AU PARADIS DES SOUFFRANCES


https://www.lequipe.fr/Cyclisme-sur-route/Article/Les-strade-bianche-et-le-monte-sante-marie-rendez-vous-au-paradis-des-souffrances/1383900

Les guerriers des Strade Bianche devront survivre aujourd’hui au Monte Sante Marie, le secteur le plus difficile de la course toscane, là où Tadej Pogacar s’était envolé l’an passé. Un lieu sublime, qui abrite un village oublié, théâtre de bien d’autres batailles.

“C’est sans doute le secteur le plus difficile de la course"
- THIBAUT PINOT

L'Équipe, 4 Mar 2023
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL ALEXANDRE ROOS

MONTE SANTE MARIE (ITA) – Le cyclisme est un sport sadique, dont les théâtres naturels les plus majestueux sont aussi des lieux de torture pour ceux qui s’y aventurent à vélo. La beauté y est associée à la dureté et en la matière, les Strade Bianche en sont un des exemples les plus parlants. Les crêtes siennoises qui ondulent au sud de la ville éponyme ont été dessinées par une main divine ou par celle d’un géant, en fonction du type de fables que l’on préfère, ce vert granny smith, ces cyprès au garde-à-vous, ces oliviers aux feuilles argentées, mais les chemins de terre qui y serpentent sont des coupe-gorges cahoteux et la classique italienne est devenue en un claquement de doigts, depuis son lancement en 2007, une des courses les plus difficiles du calendrier. Dans cette boucle autour de Sienne, le long de ces onze chemins blancs, celui de Monte Sante Marie s’illustre par sa cruauté. Un chameau qu’on aurait étalé au rouleau à pâtisserie sur 11 km, un terrain tout le temps en prise, avec deux bosses principales, dont la première où la pente affiche 18 % à certains endroits. Pas forcément le secteur décisif, mais il ouvre le final, à 50 kilomètres de la piazza del Campo, même si les frontières du concept de « final » sont aujourd’hui fluctuantes, fonction du niveau de folie avec lequel les bolides actuels se lèvent le matin.

C’est en tout cas là que Tadej Pogacar avait tout fait exploser l’an passé, d’abord dans une portion descendante, puis avec une deuxième couche dans la pente qui suivait. « C’est sans doute le secteur le plus difficile de la course, tranche Thibaut Pinot, qui l’a reconnu hier matin, d’autant qu’il s’enchaîne avec celui d’avant, San Martino in Grania, très dur aussi, 9km tout en montée. Forcément, c’est toujours là que le groupe de la gagne sort. C’est difficile aussi parce que les deux petites descentes sont assez techniques, les vrais spécialistes des chemins blancs arrivent à lâcher du monde. »

Derrière le décor de carte postale, le Monte Sante Marie a vécu les spasmes de l’histoire, et même ses tremblements, puisqu’un séisme a ravagé la région en 1909. Le chemin a été une route stratégique pendant des siècles, car il reliait deux axes importants à plus d’un titre, le commerce, les manoeuvres militaires, les pèlerinages, l’un de Sienne à Arezzo, l’autre de Sienne à Asciano et jusqu’aux rives de la mer tyrrhénienne. « On dit que cette route est encore là en raison de décisions sages, mais en réalité, elle a été totalement oubliée, abandonnée, souffle Stefano Tesi. En dehors de deux jours dans l’année, pour les Strade Bianche et l’Eroica (la cyclo-sportive), elle n’existe pas. La preuve, on n’a même pas d’eau courante, les fermes du coin se font livrer des citernes par des camions, ni de système pour collecter les déchets. » Stefano Tesi a récupéré les ruines de l’ancien village de Monte Sante Marie, niché au milieu du secteur derrière une rangée de cyprès centenaires, au milieu des années 1980, après un hiver terrible où le thermomètre était descendu jusqu’à -25 degrés et où tous les oliviers du coin avaient été ravagés. Sa famille a vécu plus de 400 ans dans ce bourg qui compta jusqu’à 1 600 habitants au XIVe siècle, avant que la peste ne décime la population, et encore 600 dans les années 1950, avant l’exode rural et la fin du système de métayage, jusqu’à la mort du dernier habitant en 1976.

Hier, Stefano Tesi nous a guidés dans les méandres de ce village oublié, à travers les dix-sept bâtiments qui tiennent encore debout et de multiples escaliers aux marches biscornues. En haut de sa plus haute terrasse, où la vue s’étale d’un côté jusqu’à la colline de Montalcino et où l’on comprend pourquoi Monte Sante Marie fut longtemps un lieu de surveillance et de batailles. De l’autre, on surplombe la place du village, l’église, qui date du XIIesiècle, l’ancienne école, le dancing dont la façade lépreuse est grignotée par les plantes grimpantes, le four d’où l’on sortait les briquettes d’argile rouge des futures bâtisses. Jusqu’aux souterrains, qui s’étagent sur plusieurs niveaux jusqu’à 27 mètres de profondeur, où l’on peut trouver les fondations de la tour de guet construite au VIIIe siècle, au moment de la domination lombarde, ou l’arche d’entrée de l’ancien château, théâtre de nombreuses batailles au XIIesiècle entre les troupes siennoises, florentines ou même teutoniques, notamment. « À chaque fois que je vois un trou ou que j’abats une cloison, je fais des découvertes incroyables, se réjouit Stefano Tesi, en sirotant une bière qu’il fait fabriquer et qu’il a baptisée la risalita, l’ascension. L’histoire sort de partout ici. » Des fusils dans un mur datant de l’époque napoléonienne; des plans laissés par les Allemands qui avaient occupé les lieux pendant la Deuxième guerre mondiale; des tunnels secrets un peu partout ; des blasons du XVIe siècle de grandes familles siennoises, qu’un ami archéologue l’a aidé à expertiser. Aujourd’hui, Stefano Tesi se placera au bout du chemin pour voir passer les guerriers des Strade Bianche, qui l’estomaquent chaque année quand ils avalent la pente. Demain, le parcours sera ouvert à 6000 cyclos. Mais le Monte Sante Marie leur sera interdit et ils seront déviés à partir d’Asciano. « Ils ont jugé que les risques d’attaques cardiaques étaient trop élevés tellement c’est dur, ils ne veulent pas de morts » , lâche, sérieux, Stefano Tesi. En termes de souffrances, du paradis à l’enfer, il n’y a parfois qu’un pas.

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