Le murmure de Huy


Ascension parmi les plus emblématiques au monde depuis quarante ans qu’elle incarne l’arrivée de la Flèche Wallonne, le mur de Huy, quartier bourgeois qui se refuse au commun des cyclistes, sortira demain de sa torpeur.

16 Apr 2024 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL PIERRE MENJOT

HUY (BEL) – Les services techniques de la ville s’affairent. Dans quelques jours, la Flèche Wallonne va se décider là, sur ces terribles pentes du mur, alors il est l’heure de tondre les pelouses, de passer un coup de rotofile et de nettoyer le chemin des Chapelles, le nom officiel de la rue, avant l’arrivée du public. Lors de notre visite, lasemaine dernière, les jardiniers étaient bien les seuls à perturber la quiétude du lieu. On pensait y sentir un frémissement, un début d’excitation dans l’attente de ce jour où Huy devient la capitale des murs, le paradis des puncheurs, depuis bientôt quarante ans que la classique ardennaise se finit là (1985), au sommet de ces 1 300 mètres à 9,6 % de moyenne et certaines portions à 19%. On y a trouvé des maisons chics en briquettes, les six chapelles menant à l’église Notre-Dame de la S art eau sommet, un télé travailleur en pleine réunion visio dans sa véranda, une mamie tirant un peu fort sur la laisse de son bichon. Et attendu une heure l’arrivée d’un cycliste. En vain.

Une ville qui souffre de la désindustrialisation

«Ça dépend de la météo, s’excuse Jordan Berny, serveur depuis quinze ans au Cortina, le seul restaurant au sommet. Mais dès qu’il y a un rayon de soleil, on voit passer des cyclistes toute la journée, surtout quand on approche de la Flèche. Pour les néerlandophones, c’est comme un rite de passage, ils viennent deux jours avant la course et veulent monter le mur.»

Il y a des gens venus d’encore plus loin, Australiens, Néo-Zélandais, Californiens, en pèlerinage cycliste en Europe et qui se coltinent les bergs flamands ou les pavés de Paris-Roubaix, puis Huy, «mystifiés d’être là, dans la légende du mur» , promet Edward Godby, l’un des copropriétaires du Mur Coffee, situé au pied de l’ascension et où Tiesj Benoot (VismaLease a bike) s’était arrêté il y a une paire de jours. «Il a pris deux cappuccinos et deux parts de cheesecake, il a mangé ça en dix secondes, c’est fou les calories qu’ils brûlent ces gars» , a même relevé le serveur. Mais on est loin du marketing à la flamande, puisque la ville, de taille moyenne (21 000 habitants) et qui souffre financièrement avec la désindustrialisation, loin de son surnom de « Ville aux millionnaires » auXIXesiècle, n’a pas développé le filon. Ni musée ni boutique, juste la création d’un tronçon «mur de Huy» sur la plateforme Strava. « C’est comme à l’école, on peut toujours faire mieux », souffle Didier Gengoux, de l’office du tourisme.

"C’est une côte mythique, photogénique, 
avec l’histoire des chapelles, du pèlerinage. 
Ce n’est pas juste une côte, 
il y a toute une histoire derrière"
   - BERNARD PERRIER, COPROPRIÉTAIRE DU MUR COFFEE 

Si le coin est connu du monde entier, et draine donc parfois les riches cyclotouristes par poignées,c’estcommesilesHutois– les habitants de Huy – n’y prêtaient aucune attention ou presque. «C’est notre tour Eiffel oui, et on est évidemment très fiers de ça » , lance Bernard Perrier. LeWallon, cycliste amateur, est un gars du coin et c’est lui qui a ouvert le café avec Edward Godby.


Alors le brancher sur le mur assure de longues tirades enthousiastes, quand bien même il prépare un bagel « Van der poulet» pour un client.

«Maintenant, si on parle avec des locaux qui ne connaissent pas le vélo, ils ne se rendent pas compte à quel point le mur de Huy est connu dans le monde entier, comment les gens qui viennent sont ébahis d’être là, reprend-il en prononçant l’endroit “oui’’, comme tout le monde ici. C’est une côte mythique, photogénique, avec l’histoire des chapelles, du pèlerinage. Ce n’est pas juste une côte, il y a toute une histoire derrière.» Les locaux se rendent d’autant moins compte de tout cela que le chemin des Chapelles se mérite. La circulation y a été réservée aux riverains, lassés de voir des voitures à deux doigts de caler dans l’esse où trône la statue de Claude Criquielion, vainqueur de la première Flèche terminée au sommet du mur en 1985 en faisant la différence dans ce virage mythique. La solution serait donc de le découvrir à vélo. Mais… « Il faut dire que ce n’est pas à la portée de tout le monde », susurre Michel Lammens, de l’Arona Bicycle Club, basé à Huy et organisateur chaque année de la Petite Flèche, qui rassemble 150 à 200 cyclo

touristes. À 72 ans, celui qui se veut adepte « d’un vélo musculaire, sans assistance», admet ne plus pouvoir s’imposer cette ascension, mais se souvient «d’un effort tellement violent. La première partie, soit, mais quand vous arrivez au esse (à 450 m du sommet), vous avez intérêt à ne pas mettre pied à terre. Ça m’est arrivé une fois de paniquer à cet endroit: impossible de reprendre un pédalage normal, j’ai fini à pied…» «T’es habillé avec les gants, les chaussures, les cuissards, t’arrives en haut, tu es en nage», se marre Bernard Perrier.

Un trésor préservé du tourisme de masse

«Et il faut dire que quand vous franchissez le mur, vous arrivez à une nationale aux quatre vents, les voitures roulent très vite, c’est très désagréable, poursuit Thierry, uncycliste attablé au café. Si vous avez l’habitude de rouler avec des amis, proposez de faire le mur et, sur dix, s’il y en a deux qui veulent le faire, vous êtes content. » Pas de quoi perturber les chapelles, devant lesquelles les inscriptions «HUY» au sol et quelques photos imprimées sur panneaux désormais fanés sont les seuls indices d’une course cycliste dans les parages. «Après, c’est bien que ça soit méconnu, y a un côté un peu trésor caché, un peu préservé du tourisme de masse », positive Bernard Perrier. Lui venait de franchir le mur «pour la première fois de la saison» la semaine dernière ete na apprécié chaque hectomètre. «On ne fait pas ça comme ça, on se le garde comme une petite madeleine de Proust, ou comme le cornet de frites, une fois à l’occasion pour que ça rende vraiment bien, alors que si on en mange tous les jours, ça n’a plus la même saveur.»

Demain, ils seront deux pelotons entiers (avec les féminines) à en manger goulûment, sous les vivats et les drapeaux d’une foule qui, l’espace d’une journée, transformera ce chemin de pèlerinage, ce quartier bourgeois serein, en un stade de foot à ciel ouvert.

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