Les mythiques de la Mavic : L'ACBB, l'ENA du vélo




Par DOMINIQUE TURGIS 
Le 7 janvier 2018, 19:00

De 1978 à 1998, la société MAVIC (Manufacture d’articles vélocipédiques Idoux-Chanel) a patronné la Coupe de France des clubs amateurs lancée par les Amis du Tour de France . Le classement est par équipes. Au début, les clubs marquent des points sur les épreuves nationales et internationales (classiques et courses par étapes) du calendrier. En 1981, 122 épreuves sont prises en compte. Les coureurs sélectionnés en équipe de France rapportent des points à leur club, en compensation du “manque à gagner”. En 1992, le calendrier est réduit à 18 courses, puis 12 l’année suivante. A partir de 1999, la Coupe de France MAVIC laisse place aux Championnat de France DN1, DN2, DN3, puis, de nouveau, à la Coupe de France DN1 et DN1 espoirs à partir de 2003.

Imagineriez-vous aujourd'hui, Mavic, Look, Time ou Michelin faire de la pub en utilisant l'image d'un coureur de l'équipe première de la Coupe de France DN1 ? En 1981, Simplex fait appel à un coureur de l'ACBB, Philippe Béorchia, pour vanter les mérites de ses dérailleurs. Preuve du prestige de ce club que Simplex patronne à l'époque. Cette année-là, le club revendique fièrement 121 titres de Champion de France. Qui peut imaginer, à l'époque, que 37 ans plus tard, le compteur reste encore bloqué au même nombre ?

A.C.B.B, pas besoin de déplier le nom en entier, tout le monde sait que ces quatre lettres désignent le club mythique parmi les plus mythiques du cyclisme amateur français. Les trois premières lettres de l'alphabet pour nommer le club qui a supplanté dans la mémoire collective ses deux plus grands adversaires d'avant-guerre : le VCL (1) maillot blanc et noir et le CSI (2), tunique noire et blanche.

PREMIER VAINQUEUR DE LA MAVIC

La vieille dame de 94 ans en 2018 a même un petit nom, l'"Acèbe", mais que cachent ses initiales ? En 1924 naît l'Amicale Cycliste de Boulogne qui devient Association Cycliste de Boulogne-Billancourt en 1928. En 1943, la ville regroupe toutes ses sociétés sportives sous l'emblème de l'Athlétic Club de Boulogne-Billancourt. Une chose n'a pas changé dans cette fusion, c'est la couleur de la robe de la mariée : gris et orange.

Avant la création de la Coupe de France Mavic en 1978, l'ACBB est le plus grand club amateur français. “C’est l’ENA du cyclisme”, écrit même le journaliste Roger Flambart. “L’ACBB, c’était le club phare avec ses 20-30 coureurs au départ”, rappelle Philippe Saudé de l’US Créteil. Ses coureurs gagnent les Palmes d'Or Merlin (3). La victoire sur les trois premières éditions de la Mavic ne va que confirmer ce statut. En 1978, le club boulonnais a fière allure avec Armand Bongibault, Patrice Thévenard, Alan Van Harden, Graham Jones, Sylvain Desfeux, Jacques Desportes, entre autres.

LE DERNIER CHAMPION OLYMPIQUE FRANÇAIS

Avant-guerre, dans les années 30, Louis Gérardin le pistard, Victor Cosson (3e du Tour 1938), Marcel Laurent, Lionel Talle, Emile Idée font briller les couleurs du club, puis Robert Bonnaventure et André Brûlé sous l’Occupation.

En 1948, José Beyaert, un "p'tit gris", se faufile comme une souris et devient le dernier Français Champion olympique sur route, à Londres. Paul Wiegant prend les rennes du club en 1949, à la suite d’Albert Gal. 

DU GRIS ET DE L'ORANGE SUR LE MAILLOT D'ANQUETIL

Une révolution va faire passer le club banlieusard (on ne dit pas francilien à l'époque) dans une nouvelle dimension : le professionnalisme. Quand les marques extra-sportives, c'est à dire les entreprises qui ne sont pas liées à l'industrie du cycle, ont voulu faire de la publicité sur les maillots des coureurs cyclistes et plus seulement dans les journaux qui organisaient les courses, elles ont dû trouver un subterfuge. En 1954, la crème Nivéa invente le "Groupe sportif" en finançant un club qui héberge l'équipe professionnelle italienne de Fiorenzo Magni. En France, Philippe Potin, des magasins Felix Potin, s'associe aux cycles Helyett qui équipent déjà l'ACBB. Le club sert de structure à l'équipe, d'où les liserés gris et oranges sur les maillots verts d'Helyett. A partir de 1959, l'UCI officialise ces groupes sportifs basés sur l'alliance d'un club, d'une marque de cycles et d'un extra-sportif.

Paul Wiegant devient donc en 1956 le directeur sportif d'Anquetil, de Darrigade, Stablinski et Graczyck. Voilà pourquoi, aujourd'hui, certains associent Jacques Anquetil à l'ACBB alors qu'il a fait ses classes à l'AC Sotteville avec André Boucher, chez lui, en Normandie, avant de passer pro. Wiegant va en tirer une aura et en jouera ensuite auprès de ses coureurs amateurs en leur promettant "les roues qui ont fait gagner Anquetil" pour les gonfler à bloc.

L'ACBB SE SERT EN PROVINCE

Le directeur sportif boulonnais dévoile déjà son goût pour les coureurs exotiques. L'Irlandais -en 1955, un Irlandais c'est exotique dans le peloton- Seamus Elliott, après un an à l'ACBB passe pro en 1956. En 1959 il recrute le Portugais Arthuro Coelho.

L'aventure de Paul Wiegant chez les professionnels s'achève en 1962, avant le premier Tour de France disputé par équipes de marques depuis la guerre. Dans l'équipe Saint-Raphaël-Helyett, très divisée après la Vuelta, il est borduré par ses propres coureurs à l'exception de Jacques Anquetil. Il retourne donc vers le cyclisme amateur.

En 1965, l'ACBB devient la réserve de l'équipe Peugeot. Le club se sert dans le vivier des clubs de province pour attraper des gros poissons. Certains sont tout de même rétifs. Bernard Thévenet avoue à DirectVelo qu'il ne voulait pas venir à l'ACBB même s'il était d'accord pour monter à Paris en 1968. "On m'avait dit que l'ACBB tuait ses coureurs. Mais Paul Wiegant est venu me baratiner tout un après-midi chez mes parents". Sous le maillot gris et orange, il endosse la tunique bleu-blanc-rouge de Champion de France des Amateurs Juniors (l'équivalent des Espoirs aujourd'hui). Mieux, Régis Ovion, un banlieusard pur jus et de grande classe, devient Champion du Monde et écrase le Tour de l'Avenir en 1971.

LA RÉSERVE EN MAILLOT DE SOIE

Parfois, et grâce à Wiegant, les chromes de la réserve brillent plus que ceux de la maison-mère et pas seulement à cause des roues d'Anquetil passées au Miror. Les sociétaires de l'ACBB portaient des maillots de soie pour les contre-la-montre que Bernard Thévenet cherchera désespérément à ses débuts chez les pros sous le maillot à damiers.

Les comités régionaux de province en ont assez d'être pillés. L'ACBB symbolise cette pratique alors qu'elle n'est pas la seule à faire son marché en région. "Qui engraisse les coureurs ? Les comités peut-être ? Non, eux ils ne sont là que lorsqu'il y a du "pognon" à prendre. Alors qu'ils ne nous "bassinent" pas avec ça", rétorque Claude Escalon en 1990 (4). 

Parfois même, Wiegant se prend des rateaux. Sur la Route de France 1974, un jeune Breton du petit groupe sportif Juaneda a mis en danger le maillot blanc de leader de Michel Laurent, le chef de file de l'ACBB et futur très bon professionnel. Wiegant, qui a oublié d'être diplomate, va voir les équipes soutenues par les cycles Peugeot : pas pour les embaucher mais pour les menacer du retrait du soutien de la marque au Lion l'année suivante si elles ne collaborent pas à la chasse, rapporte à DirectVelo un témoin de la scène. A l'arrivée, épaté par le numéro du petit Breton, "Mickey" va le trouver pour le recruter pour la saison suivante. "L'an prochain ? mais je serai professionnel !", lui lance le jeune Bernard Hinault, déjà piqué sur ses ergots.

RÈGLEMENT ANTI-WIEGANT

Pas diplomate, le patron de l'ACBB se fait des ennemis. Parmi eux, le DTN Richard Marillier, Robert Oubron, l’entraîneur national et Pierre Le Cam, secrétaire général de la FFC et élu d'Atlantique Anjou (futur Pays de Loire), un comité touché par l'exode rural de ses coureurs. Pour contrer les appétits des clubs parisiens Le Cam mitonne un règlement sur les mutations en 1974 : un coureur qui change de comité est interdit de Championnat de France et de courses par étapes nationales pendant un an (5). Wiegant, né aux Pays-Bas en 1915, va ouvrir les frontières bien avant le traité de Maastricht. En 1974 c'est l'Américain "Jack" Boyer qui ouvre le bal puis ce sera Alan Van Harden, un autre "Américain". Il s'appelle en fait Alan Van Heerden, n'est pas Américain mais Sud-Africain, pays banni par l’UCI à l'époque de l'apartheid. Wiegant l'a d'ailleurs découvert sur un Tour d'Afrique du Sud. Il passera pro chez Peugeot.

En 1977, la colonie britannique fait souche avec Paul Sherwen après le départ de Boyer pour la banlieue est et l'US Créteil. "Au service course, sous sa photo, quelqu'un avait écrit Judas. On m'a fait comprendre que quand on rentrait à l'ACBB, on en restait membre pour la vie", se souvient le Britannique (6). Celui-ci va faire venir Graham Jones, puis ce sera le tour des Robert Millar, Phil Anderson, Stephen Roche, Sean Yates, John Herety, Alan Peiper, Paul Kimmage, pour ceux qui ont réussi car beaucoup repartent comme ils sont venus, amateurs. A partir de 1984, les Viking débarquent avec Dag-Otto Lauritzen puis le Champion du Monde Juniors Soren Lilholt, les frères polonais Bartkowiak, Mariusz Lesniewski et, pour finir, les Estoniens Jaan Kirsipuu et Lauri Aus.

Cet afflux d'étrangers provoque une nouvelle salve anti-ACBB. En 1981, les points marqués par les coureurs étrangers ne comptent plus pour la Coupe de France.

SENS DE L'ACCUEIL PARTICULIER

Le club boulonnais a une drôle de façon d'accueillir ses invités étrangers. Il leur fait passer un premier test dès leur arrivée : personne ne les attend à la descente du train ou de l'avion qui les mène à Paris. Histoire d'affirmer le caractère de ses coureurs venus en France pour réussir. Anderson, Yates et Roche se sont débrouillés tout seul pour rejoindre le service-course du club. Avant de dormir sous un porche, Stephen Roche va casser la croûte dans un resto. On lui sert des nouilles vertes qu'il ne finit pas. "Le serveur m'a demandé si ça allait et il m'a fait payer dix francs parce qu'ils étaient un peu ennuyés que je ne mange pas beaucoup" (7).Tous ces étrangers peuplent l'appartement mis à leur disposition mais Paul Kimmage va crécher à Vincennes, normal pour un Irlandais.

Ces coureurs viennent pour réussir, se former mais aussi s'informer. En 1983, débarque à Boulogne-Billancourt un Américain, Brad Olson. "En vérité, Brad était venu pour observer la façon dont fonctionnent les top teams du cyclisme européen", déclare l’Acébébiste Bernard Chesneau (8). En 1985, c'est Olson qui fait venir le coureur orléanais dans l'équipe professionnelle qu'il vient de monter aux Etats-Unis, Phénix Racing Organisation.

CHANT DU CYGNE

L'ACBB a beau être la réserve de l'équipe Peugeot, la marque aux damiers peut puiser à l’intérieur son réseau tentaculaire des clubs amateurs qu'elle soutient dans toute la France. Les places sont chères et même les meilleurs coureurs de l'"Acèbe" ont du mal à trouver de l'embauche. Paul Sherwen et Serge Beucherie sont néo-pros chez Fiat, Michel Laurent et Patrice Thévenard sont recrutés par Jean De Gribaldy, John Herety chez Coop-Mercier et Pascal Poisson chez Renault-Gitane, l'ennemi de Peugeot. En 1985, Claude Escalon qui a pris le relais de Mickey Wiegant à la direction sportive en 1981, s'allie à Cyrille Guimard pour faire de l'ACBB la réserve de Renault-Gitane. Mauvaise pioche : Renault se retire du cyclisme à la fin de l'année.

C'est le début de la lente descente de l'ACBB qui a déjà déserté la piste où elle brillait en poursuite par équipes et dont l'équipe Juniors n'est plus capable de gagner le Championnat d'Ile-de-France des sociétés. Après une saison 1981 en demi-teinte (10e de la Mavic), le nouveau Président du club, Gérard Leroy affiche la couleur pour la saison 1982 : "Notre objectif prioritaire consiste à reprendre la Coupe de France Mavic cette année". Malgré un effectif pléthorique de 27 1ère catégories dont Alan Peiper, Philippe Lauraire, Pascal Campion, l'Américain Karl Maxon et Alain Mastrotto, c'est encore l'UC Saint-Etienne Pélussin qui s'impose. Il faut attendre 1985 et 1986 pour voir les Acébébistes s'imposer sur la Mavic, pour la dernière fois.

LA COUPE DE FRANCE COÛTE TROP CHER

A cette époque, la Coupe de France Mavic se dispute sur les épreuves nationales du calendrier. Il y a aussi, déjà, des points pour une sélection en équipe de France. De ce côté-là, l'ACBB n'est pas gâtée et les sélections sous le maillot tricolore sont rares. Alors pour gagner la Mavic, il faut courir beaucoup et partout et ça coûte cher. En 1987, pour renverser la vapeur face au CC Wasquehal, vainqueur de la Coupe de France, “il nous aurait fallu investir quinze millions de centimes (150 000 F) dans de nombreux déplacements. Et cela nous ne pouvions pas le faire pour rien. Car la Coupe de France ne rapporte strictement rien”, reconnaît Claude Escalon auprès du journaliste Noël Nilly.

Claude Escalon est confronté à ce problème financier. Après Renault, le club de Boulogne-Billancourt trouve le soutien de Merlin Plage qui s’arrête au bout de trois ans. L'ACBB résiste avec des coureurs expérimentés comme les ex-pros Philippe Lauraire -notre photo- et Thierry Barrault qui marquent des points pour la Mavic toute l’année et des étrangers. Elle continue de permettre à des coureurs talentueux de passer pros comme Claude Séguy, Gilles Sanders, Thierry Casas, Franck Boucanville ou Brunot Bonnet mais les maillots gris ont du mal à attirer les meilleurs jeunes plus intéressés par les réserves pros. “Nous ne pouvons nous aligner sur les tarifs pratiqués par d’autres. Les trois-quarts de nos coureurs possèdent un TUC pour la couverture sociale [un contrat aidé de l’époque créé en 1984, du même nom qu’un biscuit apéritif, les travaux d’utilité collective NDLR] et des conditions financières assez modestes par rapport à ce qui se fait”, explique le directeur sportif en 1987 qui situe toutefois son budget au sixième rang des clubs (9). Les Boulonnais montent encore quatre fois sur le podium de la Coupe de France mais ne gagnent plus. La réforme du cyclisme amateur de 1992 qui débouche sur la création de la Division Nationale en 1993, sonne le glas de la présence de l'ACBB dans l'élite, absente de la DN1. En 1993, elle se classe 39e de la Coupe de France. L’année suivante, son équipe fanion disparait.

Retrouvez l'interview de Bernard Thévenet : « Wiegant aimait ses coureurs » 

(1) VC Levallois
(2) Club Sportif International
(3) Les Palmes d'Or Merlin ont succédé au Mérite Veldor en 1971. C'est un classement individuel par points, patronné par Merlin Plage, qui prend en compte les courses françaises et internationales. Le classement désigne le meilleur amateur licencié dans un club français, un peu comme le Challenge BBB-DirectVelo aujourd'hui. A partir de 1986, les Wolber d’Or remplacent les Palmes d’Or mais conservent le même principe. 
Sur les cinq victoires de l'ACBB à la Coupe de France Mavic, un de ses coureurs remporte la même année les Palmes d'Or (ou Wolber d’Or) à quatre reprises : Graham Jones, Robert Millar, Jean-Jacques Philipp et Gilles Sanders.
(4) Cyclisme International n°56 mai 1990
(5) Vélo n°154 mai 1981
(6) L'Equipe du 11 juillet 2015
(7) "Le Tour de France à dévorer" Pierre Carrey, éditions DirectVelo 2016
(8) La France Cycliste du 12 décembre 1984
(9) Ile-de-France Cycliste du 11 décembre 1987


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