«Le logo» n’est plus
Jerry West, la légende des Lakers dont la silhouette a servi d’inspiration au logo de la NBA, est mort paisiblement dans la nuit de mardi à mercredi. Il avait 86 ans.
13 Jun 2024 - L'Équipe
DE NOTRE CORRESPONDANT - LOÏC PIALAT
“Je ne pouvais plus jouer pour les Lakers
et je n’allais jouer pour personne d’autre"
- JERRY WEST, EN 1974, À LA FIN DE SA CARRIÈRE
LOS ANGELES – Peu de basketteurs ont autant gagné et perdu à la fois. Dans les années 1960 et au début des années 1970, Jerry West avait sa carte de fidélité pour les finales et, au bout, un abonnement à la même défaite cruelle, condamné à applaudir l’adversaire, «ces maudits Celtics» la plupart du temps. Une torture pour cet éternel insatisfait, meneur ou arrière avec une bonne détente, une excellente défense et un shoot dégainé très vite. «J’ai un trou dans le coeur, un trou qui ne se remplira jamais» , confessait-il dans son autobiographie (West by West : My Charmed and Tormented Life).
Il y a eu un titre, quand même, comme joueur (1972), et bien plus en tant que dirigeant. West était surtout « le logo », une icône du basketball au sens littéral, depuis que la
NBA s’était inspirée en 1971 de sa silhouette, sans jamais le confirmer officiellement. «J’aurais voulu que ça ne se sache jamais que je suis le logo» , avait avoué à ESPN celui qui était en même temps un grand timide et «une boule de nerfs» , selon l’un de ses entraîneurs.
Adam Silver, le patron de la NBA, a rendu hier hommage à un «génie du basketball» quand est tombée la nouvelle de sa disparition, paisible, à 86 ans, dans la nuit de mardi à mercredi. «J’aurais voulu jouer contre lui en tant que compétiteur, mais plus je le connaissais et plus j’aurais aimé l’avoir comme coéquipier plutôt» , a commenté Michael Jordan, par la voix d’un porte-parole. « Mon mentor, ami, repose au paradis!» , a tweeté LeBron James. Émotions dans un club de géants, auquel il appartient lui aussi.
«Je n’en finis pas de m’étonner de tous ces endroits où vous allez en courant après un ballon qui rebondit » , avait-il déclaré en 2019, sa médaille de la liberté autour du cou, plus grand hommage civil aux ÉtatsUnis. La course a commencé dans une petite ville pauvre de Virginie-Occidentale, à tirer dans un panier de fortune. Dans la boue, avec des gants. Pas de raison de rentrer à la maison. En revenant de la mine, son père est violent à la maison et son frère adoré, David, avait péri mort dans la guerre de Corée.
Drafté en deuxième position en 1960
Des victoires au lycée, et déjà un coeur brisé à l’université quand il perd en finale du tournoi NCAA avec West Virginia en 1959. Il finit avec le titre de meilleur joueur de Final Four, malgré la défaite. L’année suivante, au moins, l’or l’attend aux JeuxOlympiques de Rome, au côté d’Oscar Robertson. Avec un nom de famille pareil, West était destiné à voir au-delà de la chaîne des Appalaches qui bouchaient l’horizon. Les Lakers le choisissent numéro2 de la draft 1960 et déménagent en Californie. « C’est lui qui a importé le basket à Los Angeles» , estime Bill Plasche, plume du Los Angeles Times. C’était une autre époque, quand le short se portait moulant. On se moque de son fort accent de Virginie. Son nez se casse souvent. Mais avec Elgin Baylor et lui, lesLakers arrivent en finale en 1962, 1963, 1965, 1966, 1968 et 1969. À chaque fois, battus par les Celtics de Bill Russell. Même en 1969, quand West finit la série de 7 matches avec plus de 37 points de moyenne en devenant le seul perdant jamais sacré MVP de la finale. «J’étais désolé pour lui. Il avait été si fort et il était absolument dévasté » , regrettait presque John Havlicek, l’un de ses bourreaux.
Il a aussi perdu même sans les Celtics en face. En 1970, dans le match 3 contre New York, West, « Mr Clutch », tente un tir au buzzer depuis le logo, qui n’est pas encore sur les parquets. La ligne des trois points n’existe pas non plus et même si le ballon rentre, les Lakers ne font qu’égaliser à 100100 et perdent en prolongation. La libération vient finalement en 1972, récompense de douze ans de torture et d’une saison aux 33 victoires d’affilée: «Cequi est ironique, c’est que j’ai été mauvais. Ça m’a semblé injuste. Après avoir contribué tant d’années quand on perdait, jen’ai été qu’un rouage de la machine dans lavictoire.»
L’aventure aurait pu durer encore un peu mais un désaccord salarial la stoppe en 1974, à 36ans, après quatorze sélections aux All-Star Game et 27 points de moyenne en carrière. «Je ne pouvais plus jouer pour les Lakers et je n’allais jouer pour personne d’autre» , explique West, qui reste dans le coin. D’abord scout puis entraîneur pendant trois saisons. La défaite n’est pas plus facile à gérer sur le banc. Peut-être pire. Ilrenonce et devient manager general des Lakers époque «Showtime», ajoute James Worthy à Magic Johnson et Kareem Abdul-Jabbar. Les Celtics le battent encore mais cette fois, pas tout le temps.
En froid avec les Lakers ces dernières années
En 1996, il va chercher Shaquille O’Neal, agent libre, canalisant la rage du mastodonte après une défaite en lui rappelant qu’il a perdu huit finales. Et puis, il envoie la même année Vlade Divac à Charlotte pour récupérer le choix de draft des Hornets, Kobe Bryant. «Shaquille, on a juste drafté ungamin qui va être le meilleur joueur de la Ligue » , annonce-t-il à sa superstar. Westétait un Kobe avant Kobe, l’obsession en commun. L’histoire avec les Lakers nese finit pas aussi bien qu’il l’aurait voulu. Phil Jackson, qu’il a attiré, «n’avait absolument aucun respect pour moi» , expliquet-il. Il part aux Grizzlies, gagnant un deuxième titre de dirigeant de l’année et ressuscite Hubie Brown, élu coach de l’année en 2004. Puis il participe à la dynastie des Warriors en tant que consultant. Pas une bonne idée de remplacer Klay Thompson par Kevin Love, dit-il en 2014. L’année d’après, toujours avec Thompson, les Warriors sont champions. Enfin, il rejoint les Clippers en 2017.
C’est l’autre franchise de « LA » qui a annoncé le décès hier matin de cette «personnification de l’excellence en basketball» . Un peu triste que le message ne soit pas venu des Lakers, mais les relations étaient tendues. L’équipe avait décidé de ne plus l’inviter. « Peut-être qu’en privé, c’étaitun sale type, je n’en sais rien, mais il en a fait largement assez pour mériter mieux. Il a fait venir Shaq et Kobe ! » , s’agace Brandon, venu, comme des dizaines d’autres hier, saluer la légende devant sa statue à Los Angeles: «Je suis trop jeune pour l’avoir vu jouer mais je connais son histoire. Le titre de MVP malgré la défaite en finale, c’est le moment qui le définit pour moi. » La statue est toujours là, juste devant la Crypto.com Arena. « L’arène que Kobe a construite », mais celle où joue la franchise qu’a bâtie JerryWest.
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