IL Y A 40 ANS, LE SACRE D’ALAIN PROST, LÉGENDE DU SPORT FRANÇAIS
Alain Prost célèbre son premier titre mondial sur le
circuit de Brands Hatch, en Angleterre, le 6 octobre 1985.
Le 6 octobre 1985, le pilote était sacré champion du monde pour la première fois. Une trajectoire unique dans le sport français.
6 Oct 2025 - Le Figaro
Jean-Julien Ezvan
Six octobre 1985. Retour vers le futur, le film de Robert Zemeckis avec Michael J. Fox et Christopher Lloyd, s’apprête à sortir en France. Sur le circuit de Brands Hatch en Angleterre, le Britannique Nigel Mansell signe son premier succès en Formule 1, devance Ayrton Senna et Keke Rosberg. Quatrième du Grand Prix, Alain Prost décroche le titre mondial, se propulse hors de portée de l’italien Michele Alboreto. Le fruit de la persévérance. « Prost champion du monde», célèbre en une Le Figaro. «Il passe à la Prostérité», affiche L’équipe. « La consécration », accroche Ouest-france. Quelques jours plus tard, Paris Match fête un homme souriant qui assure : « Ma chance à moi, c’est que personne ne m’a aidé. »
Alain Prost complète une époque bénie pour le sport français. Après avoir accompagné des perdants magnifiques (l’épopée des Verts de Saint-étienne fracassée en finale de la Coupe d’europe des clubs champions en 1976 par la robustesse du Bayern Munich et les poteaux carrés de Glasgow, le romantisme des Bleus de Michel Hidalgo assommés à Séville en 1982 par la dureté de Harald Schumacher et le froid réalisme de la RFA, l’équipe de France de Coupe Davis stoppée en finale par les États-unis de John Mcenroe et Arthur Ashe…), en 1982, la France gagne enfin.
Yannick Noah pleure dans les bras de son père sur le Central de Rolandgarros (1983), Michel Platini, devenu roi d’italie, collectionne les Ballons d’or (1983, 1984, 1985), enfile les buts comme les perles le temps d’un championnat d’europe de rêve au cours d’un été 1984 qui a la douceur de l’éternité et se prolonge avec la médaille d’or de la joyeuse bande d’henri Michel aux Jeux olympiques de Los Angeles. Bernard Hinault, cernes bleus (souvenir d’une chute à Saint-étienne) et regard noir, accroche un cinquième et ultime Tour de France à sa fabuleuse carrière en 1985. Serge Blanco, « le Pelé du rugby », a pris le relais de Jean-pierre Rives et fait du jeu une symphonie prête à étourdir la première Coupe du monde.
« Ma chance à moi,
c’est que personne ne m’a aidé »
- Alain Prost
Et Alain Prost parade. L’histoire de la F1 française avait été marquée par Maurice Trintignant, l’oncle de Jeanlouis, le premier pilote tricolore vainqueur en F1 en 1955, la régularité de Jacques Laffite du temps de Ligier (4e du classement des pilotes en 1979, 1980 et 1981) et une succession de trajectoires brisées : François Cevert (4e du championnat du monde 1973), regard d’acier, allure d’acteur, à qui on prêtait une relation avec Brigitte Bardot, meurt lors des essais du Grand Prix des États-unis en 1973, Patrick Depailler (les six roues de la Tyrell), 4e du championnat 1976, décède lors d’essais privés sur le circuit de Hockenheim en 1980 et Didier Pironi, lancé pour être champion du monde en 1982, est victime d’un grave accident lors des essais du GP d’allemagne, quand, sous des trombes d’eau, il fonce dans la voiture d’alain Prost, qu’il n’avait pas vue. Jusqu’à l’avènement du premier et (pour l’heure) seul champion du monde français.
Dans les années 1980, le sacro-saint Grand Prix de TF1 s’installe dans les foyers français, trône sur le dimanche après-midi, comme « 7 sur 7 » sur le début de soirée. La peur tenaille, la mort rôde, la tension bout. Les enfants n’ont droit d’apercevoir que des bribes. Et La Marseillaise vient souvent gonfler les poitrines dans le sillage d’un lutin (1,65 m, 58 kg) méthodique. Après une première apparition en 1980 (6e en Argentine) et une première victoire (à Dijon, sous les couleurs de Renault en 1981), Alain Prost lutte pour le titre dès 1983 (2e à 2 points du Brésilien Nelson Piquet), puis s’approche à un demipoint de son équipier chez Mclaren, l’autrichien Niki Lauda, sacré en 1984. Avant le couronnement en 1985. À jamais le premier…
Au soir du 6 octobre 1985, Marc Hennekinne décrypte dans Le Figaro ce « symbole de réussite, un aigle à deux têtes : la sienne et son casque. Ce crâne artificiel, en plastique, a largement contribué à façonner l’homme et à lui donner l’équilibre du champion. “Ce casque m’apporte beaucoup ; il me grandit de 15 centimètres et masque mon nez cassé.” Deux complexes physiques que Prost, au fil des années, a su mettre dans sa poche; mais deux complexes sans lesquels Alain n’aurait jamais acquis sa forte personnalité. Sa petite taille et l’ambition qui, souvent, accompagne cette particularité, lui permirent de devenir un grand homme. Son nez brisé, conséquence d’un sympathique tempérament agressif, fut un parfait stimulant. (…) Ce fils d’un petit fabricant de meubles, né près de Saint-chamond, avait hérité, à la naissance, de deux biens précieux déposés dans son berceau : l’ambition et le talent ; deux joyaux enveloppés dans le plus fascinant emballage : la passion du sport automobile. Une passion qui dévora tout; les études furent absorbées aussi : “J’étais trop réaliste pour utiliser mon temps à autre chose qu’à un but unique : devenir pilote de course.” »
L’un des meilleurs de l’histoire. Grâce à des moments inoubliables (sous les couleurs de Renault, Mclaren, Ferrari ou Williams) : le dernier Grand Prix remporté en 1986 à Adélaïde pour arracher le titre des mains de Nigel Mansell, l’énergie du désespoir qui le voit pousser son monstre de fibres de carbone de plus de 500 kg tombé en panne d’essence à quelques mètres de la ligne et sauver un point attribué pour la 6e place du GP d’allemagne 1986. Et encore le Grand Prix du Mexique 1990 remporté après être parti de la 13e place ou le Grand Prix du Brésil 1987, également fruit d’une folle remontée…
Alain Prost, figure à la mode, fait de la publicité (Midas), comme Michel Platini (Fruité) ou Yannick Noah (C17). Son ascension s’est encombrée de tensions (avec René Arnoux et Renault), d’incompréhensions (déménagement en Suisse), mais son rayonnement et son ancrage dans les mémoires doivent beaucoup à la lutte au sommet qui l’a opposé au Brésilien Ayrton Senna. Un duel né sous la pluie torrentielle d’un Grand prix de Monaco écourté en 1984. Rapidement, le conflit de générations érige deux camps. Ayrton Senna scintille comme la nouvelle étoile. Son instinct, sa virtuosité, son impétuosité et son coup de volant font merveille. Il est doté de tous les dons et s’attaque sans peur à son modèle, son idole Alain Prost.
Plus âgé de cinq ans, le Français est au sommet de son art. Il est le stratège, l’ordinateur, « le Professeur ». Senna fait du danger un moteur, une façon de rouler et de vivre. Prost calcule tout, veut contrôler les moindres détails pour anticiper les menaces. Accroché à une minutie héritée de sa jeunesse passée dans l’atelier de son père, puis forgée dans une volonté de fer, illustrée par les éconolors mies, franc après franc, pour acheter son premier karting. Avant de briller sur tous les podiums. Pour se retirer au sommet. Sur un dernier titre mondial, en 1993. Devant Ayrton Senna.
Prost-Senna, deux mondes, une place. L’une des plus grandes rivalités de l’histoire de la Formule 1 (avec Jim Clark-Graham Hill, James Hunt-Niki Lauda ou Mario Andretti-Ronnie Peterson). Leur association, puis leur opposition, fera merveille. Avant de faire des étincelles avec des accrochages mémorables (à pleine vitesse au 47e tour en 1989 au Grand Prix du Japon, le Brésilien sera disqualifié ; au 1er virage en 1990, toujours à Suzuka, le Brésilien percute le Français, débouchant sur un double abandon).
De longues années après, Alain Prost revisitera le duel dans La Voix du Nord : « S’il n’y avait pas eu Senna, j’aurais eu plus de titres, j’aurais peut-être continué plus longtemps aussi. J’ai arrêté car j’en avais un peu ras-le-bol. Mais, sans lui, je n’aurais pas la même notoriété, on n’aurait pas laissé la même empreinte derrière nous. À l’époque, c’était vraiment très dur : soit les gens vous adoraient, soit ils vous détestaient. Il a fallu, hélas, l’accident d’ayrton pour créer une sorte de communion entre les fans, à tel point que les Brésiliens représentent aujourd’hui la plus grande communauté sur mes réseaux sociaux. On est dans l’histoire ensemble… »
« S’il n’y avait pas eu Senna, j’aurais eu plus de titres,
j’aurais peut-être continué plus longtemps aussi.
J’ai arrêté car j’en avais un peu ras-le-bol.
Mais, sans lui, je n’aurais pas la même notoriété,
on n’aurait pas laissé la même empreinte derrière nous »
- Alain Prost
Le 1er mai 1994, TF1 diffuse, avant le départ du Grand Prix sur le circuit d’imola, un extrait enregistré durant les essais libres dans lequel Ayrton Senna lance : « Et pour commencer, un bonjour à notre ami Alain. Tu me manques, Alain. » Quelques minutes plus tard, devenu commentateur, Alain Prost assiste, pétrifié, au drame. Après la mort de Roland Ratzenberger lors des essais, le Brésilien sort du virage de Tamburello à 310 km/h et se fracasse dans le mur. L’accident et l’effroi sont vécus en Mondovision. La mort du Brésilien, déclarée quelques heures plus tard à l’hôpital de Bologne, ravage le monde du sport et son rival historique. La F1, dévastée, s’attaque à la sécurité des voitures, des circuits.
Lors d’une master class à l’Olympia en 2020, Alain Prost racontera : « Le dernier podium (Grand Prix d’Australie 1993) achève la période course avec Ayrton et déclenche une période que je n’aurais jamais imaginée. Après, il m’a appelé au moins une ou deux fois par semaine. On est devenus amis, proches. À Imola, il m’a demandé de venir le voir avant le départ de la course, on a parlé un quart d’heure… C’est un souvenir incroyable. J’ai été invité par sa famille au Brésil. J’ai compris qui était Ayrton Senna quand il avait Alain Prost comme cible. Dans l’histoire du sport, il n’y a pas beaucoup d’histoire comme celle-là. Ce n’est pas qu’une histoire sportive, c’est une histoire humaine. »
Quarante ans après le sacre de Brands Hatch, la marque d’alain Prost dans le sport français demeure très profonde. Quatre titres mondiaux (1985, 1986, 1989, 1993) brillent à son palmarès (seuls Michael Schumacher et Lewis Hamilton, 7, et Juan Manuel Fangio, 5, le devancent). Il a remporté 51 Grands Prix (seuls Lewis Hamilton, 105, Michael Schumacher, 91, Max Verstappen, 67, et Sebastian Vettel, 53, l’ont dépassé), avec notamment 6 victoires au Grand Prix de France et 6 au Grand Prix du Brésil ou 4 au Grand Prix de Monaco. Après Alain Prost, les victoires françaises en Grand Prix se comptent sur les doigts d’une main (Jean Alesi au Canada en 1995, Olivier Panis à Monaco en 1996, Pierre Gasly à Monza en 2020 et Esteban Ocon en Hongrie en 2021). Alain Prost, le pionnier, qui a bouclé la boucle en défilant sur les Champs-élysées avec sa Williamsrenault en 1993, a écrit la suite avec l’aventure avortée de l’écurie Prost Grand Prix. Trois saisons marquées par trois podiums avant une mise en liquidation judiciaire en janvier 2002. Ensuite, il a été consultant à la télévision, avant de devenir ambassadeur de Renault, puis directeur non exécutif d’alpine F1 Team.
Lui qui, né à Lorette, a grandi à Saint-Chamond et se rêvait footballeur, avant de se poser dans un karting, à la Siesta à Antibes, pour accompagner son frère aîné Daniel. Un après-midi arraché à l’indolence des vacances pour être brûlé par un coup de foudre immédiat. Après avoir enchaîné les petits boulots (magasinier, déménageur…), il aurait pu être professeur d’éducation physique et raconte avec émotion dans le documentaire Prost, de Stéphane Colineau et Audrey Estrougo, diffusé sur Canal+ : « Je n’étais pas programmé pour ça. Je n’étais pas dans un environnement propice ou intéressé par le sport automobile. C’est mon frère qui était motivé par ça. Il fallait être un peu fou ou sûr de soi. Je ne sais pas, les voies du Seigneur… Mais c’est absolument ahurissant. Je ne serais jamais arrivé là, c’est à peu près certain, s’il n’y avait pas eu la maladie de mon frère (décédé en 1986 d’un cancer du poumon après avoir eu une tumeur du cerveau, NDLR). Je me dis que si j’ai fait ça, c’est grâce à lui, comme s’il m’avait transféré quelque chose. »
Fier de son histoire, de son ascension et de ses racines arméniennes, grand-père comblé qui nourrit une passion profonde pour le cyclisme pratiqué assidûment, Alain Prost (70 ans), toujours au sommet du sport français attend depuis de longues années, comme Yannick Noah et Bernard Hinault, un successeur…
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