Cousance, une petite commune du Jura proche de Lons-le-Saunier. Au bout de 50 kilomètres de course, sur un circuit très exigeant, il comptait deux minutes d’avance. Derrière, on s’est uni pour rouler derrière lui, en vain, il l’a emporté haut la main».

Jean-Pierre recroise le jeune irlandais au Tour de Haute-Marne. Respectueux du règlement, Sean marque l’arrêt à un passage à niveau qui se ferme devant lui, ce qui n’empêche pas tous les coureurs français de passer sauf un qui s’accroche avec Kelly. Le ton monte et les deux coureurs finissent par se castagner. Visiblement plu aguerri, Kelly laisse l’autre à son triste sort un peu sonné et repart, imperturbable, pour rejoindre le paquet et finalement gagner l’étape. 

De retour au magasin de Besançon, Douçot parle de sa découverte au Vicomte qui l’oublie. Têtu, il revient à la charge en octobre et finit par convaincre Jean de Gribaldy qui part seul la nuit même en direction de l’Italie. Il assiste admiratif, à la victoire de Sean au Tour de Lombardie amateur. 

Convaincu, et ne souhaitant pas laisser s’échapper l’oiseau rare convoité par d’autres, Jean de Gribaldy embarque dans son avion et s’envole vers l’Irlande avec Noël Converset, un coureur franc-comtois qui a couru avec Sean en Lorraine. Il se pose à Dublin et parcourt 160 kilomètres pour atteindre Carrick-on-Suir, ville natale de l’irlandais, et enfin trouve Kelly, perché sur son tracteur à labourer les terres de la ferme de ses parents, dit la légende. « Ce que dont je me souviendrai toujours, c’est de voir ce personnage, élégant et réservé, sortir d’un taxi devant chez moi, en Irlande, un contrat à la main ». Jean lui propose 4000 £ hors primes de courses. Kelly fait face à cet homme déterminé venu de fort loin et songeant au long et insolite périple qu’il vient de s’imposer, se dit qu’il vaut sans aucun doute un peu plus. Une semaine plus tard, il demande 6000 £, qu’il obtient. 

Pendant deux années, Sean Kelly vit à Besançon, dans une petite chambre au-dessus de son magasin. Le week-end, il profite du vaste jardin de la propriété de Jean sur la colline de Bregille, et s’attire les foudres du Vicomte quand il le surprend avec ses neveux perché sur un arbre à la chasse aux cerises. 
Kelly n’a pas vingt et un ans, mais ces deux-là feront désormais cause commune et écriront ensemble l’une des pages les plus remarquables de l’histoire du cyclisme moderne. Ainsi débutent les « années Kelly » ou la « balade irlandaise », qui feront de l’Irlandais le meilleur coureur du monde. 


* voir la rubrique témoignages.

Interview de Sean Kelly, avril 2007

"J'étais quelqu'un qui retrouvait la forme rapidement. Je n'avais pas besoin d'une grande quantité de kilomètres pour retrouver la condition. A l'époque, j’ai intégré l'équipe de Jean de Gribaldy. J'ai commencé ma carrière avec lui, pendant 2 saisons, par la suite je suis allé chez Splendor en Belgique pendant deux années, mais je suis retourné auprès de lui. J'ai beaucoup appris de Jean. Non seulement en ce qui concerne la saison en tant que telle mais aussi l'entre saison. Je me souviens qu'il m'appelait au moins deux fois par mois pendant l'hors saison, me demandant comment les choses allaient et si j’avais bien fait 2 ou 3 sorties durant la semaine. Il me disait également de faire attention avec la nourriture et de ne pas manger trop. "Du calme à table" me disait-il, parce qu'il savait que ces kilos superflus accumulés étaient très difficiles à perdre. 

Je me souviens quand nous sommes revenus pour le début de la saison, nous avons commencé par Bessèges dans le Sud de la France puis par le Tour de Méditerranée et toutes ces courses... Il était là à chaque fois, regardant par dessus votre épaule le temps du petit déjeuner et du dîner, vous observant. J'ai suivi ses enseignements et j'ai commencé à obtenir vraiment des résultats, en gagnant Paris-Nice et le Tour de Lombardie". Jean s'est tué dans un accident de voiture en janvier 1987, mais Sean a toujours ressenti très fortement son influence par la suite. "Longtemps après sa mort, j'ai ressenti pendant des années sa présence et l'impression qu'il regardait au-dessus de mon épaule quand j'étais à table. C'était ancré en moi. Je pense que c'est quelque chose qui m'aidait vraiment au début de la saison, car je retrouvais la compétition sans trop de poids à perdre. Tout cela aide beaucoup. Les méthodes d'entraînement ont beaucoup changé depuis lors, mais Jean de Gribaldy était en avance sur son époque ». Tout cela a permis à Sean Kelly d'avoir toujours la bonne approche. "Rester en contact avec l'entraînement est important. A cette époque, les coureurs prenaient 3 ou 4 semaines de vacances, ne faisant presque rien. Cela m'a rendu service de ne jamais cesser l'entraînement, c'est la raison pour laquelle je retrouvais la condition rapidement."

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