Yvon Mvogo, joueur du FC Lorient «Enfant, le goal était pour moi un superhéros»
Alors que son club se déplace à Nantes dimanche en Ligue 1, le gardien international suisse s’est ouvert à «Libé» pour raconter les étapes d’une carrière, de son Cameroun natal jusqu’en Bretagne en passant par la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas.
22 Nov 2025 - Libération
Recueilli par GRÉGORY SCHNEIDER Envoyé spécial à Ploemeur (Morbihan)
Photo VINCENT GOURIOU (Rires).»
Une vie de foot à travers les rencontres qui guident les pas du joueur : Yvon Mvogo, le gardien international suisse du FC Lorient, en déplacement à Nantes dimanche pour la 13e journée de Ligue 1, s’est posé pour parler de ceux qui ont éclairé son chemin ou l’ont ouvert aux rudes nécessités de son sport. Dans son cas, cela revient à voyager : du Cameroun où il est né jusqu’à la Bretagne depuis l’été 2022 en passant par la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas, Mvogo rappelle qu’une carrière de joueur est par nature itinérante et le plus souvent transfrontière, celle-ci se nourrissant au gré de mutations à la fois choisies et subies, quand le footballeur doit aller chercher du temps de jeu ailleurs. Comme d’autres, le Suisse de 31 ans y a puisé une certaine richesse, qu’il a détaillée au sortir d’un entraînement ensoleillé.
La mère, le Cameroun et l’aura d’un gardien mythique
«J’ai toujours marqué le respect, et l’altruisme»
«Je n’ai pratiquement pas connu mon père. On a quitté le Cameroun quand j’avais 6 ans, je n’ai pas beaucoup de souvenirs mais les bribes qui me restent sont justement liées au foot et à ma mère. Elle n’avait jamais joué, ce qui ne l’empêchait pas d’être une fervente supportrice (Rires).
«Je me rappelle qu’on regardait les Lions indomptables [la sélection nationale camerounaise, ndlr] en Suisse avec ma mère, elle me parlait beaucoup de Thomas N’Kono [gardien, 90 sélections, un des plus grands joueurs africains toutes époques confondues]. Les matchs du Cameroun étaient des moments de partage, il y avait beaucoup de joie… Et des émotions aussi, ma mère s’en prenait parfois aux joueurs qui rataient un truc. Mais N’Kono était intouchable. Des mains partout, un mur, il prenait tout le but… Je suis né après qu’il a arrêté sa carrière, je ne l’ai jamais vu jouer. Mais, petit, je percevais son aura à travers ce que m’en disait ma mère et je suis allé regarder ensuite sur YouTube quand j’étais ado.
«Ma mère m’a appris à écouter les grandes personnes. J’ai grandi dans l’idée qu’elles avaient toujours raison, que les conseils étaient bons pour moi. Quand tu es jeune, tu as le pouvoir de faire ce que tu veux, y compris de ce qu’on te raconte. Mais j’ai toujours marqué le respect. Et l’altruisme, y compris avec les gens que je ne connais pas, ou dans des situations inhabituelles. J’ai beaucoup voyagé par la suite – Suisse, Allemagne, PaysBas… – et cet altruisme m’a permis de me connecter aux autres, de m’ouvrir l’esprit. Ma mère me punissait quand je faisais des bêtises, mais elle était aussi en soutien et montrait de la douceur. Mon père n’étant pas là, elle a joué les deux rôles.»
L’éducateur, Fribourg et les superhéros
«Mon superpouvoir, c’était de décider du sort d’un match sur un arrêt»
«J’ai intégré un club tard, après 10 ans. Avant, je jouais avec les copains. J’étais fan de superhéros, Marvel, etc. Et pour moi, il y avait de ça dans le poste de gardien. J’étais le sauveur. Mon superpouvoir, c’était de décider du sort d’un match sur un arrêt, celui qui permet de garder un score ou de rester dans le score: sauver l’équipe, donner de la joie. On commence tous avec des représentations différentes, liées à l’enfance. Et moi c’était ça, un côté héros, les bons contre les méchants, mon équipe et ma ville contre le monde extérieur.
«Je jouais à Marly, là où j’ai grandi, une commune située au sud de Fribourg, en Suisse. C’est l’éducateur Eric Schafer qui m’a repéré avant de me faire grandir dans le club de Fribourg. Je râlais quand il fallait aller à l’entraînement après l’école, plutôt que de plonger sur un terrain détrempé dans le froid et les bourrasques, je me voyais à la maison, avec mon petit goûter… Eric Schafer m’a fait comprendre que c’est justement dans ces moments-là qu’il faut faire l’effort, quand ce n’est pas facile. Il m’a aidé au-delà du foot : les démarches administratives, les inscriptions en club, des petits trucs à l’école… Je me rappelle qu’il disait souvent: “Vous pouvez compter sur moi.” Certains te le disent mais bon… Lui, tu savais qu’il serait là à chaque fois. «L’adaptation a été rapide pour moi et ma famille. J’en ai développé beaucoup de gratitude par rapport au pays qui nous a accueillis, ce qui explique le choix de l’équipe nationale suisse. Ça ne m’empêche pas d’être Camerounais aussi. Là-bas, le foot a du pouvoir sur la vie des gens. En Suisse, on n’est pas dans ces émotions-là. Si la Nati [surnom de la sélection suisse] est éliminée en quart de finale [comme lors du dernier Euro, 1-1 et 5-3 aux tirs au but devant l’Angleterre], personne n’en fait un drame. Après, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière d’aimer le foot. Et on joue dans des stades pleins partout; Lucerne, Saint-Gall, Genève, Berne…»
L’entraîneur, Eindhoven et la prière
«J’ai éclairci l’approche du match»
«Lors de mes années de formation aux Young Boys de Berne, j’ai souvent été surclassé. A 17 ans, je jouais en moins de 21 et j’étais appelé une fois par semaine pour m’entraîner avec les pros, un atelier finition où je me faisais canarder dans le but pendant une heure. Ce petit sucre que l’on me donnait, je trouvais ça extraordinaire. Les pros devaient se demander “qu’est-ce que c’est que ce mec, qui se fait allumer et qui sourit tout le temps?” Du coup, j’en voulais plus. Quand je redescendais chez les moins de 21, je poussais tout le temps. A 18 ans, quand j’ai intégré le groupe professionnel à plein temps comme troisième gardien, j’avais un petit bagage dans ma tête : je prends, je remplis, je prends, je remplis… Ça a duré trois ans. Et j’ai commencé à m’impatienter.
«C’est Uli Forte qui prend l’équipe pour la saison 2013-2014. Le 8 décembre, je suis sur le banc quand Marco Wölfli, qui tenait le poste depuis dix ans, se blesse. On joue à Thoune, sur un synthétique. Je n’ai pas compris tout de suite que je devais y aller, il a fallu me le dire. Et j’étais… parfaitement calme. Tranquille. J’ai mis mes protège-tibias à mon rythme, sans rien précipiter. J’ai levé le nez, entendu les chants… c’était mon moment. Lors du match [perdu 1-0, le score était acquis quand il est rentré en jeu à la 40e minute], j’ai fait deux, trois arrêts mais je savais d’avance que ça se passerait bien. Et la sérénité que j’ai ressentie à ce moment-là m’a permis d’enchaîner.
«Avec le recul, la manière de faire de l’entraîneur, Uli Forte, y était pour beaucoup. Il était énergique, très vocal. Mais tu ne te sentais pas sous pression pour autant, comme si tu sentais que les choses allaient suivre leur cours naturel indépendamment d’une erreur ou deux. “Sois tranquille”,“ne rentre pas dans la surenchère”,“propre avec les pieds, propre avec les mains”,“tu peux faire des erreurs, c’est le bon moment, après ce sera plus compliqué”… «Une fois, j’ai laissé filer une frappe entre mes jambes et je m’en voulais à mort. Dans ma tête, j’étais devenu le méchant, celui qui fait perdre son équipe. Et Forte est venu immédiatement en soutien devant les journalistes : “C’est un jeune joueur”, “rien de grave”… Sur le plan technique, il me poussait à m’exprimer sur le terrain. Berne était une équipe dominatrice, dont le gardien ne voit pas souvent le ballon. Du coup, il faut donner de la voix quand le ballon est à 40 mètres, à la fois pour se mettre dans le coup et faire comprendre à tes défenseurs que tu es bien là alors que tu n’as pas touché le ballon depuis vingt minutes. Certains gardiens ne communiquent pas. Chacun doit trouver sa voie.
«Avant les matchs, j’avais un cérémonial où je faisais beaucoup de choses : douche dans le vestiaire, kiné, déodorant, parfum… comme après chaque entraînement. A Eindhoven, au Pays-Bas, l’entraîneur, Roger Schmidt, m’a pris à part : “Tu n’as pas besoin de tout ça. Fais simple, reviens à ce qui compte vraiment pour toi.” Je mettais trop d’“impulse”, je brûlais de l’énergie. Depuis, je prends ma douche bien avant, dans l’hôtel où l’équipe effectue la mise au vert. J’ai éclairci l’approche du match. J’ai gardé la musique, la petite croix qui témoigne de ma foi catholique et la prière, très importante. Elle n’est jamais tournée vers le résultat. Je prie pour que l’intégrité physique des 30 joueurs [remplaçants compris] soit respectée, qu’ils puissent terminer le match comme ils l’ont commencé, sans grosse blessure. On fait tous le même métier.»
Le vestiaire, Leipzig et la nécessité de ne pas faire perdre
«La vérité de l’entraînement n’est pas celle du match»
«Quand je signe en Allemagne à Leipzig en 2017, on me tient le discours suivant : je dois challenger le gardien titulaire, Péter Gulàcsi, c’est-à-dire prendre sa place à terme tout en étant relativement patient. Une concurrence loyale raccord avec la politique du club, tournée vers les jeunes. Gulàcsi est aligné sur les cinq premiers matchs de Bundesliga, il n’est ni bon ni mauvais. Je suis aligné sur le sixième et je me loupe, je ne sors pas sur un mec et ça fait but. Il y avait plusieurs raisons. Un gardien doit jouer pour prendre des repères, sur la gestion de la profondeur ou le jeu aérien par exemple, et la vérité de l’entraînement n’est pas celle du match. Le coach [Ralph Hasenhüttl] parlait plus à certains joueurs qu’à d’autres, j’étais dans le flou. J’ai eu aussi la sensation que c’était ma dernière chance et j’avais peur, je n’ai pas joué libéré. «De fait, je n’ai plus été aligné de la saison et j’en viens au vestiaire : alors que j’étais dans une situation compliquée, je garde un souvenir extraordinaire de ce qu’on a partagé cette saison-là. On passait beaucoup de temps ensemble chez les uns et les autres, on sortait au resto tout le temps, les entraînements étaient au top niveau… Et sans qu’ils abordent ma situation à moi, ou rarement, ils ont été d’une aide exceptionnelle. Il y avait Dayot Upamecano, Ibrahima Konaté, Nordi Mukiele, Christopher Nkunku [tous les quatre internationaux tricolores aujourd’hui], Amadou Haidara, Naby Keita, le Portugais Bruma… Aucun joueur n’accepte de ne pas jouer, c’était parfois dur de tout garder. Comme je suis d’un naturel positif, dès que je fais la tête, ça se voit : Bruma m’a encouragé à ne pas montrer ma frustration, à y croire.
«Je n’avais aucun souci avec Gulàcsi. Personne ne s’est pourri à l’entraînement. Il était plus ou moins bien en match, mais il ne faisait jamais d’erreur et j’ai compris un truc fondamental : ta vocation de gardien de but est liée au désir de sauver ton équipe mais dans le monde professionnel, ce qui compte, c’est de ne pas la faire perdre. S’il a le choix entre un gardien inconstant et un gardien fiable, l’entraîneur met le gardien fiable tous les jours.»
Le club, Lorient et ceux que tu vois tous les jours
«Tu n’as pas le droit de faire la gueule quand tu arrives [le matin]»
«Le club s’incarne de différentes façons. Il y a les gens que tu côtoies au quotidien, les intendants par exemple : on ne les valorise jamais alors qu’ils donnent le ton de la journée dès que tu arrives à l’entraînement. Honnêtement, quand tu les vois avec la banane, tu n’as pas le droit de faire la gueule. Quand le FC Lorient m’a contacté, Aziz Mady Mogne, qui travaillait alors à la cellule de recrutement, a fait le déplacement pour me voir en Suisse : pour un joueur, c’est une marque d’intérêt importante. Avant que je signe, on m’a parlé football. Sortir le ballon au sol [plutôt que jouer long directement vers les attaquants], construire le jeu… Ça me parle. Ici, le gardien est un joueur de champ. A tel point que je rappelle parfois à l’entraîneur adjoint, Yannick Cahuzac, que mon premier boulot est d’arrêter les ballons (Rires).»
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