UNE FURIE


Au terme d’une course folle où il a chuté à 16 kilomètres de l’arrivée, le Néerlandais MATHIEU VAN DER POEL est devenu champion du monde. Il devance le Belge Wout Van Aert et le Slovène Tadej Pogacar.

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL ALEXANDRE ROOS
L'Équipe, 7 Aug 2023

GLASGOW (ÉCOSSE) – On aura tout dit sur ce circuit des Championnats du monde de Glasgow, du poli « indigne » au plus familier «de merde» , qu’il était sorti de l’esprit d’un « tordu » ou d’un « mec bourré » , mais on avait oublié que les désaxés et les ivrognes peuvent être des personnes très créatives et surtout que de la laideur pouvait naître la beauté.

Bon sang, quel Championnat du monde, quelle frénésie, six heures d’une bagarre totale qui nous grillèrent le cerveau tant on ne comprenait rien de ce qui était en train de se passer et nous emmenèrent au bord de l’épilepsie à force de voir ce dragon furieux foncer dans le labyrinthe écossais, sans jamais s’arrêter alors qu’on aurait eu besoin à quelques moments de mettre sur pause pour reprendre nos esprits. Le Mondial d’Harrogate (Angleterre) en 2019 avait laissé son empreinte pour ses conditions épouvantables, celui de Louvain (Belgique) deux ans plus tard avait été le théâtre d’une baston enclenchée à 180km de l’arrivée, mais la course avait tout de même répondu aux canons habituels, avec des stratégies d’équipes, des temps morts. Celui de Glasgow restera comme le plus féroce depuis bien longtemps, il a fait exploser tous les codes et brûler les mains de tous ceux qui tentèrent de le contrôler.

Il y flottait une atmosphère surréaliste, une ambiance d’apocalypse et de fin du monde, comme si cette bande de punks était en train de disputer la dernière course qui serait. Le peloton? Un concept ringard, remplacé par un mille-pattes géant qui tortillait dans les rues de Glasgow et se faisait cisailler par l’arrière à chaque relance, dans chaque taquet. Quand ils posèrent leurs roues sur le tourniquet de Glasgow, à 150 bornes du terme, les coureurs ne débranchèrent plus jamais et on ne pourrait rendre compte de toutes les attaques, de toutes les accélérations, tous ces coups de canif qui allaient être facturés tôt ou tard.

Pogacar pris d’un malaise en zone mixte, 
Bettiol à l’agonie sur le bitume

Pour comprendre le monde de souffrance et de violence dont ils venaient de s’extirper, il suffisait d’observer l’aire d’arrivée. Les plaies de Mathieu Van der Poel, jambe droite lacérée, stigmates de sa chute à 16km de l’arrivée alors que l’arc-en-ciel lui tendait les bras, des blessures superficielles qui ne disaient pas l’univers de douleur qu’il avait exploré pour s’extirper à 22 km du terme et contenir le retour de Mads Pedersen, Wout Van Aert et Tadej Pogacar. Le Slovène, justement, pantin subitement invertébré, pris d’un malaise en zone mixte et dont il fallut soutenir la frêle carcasse pour empêcher qu’il ne s’évanouisse. Ou Alberto Bettiol, à l’agonie sur le bitume, les bras en croix, qu’il fallait « ranimer » de gorgées d’eau car il ne pouvait plus le faire lui-même, tétanisé par son raid solitaire entamé à 50 km de la ligne et achevé au moment de l’attaque de mammouth de Van der Poel.

Les rescapés avaient payé cher pour voir le bout du tunnel et échapper aux coups de mâchoire de ce parcours cruel, qui ne laisserait aucune deuxième chance et avait éliminé Matteo Trentin sur chute à 80km de l’arrivée – alors que les Italiens avaient jus

que-là bien manoeuvré – ou Christophe Laporte sur crevaison un peu plus tôt, au moment où les Belges avaient lancé les grandes opérations. Un supplice pour le Français, tant il était impossible de survivre à un incident mécanique dans cette configuration, et son abandon coula définitivement les espoirs de l’équipe de Thomas Voeckler dans ce Mondial, même si à ce moment-là Benoît Cosnefroy et Valentin Madouas naviguaient encore à l’avant, mais ils n’étaient qu’en sursis ( lire page6).

Van der Poel, 
le plus impitoyable d’un quatuor infernal

À l’arrivée, certains continuèrent à critiquer le circuit écossais, à lui reprocher ces coups de sort, mais le paradoxe de ce tracé atypique aura été d’entériner une hiérarchie indiscutable, de propulser les plus costauds aux avant-postes, les quatre monstres qui ne cillèrent même pas quand des averses s’abattirent sur eux dans la dernière heure, ce qui ne serait pas arrivé sans l’interruption de la course pendant plus de cinquante minutes, dans la matinée, alors que des manifestants avaient décidé de se plâtrer à la chaussée sur la partie en ligne.

Le quatuor infernal avait mené la danse tout le long des dix tours et il avait été clair assez rapidement que Remco Evenepoel, qui faisait le yo-yo, ne serait pas en mesure de suivre leur staccato incessant. Comme il était écrit que le plus impitoyable d’entre eux allait triompher, et, depuis quelque temps, Van der Poel est un tueur de sangfroid.

Quand le Néerlandais accéléra et que l’écart se creusa, on devinait qu’il ne serait jamais repris, malgré sa gamelle, tant il avalait encore les bosses, dents serrées, et que sa gestuelle contrastait avec le trio derrière, en surcuisson, Van Aert qui s’était recroquevillé sur son vélo, tête rentrée dans ses épaules, ou Pogacar dont le coup de pédale s’était subitement disloqué. Le Slovène garda juste assez de force pour battre Pedersen au sprint et lui chiper la troisième place. Quant au Belge, il avait trouvé des ressources pour s’isoler sous la flamme rouge et filer vers l’argent, mais il avait subi une nouvelle fois la morsure de son meilleur ennemi. Jusqu’au bout, ce Mondial aura été cruel, un chef-d’oeuvre de beauté sauvage.

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