LIGUE DES CHAMPIONS - Cette saison où quelque chose s’est réveillé chez Dembélé
Vainqueur à l’aller (1-0), le Paris-SG accueillera Arsenal, ce mercredi Porte d’Auteuil en demifinale. Le buteur parisien, transféré en 2023, a surpris ces derniers mois par son efficacité subite.
«Je suis resté moi-même. J’encourage les joueurs,
les plus jeunes et je n’oublie pas les anciens.»
- Ousmane Dembélé attaquant au PSG
7 May 2025 - Libération
Par Grégory Schneider
En l’état actuel des travaux qui s’y déroulent, le stade de la Meinau de Strasbourg présente une faille spatiotemporelle qui ne tardera pas à se refermer : alors que le parcours séparant les vestiaires du parking est sécurisé partout, celui-là est ponctuellement ouvert aux quatre vents. Ce qui nous a permis, samedi, en marge de la défaite (1-2) du Paris-Saint-Germain en Alsace, de rendre aux champions de France, enfin à deux d’entre eux, une humanité que le club s’emploie à cacher en limitant l’expression publique des joueurs au minimum réglementaire.Ousmane Dembélé célèbre son but
Touché à la cheville, le milieu Kang-In Lee est ainsi passé en boitant, soutenu par deux membres du staff. Un confrère ayant entrepris de filmer sa scène s’est vu administrer une leçon de morale par l’un des deux hommes : «Un peu de pudeur, merci!» Pour avoir levé le pouce à l’intention du joueur pour le réconforter, le genre de chose qui se fait dans ces circonstances, on s’est vu délivrer un accessit par le même, «voilà, ça, c’est bien !» On se foutait bien de sa remarque d’ailleurs et on retiendra le pâle sourire en retour de l’international sud-coréen, rendu à une vulnérabilité qui n’a aucune raison d’épargner les superstars.
Sorti à la mi-temps par son entraîneur, Luis Enrique, le défenseur des Bleus Lucas Hernandez était passé dix minutes avant lui sous escorte, la tête enfoncée sous sa capuche. A la volée, il lui fut demandé si sa sortie pour le moins prématurée s’expliquait par une blessure : «Non.» Le coach parisien l’avait donc sanctionné. Il dira le contraire: «Je suis extrêmement satisfait de tous mes joueurs. Ils ont réalisé un match de haut niveau.» Et le club a communiqué dimanche sur une blessure au dos bidon du champion du monde 2018.
Grand virage
Vainqueur à l’aller (1-0), le Paris-SG accueillera Arsenal ce mercredi Porte d’Auteuil en demi-finale retour de Ligue des champions, plus qu’une centaine de minutes avant une possible apothéose le 31 mai à Munich contre le FC Barcelone ou l’Inter de Milan. Et s’il s’avance en majesté, appuyé sur quelques matchs d’un niveau exceptionnel et le storytelling rutilant d’une équipe «collective», c’est aussi au prix de transformations profondes, douloureuses pour certains et orageuses parfois, corrélatives au haut niveau et qui n’enlèvent du reste rien à personne.
En détresse sur le terrain à la Meinau, l’aîné des Hernandez (29 ans) avait été recruté durant l’été 2023 pour encadrer les jeunes joueurs. Et, indirectement, franciser le vestiaire pour pousser un Kylian Mbappé présumé sensible sur le sujet à prolonger son bail dans la capitale. Mbappé s’est envolé, un Hernandez traînant de lourds antécédents niveau blessures s’est en plus rompu les ligaments croisés antérieurs du genou gauche il y a un an, et la carte du vestiaire parisien s’est redessinée dans le sens d’une internationalisation accrue, limitant l’influence d’un joueur par ailleurs désormais cantonné au banc de touche.
Espagnol de formation puisqu’il a rejoint la péninsule ibérique à 4 ans, le défenseur des Bleus a gardé le contact avec la jeune garde ; Nuno Mendes, Vitinha, João Neves, Senny Mayulu… Mais aucun joueur de ce niveau, pourvu d’un ego à la mesure des succès entassés à l’Atlético Madrid ou au Bayern Munich, ne peut donner le change indéfiniment. A son corps défendant, Hernandez a cependant joué un rôle fondamental quand la saison parisienne a tourné cet hiver, alors que le vestiaire grondait de partout. Le grand virage a eu lieu le 21 janvier au soir, avec la qualification pour les 16e de finale de la compétition reine arrachée avec les dents (4-2 après avoir été mené 0-2 juste après la mitemps) puis au long, avec les 24 buts inscrits lors des quatre premiers mois de l’année par Ousmane Dembélé, dont toute la carrière (y compris en bleu, sept buts en cinquantecinq sélections) racontait jusqu’ici les limites dans l’exercice.
Les versions divergent légèrement mais se rejoignent sur l’essentiel. Patron indiscuté à chaque étape de la chaîne de décision parisienne, du recrutement à la composition d’équipe en passant par les entraînements et la façon dont les règles de vie sont établies puis appliquées, Luis Enrique était en délicatesse avec certains joueurs parisiens, fatigués d’être écarté ou trimballé de poste en poste comme d’entendre la sempiternelle litanie du manque de réussite pour expliquer les difficultés de l’équipe sur le front européen.
Épisode fondateur
Dembélé était du nombre. Promené par son coach à tous les postes de l’attaque, écarté de l’équipe lors du match d’octobre à Arsenal (0-2) pour avoir oublié son coéquipier Achraf Hakimi seul devant le but quatre jours plus tôt contre le Stade rennais au Parc (3-1), nerveux et expulsé à Munich (0-1) fin novembre, l’attaquant des Bleus, plus gros salaire de l’effectif avec 1,5 million mensuels brut hors primes, a fini par se dire qu’il avait le dos large. Personnalité atypique, le natif de Vernon (Eure) a alors en partie cristallisé son mécontentement sur le management du coach parisien. Et plus précisément sur la façon dont il gérait ses deux coéquipiers au long cours en équipe de France, Hernandez mais aussi un Presnel Kimpembé ayant souffert depuis près de deux ans pour revenir après une rupture du tendon au talon d’Achille droit sans pour autant rentrer dans la rotation des défenseurs centraux décidée par Luis Enrique.
Quel que soit celui qui le raconte, l’épisode a été fondateur. Dembélé a suppléé son capitaine, un Marquinhos qui a toujours eu le défaut, aux yeux de ses voisins de vestiaire, de suivre aveuglément la ligne de la direction, qu’il a cependant le talent de deviner mieux que personne. L’international tricolore a surtout exprimé devant les autres une revendication dépassant son cas personnel. Un événement rare au sein d’un club où, de tout temps, chacun essaie d’arracher un morceau de la merveilleuse pièce montée bâtie à fonds perdu par les propriétaires qataris: du pouvoir ici, de l’influence là, un poste pour un proche, une prolongation de contrat pour un joueur ou plus prosaïquement sa propre survie. Et il n’est pas impossible que Luis Enrique s’y soit retrouvé. Quand la quasi-totalité de la direction sportive ainsi que certains de ses prédécesseurs, Mauricio Pochettino et Unaï Emery au hasard, n’ont de cesse de jouer avec la presse et d’alimenter indifféremment la machine à infos ou à intox pour avancer leur propre pion de trois cases, l’Asturien et sa palanquée d’adjoints (on en compte onze) fonctionnent en autarcie.
Sans donner quoi que ce soit à l’extérieur ni rien devoir à personne. Jugé intouchable par Doha à tel point que le président du club, Nasser al-Khelaïfi, peut prendre des pincettes pour s’adresser à son entraîneur quand le sujet relève du domaine technique, l’Asturien ne craint rien. On peut aussi penser que son indépendance d’esprit à des
racines plus profondes, entre drame personnel (1), dogme collectif vissé dans le cortex depuis ses premières années d’entraîneur au Futbol Club Barcelona Atlètic (sorte de FC Barcelone B), mandats sous haute tension à la tête de la «Roja» espagnole et une personnalité qui ne lui vaut pas un ami, mais alors pas un, dans le milieu.
Mi-février, le coach parisien s’est félicité devant les micros d’avoir raccourci en octobre sa star, plus gros salaire de l’équipe : «Ne pas le faire jouer à Londres aura été la meilleure décision de la saison. Le reste, c’est lui qui l’a fait. Mais l’écarter contre Arsenal en octobre aura été très important.» Le joueur n’a pas réagi à ces propos. Sans doute parce qu’il s’y est retrouvé. Alors qu’il avait prévu de longue date de s’exprimer dans France Football, Dembélé s’est défaussé, se contentant d’une apparition d’une dizaine de minutes en conférence de presse la veille du quart de finale retour à Birmingham. Pour ce que l’on sait de lui, Dembélé est un homme à part, capable de s’infuser à hautes doses des documentaires «sur les dictateurs» ou de prendre la fuite parce qu’un chat traverse les jardins de l’hôtel occupé par la sélection lors du Mondial qatari.
Garder sa Lucidité
Sur son efficacité subite devant le but, aussi lunaire que le reste le concernant : «Tout le monde me demande pourquoi. Je marque plus parce que j’ai changé de position sur le terrain, déjà. En me rapprochant du centre alors que j’évoluais surtout sur un côté, je me suis rapproché du but. Ensuite, il y a la qualité de ceux qui m’entourent sur le terrain, les milieux et ceux qui jouent sur les côtés, ainsi que la façon dont on amène le ballon sur les phases offensives. Je n’ai plus qu’à finir.» Manière de renvoyer non pas à la gestion collective et individuelle des ego parisiens par Luis Enrique, mais à son apport purement technique. Il oublie de dire qu’il court peu : 8,6 kilomètres par match quand les copains en dévalent 11. Ça aide à garder sa lucidité quand même.
Sur un leadership qu’il ne peut pas éviter (le talent, le statut, l’expérience qui dénote dans un groupe jeune, la régularité au haut niveau, le salaire) mais qu’on a du mal à imaginer: «Leader du Paris-SG je ne sais pas, mais cadre je pense. Je suis resté moi-même. J’encourage les joueurs, les plus jeunes et je n’oublie pas non plus les anciens. Le coach me demande d’intervenir auprès des jeunes. Je le fais, sur le terrain ou en dehors.» Pour les nuances, le modus operandi, il faut s’en remettre aux bruits qui n’en finissent plus de courir sur lui depuis ses jeunes années.
L’un de ceux qui l’ont côtoyé à ses débuts chez les Bleus racontait surtout un type n’ayant rien demandé à personne, monté sur le portebagage d’un Kylian Mbappé qui a explosé en même temps que lui mais plus fort, et plutôt en difficulté quand il fallait composer avec le regard des autres. Quelque chose s’est réveillé chez Dembélé cette saison. Les circonstances et Luis Enrique ont aidé aussi. L’histoire de la saison parisienne retiendra qu’il aura au moins autant déclenché puis entretenu le mouvement qu’il n’en aura profité.
(1) Il a perdu sa fille âgée de 9 ans en 2019.

Commenti
Posta un commento