UN TRIOMPHE INTIME


Tadej Pogacar s’est envolé dans la côte de la Redoute pour s’offrir une deuxième victoire dans Liège-Bastogne-Liège et apaiser ses relations avec la Doyenne, qui l’avait malmené depuis deux ans.

22 Apr 2024 - L'Équipe
ALEXANDRE ROOS

LIÈGE (BEL) – Quoi de plus beau que les battus qui rendent hommage à leur bourreau une fois leur défaite consommée, qui d’une génuflexion donne du relief au sacre de leur maître? Mathieu Van der Poel n’a ainsi pris aucun détour après l’arrivée, même les meilleures jambes de sa carrière n’auraient pas permis au champion du monde en personne de suivre l’astéroïde Pogacar. Après les morsures du froid dans la Flèche Wallonne, Mattias Skjelmose a cette fois trop joué avec le feu slovène et le champion du Danemark, au micro de la télé de son pays TV2, concéda : « Cela m’a coûté toute ma course d’essayer de suivre Pogacar. Quand tu t’approches trop du soleil, tu te brûles.»

Comme aux Strade Bianche début mars, la démonstration de Pogacar avait en effet une nouvelle fois les contours d’un châtiment divin, celui que les mortels ne peuvent accueillir qu’avec l’impuissance de leur condition. Richard Carapaz a bien tenté de retenir un temps la foudre, mais cela ne dura que quelques centaines de mètres et comme les autres, l’Équatorien ploya sous la punition. Il était écrit que Tadej Pogacar s’envolerait dans la côte de la Redoute, à 34,8km de Liège, tout le monde le savait et pourtant personne n’a pu l’empêcher, la force de l’inéluctable.

L’hommage à la mère de sa compagne pour un sacre plein d’humanité

Le leader d’UAE a déroulé un plan désormais bien huilé. Laisser son équipe resserrer progressivement l’étau sur la course, asphyxier tout le monde au fil des kilomètres et à l’heure qu’il est, l’infatigable Domen Novak doit encore être en train d’enchaîner les allers-retours entre Liège et Bastogne. Porter son attaque et ensuite rapidement mettre sa victoire au coffre-fort. Hier, comme à son habitude, Pogacar a ainsi très vite construit une avance d’une minute,enàpeine5km,qu’ilaensuite chouchoutée pour finalement s’imposer avec le plus grand écart sur Liège-BastogneLiège, 1’39’’ sur Romain Bardet, depuis le sacre de Bernard Hinault en 1980.

Tout cela s’est déroulé sans heurts, dans une impression de facilité, un deuxième sacre dans la Doyenne, un sixième Monument, deuxième plus jeune coureur de l’histoire, à 25 ans et 7 mois, à atteindre cette marque après Eddy Merckx. Mais il y avait bien plus dans cette victoire qu’une hégémonie et des statistiques, quelque chose d’intime. Tadej Pogacar franchit la ligne d’arrivée en pointant les doigts vers le ciel, deux ans jour pour jour après la mort d’un cancer de la mère de sa compagne, Urska Zigart. Un hommage à Darja, un remuement intérieur pour un sacre plein d’humanité qui mettait en lumière un champion avec ses failles et ses blessures, dans une communion autour d’une douleur universelle que nous pouvions tous comprendre, bien davantage que l’étendue des exploits qu’il réalise sur son vélo, et dans le rappel que le Slovène reste un petit gars de 25 ans qui affronte comme nous les vicissitudes de la vie.

De manière plus large, Tadej Pogacar, qui a reconnu que ce succès était plein d’émotions, s’est réconcilié avec la Doyenne. Cette dernière lui avait échappé les deux dernières années, après son absence en 2022 à la suite de ce drame familial, puis l’an passé après sa chute et sa fracture à un poignet qui allait pourrir toute sa saison. S’il faut une nouvelle fois parler de l’histoire, Merckx a été Merckx aussi parce qu’il y a eu les difficultés, la chute de Blois, Ocaña, le coup de poing du Puy de Dôme et Tadej Pogacar a déjà connu son lot de déconvenues.

Il lui reste à battre l’autre maître des lieux, Remco Evenepoel

Sa victoire d’hier efface une ardoise et, comme celle dans le Tour des Flandres l’an passé après son sprint cafouillé en 2022, elle va lui permettre d’attaquer la suite avec davantage de sérénité. Après avoir gagné une première fois à Liège en 2021 en réglant un groupe de cinq au sprint, il s’est cette fois imposé seul au monde, ce qui est devenu son mode de gouvernement, et il lui restera désormais à battre en homme à homme l’autre maître des lieux, Remco Evenepoel. À plus court terme, il va pouvoir entamer la transition vers les grands Tours, le Giro puis le Tour de France. Il croisera en Italie Romain Bardet, magnifique 2e hier derrière l’intouchable, parti dans la Roche-aux-Faucons, qui a encore repoussé les limites de la souffrance.

Ce podium de l’Auvergnat remuait également tant de choses, tant de symboles. L’« ancien » (33ans) renouait lui aussi avec la Doyenne, après un premier podium en 2018 (3e), et montrait encore la voie à ses jeunes compatriotes, bien actifs dans le final, notamment Benoît Cosnefroy, Paul Lapeira et Romain Grégoire. Ses larmes à l’arrivée traduisaient un ensemble d’émotions, une fierté, des regrets peut-être, la sensation d’être à un carrefour de sa carrière, qui quoi qu’il arrive aura été immense, et le désir de montrer que même si le crépuscule est proche, on peut toujours compter sur lui, lui faire confiance pour se battre jusqu’au bout, tout proche des monstres de l’époque.

S’il y en a un qui ne lâche jamais rien non plus, c’est bien Mathieu Van der Poel. Bloqué dans la chute qui a retardé une grosse partie du peloton à 98 km de l’arrivée, le championdumondeauraitputout bazarder après son printemps de folie, dans une saison déjà réussie, mais il s’est fait la couenne dans la Trilogie, puis dans la Redoute et la Roche-aux-Faucons, pour toujours revenir et cueillir la troisième place à l’arrivée. Le Néerlandais a honoré son maillot, la course et le cyclisme et c’est le comportement d’un très grand. Ce Liège-Bastogne-Liège ne nous aura pas fait frissonnerparsonscénariomaisil aura mis en lumière trois personnages inspirants, trois magnifiques champions et cela suffisait à notre bonheur au moment de refermer la campagne des classiques.

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