La Ligue 1 reprend la main
Conférence de lancement de la chaîne Ligue 1 +
par la Ligue de football professionnel, le 10 juillet.
Ligue 1 + diffuse à domicile
Après les fiascos Mediapro et DAZN, le championnat de France, qui débute vendredi, sera autodiffusé par la Ligue de football professionnel. En attendant le million d’abonnés rêvé, les petits clubs doivent composer avec la perte des droits télé. Une cure d’austérité qui creuse encore les disparités.Photo BIBArd Anthony. ICon Sport. ABACAConférence de lancement de la chaîne Ligue 1 + par la Ligue de football professionnel, le 10 juillet.
14 Aug 2025 - Libération
Par Adrien Franque
C’est une feuille de route enthousiaste postée, mardi, sur Linkedin par le fougueux président de l’OM, Pablo Longoria. «Souveraineté audiovisuelle, indépendance et unité : le cap de la Ligue 1», est titré ce texte qui revient sur le lancement, la veille, de la plateforme Ligue 1 +. Soit le nouveau moyen de diffusion du championnat de France de foot (pour huit des neuf rencontres hebdomadaires, BeIn Sports conservant un match par journée), désormais entre les mains de la Ligue de football professionnel (LFP), donc des clubs. Un «changement culturel» et une reprise de la «maîtrise de notre destin», écrit Longoria, appelant les supporteurs à prendre part à ce nouveau paradigme : «Croire au football français, c’est s’abonner à Ligue 1 +.»
Pour les clubs, ce début de saison – inauguré par l’affiche entre Rennes et Marseille, vendredi – a en effet des allures de crowdfunding géant. Evaporés les droits télé, l’une de leurs principales recettes des dernières années. Tout à son fantasme du milliard d’euros (le tarif des droits télé dans les principaux championnats européens), la LFP a épuisé les diffuseurs plus ou moins foireux (Mediapro, Amazon, DAZN…), avant de se retrouver dans une impasse. «Cette fois, le projet [d’autodistribution] s’imposait puisqu’il n’y avait pas de marché pour valoriser les droits de la Ligue 1», constatait lucidement le maître d’oeuvre de la nouvelle chaîne, Nicolas de Tavernost, le 10 juillet.
Canal + dans l’ombre
Pour se lancer dans ce pari, le foot français s’appuie sur un maigre matelas de quelques dizaines de millions d’euros. Le résultat d’une séparation à l’amiable avec le précédent diffuseur, DAZN, négociée pour 85 millions d’euros. Auxquels s’ajoutent les 78,5 millions que doit encore dé bourser cette saison BeIn Sports pour son match du samedi à 17 heures. Sauf que la chaîne franco-qatarienne s’estime maltraitée par la LFP et a choisi de ne pas honorer entièrement son premier versement le 5 août, ne réglant que 14 millions d’euros sur les 18,8 millions prévus. BeIn demande moins de restrictions dans le choix des matches qu’elle peut diffuser.
Derrière cette affaire, on pressent aussi le rôle de l’ombre du grand absent de l’histoire, Canal +, partenaire privilégié de la chaîne franco-qatarienne. Tout à sa guéguerre contre le foot français, le groupe de Vincent Bolloré a choisi de ne pas distribuer Ligue 1 +, et semble même vouloir savonner la planche de la plateforme, en diffusant gratuitement le match de Premier League Liverpool-Bournemouth vendredi, le soir même de son lancement. C’est aussi pour s’éloigner de ces querelles interminables que la LFP a repris la main sur ses droits avec Ligue 1 +. La chaîne réaliserait des débuts «très encourageants», selon Nicolas de Tavernost sur RTL, mercredi matin. Hyperdistribuée (elle est accessible via un site, une application, tous les opérateurs télécom et diverses plateformes comme DAZN ou Prime Video), plus abordable (les prix vont de 9,99 euros à 19,99 euros suivant les écrans utilisés ou la durée d’engagement), la plateforme semble avoir réussi son lancement. Sur les réseaux sociaux, nombreux sont les fans de foot à s’interroger sur une souscription qui les feraient lâcher le piratage par Telegram ou IP TV.
Professeur d’économie du sport, Pierre Rondeau perçoit un autre bon côté au pari Ligue 1 + : «Avec cette plateforme, les clubs deviennent partie prenante: ils vont devoir s’investir dans la production de contenus, ouvrir les vestiaires, être proactifs dans la valorisation du championnat.» Il le faudra pour atteindre le million d’abonnés espéré en fin de saison. Et ainsi retrouver les centaines de millions d’euros disparus. Par le passé, les droits de diffusion domestique pouvaient représenter jusqu’à 50% des revenus de certains clubs. Nicolas de Tavernost les a prévenus le 10 juillet : il faut s’attendre à «deux années compliquées en termes de ressources».
«Affluences records»
«Pour les clubs, c’est une ère où il va falloir apprendre à vivre différemment : c’est l’un des deux piliers de leur économie, avec les ventes de joueurs, qui disparaît», explique Christophe Lepetit, directeur des études économiques au Centre de droit et d’économie du sport de Limoges. Et d’observer des ajustements d’effectifs plus rigoureux que les années précédentes, avec des contrats de joueurs non renouvelés, des masses salariales réduites… Les clubs peuvent néanmoins toujours s’appuyer sur des recettes de billetterie et de sponsoring qui augmentent depuis plusieurs années, grâce à des «affluences records dans les stades et des sponsors, de la PME locale jusqu’à la multinationale, qui sont restés fidèles», note Christophe Lepetit.
Pour certains clubs, la stratégie est à la rationalisation. Au RC Lens, l’actionnaire et président, Joseph Oughourlian, veut faire passer la masse salariale annuelle de 40 à 28 millions d’euros. A côté, le club cherche à diversifier ses revenus en rachetant le stade Bollaert-Delelis à la ville. A Nantes ou Angers, des cures d’austérité sont en cours. Et sans observer de dégraissages massifs, le marché des transferts a pour l’instant vu les clubs de Ligue 1 vendre plutôt qu’acheter : quatorze d’entre eux ont actuellement un solde de transferts positif.
A côté, certains actionnaires aux poches plus profondes, au PSG, à l’OM, mais aussi à Strasbourg (propriété du consortium BlueCo affilié à Chelsea) ou au Paris FC (détenu par la famille Arnault et le groupe Red Bull) continuent de dépenser comme avant pour aller chercher les juteuses qualifications dans les compétitions européennes. Une Ligue 1 autodistribuée donc, mais plus que jamais à plusieurs vitesses.
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