Les Sang et Or, fiers de Lens de la Ligue 1
Photo Stéphane Mahé. REUTERS - Wesley Saïd,
buteur du RC Lens, samedi au stade de la Beaujoire, à Nantes.
Le club artésien, qui pointe en tête du championnat de France, a encore gagné samedi à Nantes (2-1). Faisant montre d’un esprit collectif précieux qui lui permet de faire, pour l’heure, la nique aux grands fauves.
8 Dec 2025 - Libération
Par GRÉGORY SCHNEIDER Envoyé spécial à Nantes (Loire-Atlantique)
Le foot, le cosmos et la jungle. Où les grands fauves vivent seuls. On s’est pointé samedi au stade de la Beaujoire à Nantes, pour voir le Racing Club de Lens défendre un «trésor», on cite l’entraîneur artésien Pierre Sage : la place de leader de cette bonne vieille Ligue 1. Devant le Paris Saint-Germain ou l’Olympique de Marseille. Soit une équipe affichant une masse salariale ramenée de 65 à 27 millions d’euros en deux ans chipant les clés du royaume à des clubs qui ne comptent pas, ou qui font semblant de compter pour qu’on les plaigne. Et on a vu les Lensois repartir avec la victoire (2-1), le fameux «trésor» (ils seront leader tout pareil à l’attaque du prochain week-end), un sourire jusqu’aux oreilles et des moments épiques à raconter à leurs propres enfants dans quinze ans.
L’or et l’amour. Le cosmos : centre de Ruben Aguilar (32 ans) et tête de l’international tricolore Florian Thauvin (le même âge) pour mettre les Sang et Or aux commandes du match peu après la demi-heure. Et l’attaquant des Bleus qui affiche un sourire farceur et mystérieux après la rencontre: «Avec Ruben, c’est une connexion de longue date.» «Quand on était gosses, on a été formés ensemble à la Poterne, le centre de formation de Grenoble, a détaillé ensuite le défenseur. On avait des chambres à côté l’une de l’autre. Mais on ne va pas tout vous raconter [des 400 coups qu’ils ont faits à l’époque, ndlr],
vaut mieux pas.» Une demi-vie a passé pour chacun. Un titre Mondial et le Mexique pour Thauvin, les galères monégasques et quelques minutes en bleu pour Aguilar. Samedi, les deux joueurs ont fait le grand saut temporel. Ils sont revenus visiter la Poterne en pensée.
«LE FOOT QU’ON AIME TOUS, CELUI DE LA COUR D’ÉCOLE»
Les grands fauves: le responsable média d’un club nous a expliqué samedi recevoir de plus en plus de demandes – une quinzaine par jour – de photographes désirant travailler les soirs de matchs alors qu’ils n’ont pas de statut professionnel. Ils ne se réclament d’aucun média. Renseignements pris, ils sont envoyés sur les rencontres par des agences de promotions oeuvrant pour les joueurs, voire par les joueurs eux-mêmes. Qui les rétribuent parfois 50 euros ou un maillot porté, contre l’utilisation des images sur leur compte Instagram. «Et ils donnent rendez-vous à leur photographe quand ils célèbrent un but, s’amusait samedi un ancien joueur devenu consultant, qui a évolué dans plusieurs clubs de Ligue 1. Je vais faire tel truc, tu me shooteras à tel endroit… Il ne faut pas être dupe.» Les footballeurs professionnels vivent dans ce monde-là.
Plutôt que d’y voir une individualisation forcenée du moindre événement produit par le joueur dans l’espace du match, c’est-à-dire une déviance, on ferait tout aussi bien d’admettre, comme lui, qu’une carrière se joue aussi sur les réseaux sociaux. C’est assez dire le miracle du foot en général, de l’équipe lensoise en particulier, et de ce que les présents ont eu sous le nez samedi : une entité profondément collective dans un monde où les joueurs vivent de leur côté, dans un contexte de concurrence interne exacerbée. Toute la question étant de savoir où commence et où s’arrête cette entité collective, le foot en étant toujours ramené au talent, c’est-à-dire au joueur.
A la Beaujoire, les présents auront assisté à un match étrange, où le score a longtemps nargué une supériorité lensoise s’étalant sur toutes les largeurs. Le dénouement aura même nourri quelques pensées cauchemardesques : désormais 17e du classement et en chute libre depuis deux mois, les joueurs nantais ont été chaleureusement applaudis après la défaite par la Brigade Loire, le principal groupe de supporteurs des Canaris. Qui avait pourtant réservé un accueil sinistre à son équipe au coup d’envoi. On a d’abord envisagé un second degré grinçant. Il s’est avéré que non. Autant dire qu’on avait besoin de repères. Et on fait aujourd’hui difficilement mieux que Pierre Sage pour donner du sens et de la clarté à un match de Ligue 1. L’entraîneur lensois a dissipé le sentiment d’étrangeté ressenti durant la rencontre en deux phrases : si, en première mi-temps, ses hommes ont bien préparé leurs actions mais manqué de mouvement pour attaquer la profondeur, en seconde période ce fut l’inverse. En voilà un qui se donne encore la peine d’éclairer le chaland : ils ne sont plus si nombreux à le faire, l’exercice médiatique étant devenu au fil des saisons un espace de punchlines et de raccourcis.
Puis, Pierre Sage a parlé de ceux qui ne sont plus là, ou moins là. «Je vais raconter ce qui s’est dit après le match dans le vestiaire parce que justement, ça me semble important de relayer cette histoire-là. Je leur ai parlé de ceux qui jouent moins. Aujourd’hui [samedi], dans l’équipe, il y avait deux exemples prouvant que l’on peut moins jouer et rester performant. On a déjà Ismaëlo Ganiou, 20 ans, qui a dû attendre la grave blessure de Jonathan Gradit [double fracture tibia-péroné à l’entraînement le 28 novembre] pour enchaîner et avoir du temps de jeu. Et on a Andrija Bulatovic, qui est rentré pour pallier un joueur suspendu [Adrien Thomasson] et qui a fait un match extraordinaire. Moi, je le vois tous les jours et je me rends compte du joueur qu’il est. On parle d’un gamin de 18 ans, né en 2006. Pétri de talent, capable de jouer dans plusieurs positions ce qui montre qu’il comprend le jeu, avec un niveau technique au-dessus de la moyenne et très performant pour frapper les coups de pied arrêtés. Ça, s’il joue, vous pouvez le voir. Mais il y a une qualité que seuls ceux qui le côtoient au quotidien connaissent: Bulatovic est complètement solaire. Il n’avait jamais été titularisé, il ne rentrait pas en cours de match non plus, et il avait toujours la banane. Content pour les autres, engagé, joyeux. Il respire le football qu’on aime tous, celui des gosses dans la cour d’école. Et rien que pour ça, c’est un joueur que j’adore.»
Il enchaîne : «Le deuxième clin d’oeil, il était pour Florian Sotoca. Je le lui ai dit : il a mille raisons d’être énervé parce qu’il joue moins, ça a été un joueur très utilisé ici [38 matchs de Ligue 1 sur 38 lors des saisons 2022-2023 et 2023-2024]. Pourtant, il a choisi une posture totalement contraire. Il joue peu, mais il a été l’un des principaux contributeurs de notre succès depuis le début de saison. Il a un impact énorme sur la vie de groupe. Troisième chose, l’un des employés du club, Mehdi, a eu un décès dans sa famille. On lui a donc dédié cette victoire.» A la Beaujoire, Pierre Sage aura donc invité un disparu. Et un absent, Gradit, qui hante son vestiaire depuis une semaine : quand ils ont vu la jambe de leur coéquipier brisée, certains joueurs ont fondu en larmes. La décision collective de ne pas lâcher le nom de celui qui fut impliqué dans le choc, pour le protéger du monde extérieur, mesure aussi la qualité du lien qui tient cette équipe-là. Enfin, Pierre Sage aura surtout crédité ceux qu’il a le plus souvent mis de côté. Et qui rongent leur frein en se cherchant une utilité alternative au terrain ; l’ambiance, les conseils aux jeunes découvrant le professionnalisme, l’engagement dans les entraînements pour donner un cadre de travail efficace à ceux qui jouent. Les mots que l’on ravale parce que votre concurrent au poste, qui reste sur deux matchs moyens, se voit offrir une troisième chance qui vous scotche sur le banc.
Habituellement loquace avec les journalistes, Sotoca a rallié le bus de son équipe sans un mot. Bien sûr que ça lui coûte. Et c’est pour cela que Pierre Sage avait décidé que ce serait sa soirée. Ou celle de Bulatovic, un Monténégrin arraché ado au Buducnost Podgorica pour le jeter dans les rudes combats de la Ligue 1 et qui prend chaque entraînement comme une bénédiction.
«LE JEU EST IMPARFAIT PAR NATURE»
Désormais, le foot est une messe. Le premier journaliste qui passe, Bulatovic, Sotoca mais aussi Thauvin et tout l’environnement du club, supporters compris, sont dans la nuit. Rappeler chacun à ses devoirs, les limites de son champ d’action ou la froide exécution de ce qu’il a à faire ne suffit plus. Il faut toujours plus d’intelligence, plus de sens, plus de récit pour emmener et inspirer un joueur au-delà de son compte Instagram.
Samedi, Thauvin expliquait que le Calcio italien, qu’il a rejoint à 30 ans depuis le Mexique, où il était perdu, lui avait non pas redonné, mais donné le goût de courir. Jusqu’à être devenu l’un des leaders d’effort du groupe lensois avec 11 à 12 kilomètres dévalés par match : quand on lui a rappelé samedi que dans le foot, l’intensité athlétique est systématiquement dimensionnée par les joueurs de moins de 23 ans, l’attaquant des Bleus n’a pas voulu l’entendre. Du Pierre Sage dans le texte : il y a toujours un mur à pousser. «On s’occupe de nous, a détaillé le coach lensois. Le foot est un sport très dur parce qu’il nous renvoie à des choses négatives à chaque match, même quand on gagne. Mieux jouer, c’est une ambition illimitée puisque le jeu est imparfait par nature. C’est important pour nous d’être dans une logique… le mot est difficile à trouver. Disons qu’il faut arriver à gagner comme on le souhaite. Avoir un impact sur le match, imposer notre manière de jouer à l’adversaire. On va être confronté à des blocs défensifs de plus en plus bas, de plus en plus resserrés. Mais les bonnes équipes doivent être capables d’affronter tous les contextes de jeu.»
Et cette histoire de trésor ? «Cette semaine, devant les joueurs, j’ai ouvert le tome II.» Là, quand même, l’entraîneur artésien a souri. «On est parti sur l’idée nouvelle de protéger ce qui était le plus cher pour nous. Et le meilleur moyen de le protéger, c’est d’aller le chercher comme si on ne l’avait plus. Attaquer l’adversaire. Faire en sorte qu’il se démoralise assez vite.» Au bout du bout, le goût du sang et les grands fauves. Plus une idée magique, suffisamment forte pour fondre les problématiques individuelles et collectives dans le même métal : dans le foot comme ailleurs, on est d’abord riche de ce que l’on n’a pas encore accompli.
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