Inconnues à l’italienne


POGACAR VA VOIR SILE ROSE...

La 107e édition du Giro s’élance aujourd’hui de Venaria Reale, dans le Piémont, avec comme grandissime favori Tadej Pogacar qui va découvrir l’épreuve, prélude à son projet de doublé avec le Tour cet été.

"Il se passe toujours quelque chose sur le Giro"
   - STE'PHEN ROCHE, VAINQUEUR EN 1987

4 May 2024 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL YOHANN HAUTBOIS

VENARIA REALE (ITA) – Vous faites quoi, vous, les trois prochaines semaines? Le programme, ici, prévoit chaque matin de décrypter les pages roses de la Gazzetta dello Sport devant un ristretto et un baba piccolo sur une terrasse ensoleillée. Puis, de s’élancer, dans le sillage du peloton (oui, en voiture), les fenêtres ouvertes en écoutant Gianna Nannini, Lucio Battisti et le duo Al Bano-Romina Power (mais si, Felicità!).

Certains réveils seront plus frisquets, plus voilés, dans les effluves d’un vieux bistrot qui aura gardé des reliques de Fausto Coppi, des images pieuses de Gino Bartali, en sépia, en noir et blanc, au fin fond des Alpes biellaises ou des Dolomites, dansles Abruzzes, le long de la langoureuse Ligurie ou de la côte Adriatique. Après six mois sous un ciel wagnérien, un séjour en Italie, le pays de tous les fantasmes –romantique, culturel et culinaire – ne fera pas de mal même si des hallebardes ont arrosé les dernières éditions, emmitouflées dans les doudounes (avec manches).

Jeudi soir, la présentation des équipes au Castello del Valentino de Turin, noyée par la pluie, était un avertissement à ne pas s’enflammer et si, hier matin, la capitale du Piémont nous avait rendu la lumière, l’orage menaçait déjà la passegiata, quelques heures avant d’entamer la 107e édition de la « Corsa Rosa », première des odyssées de trois semaines.

Dans le rétroviseur, les classiques démentes – moins par leur suspense que par les vainqueurs qui les ont incarnées – ont rendu un verdict implacable et, sur ce plan, on ne va pas faire monter la sauce trop longtemps, le grand favori pour ramener le maillot rose à Rome s’appelle Tadej Pogacar. LeSlovène, amoureux de l’Italie autant pour ses pâtes que pour la proximité avec son pays, va découvrir l’épreuve, ce qui n’est jamais vraiment un souci pour celui qui avait enlevé le Tour de France, en 2020, dès sa première participation.

Parce qu’il a souvent brillé sur les sentes transalpines – double vainqueur des Strade Bianche et de Tirreno-Adriatico, triple vainqueur du Tour de Lombardie –, la course, en apparence, offre autant de suspense que d’enfants de curés. Mais qui pouvait imaginer que Jonas Vingegaard, Remco Evenepoel et Primoz Roglic (vainqueur sortant) seraient sur le flanc après un jeu de quilles grandeur nature sur le Tour du Pays Basque? Que Wout Van Aert, programmé au départ de Turin, se râperait l’épiderme jusqu’à l’os?

Et puis Stephen Roche, vainqueur en 1987, a raison, «il se passe toujours quelque chose sur le Giro» . L’an dernier, Evenepoel, leader du général, était rentré à la maison, malade et testé positif à la Covid-19, les éléments s’étaient déchaînés et chaque année, un coureur lève le doigt pour rappeler que la troisième semaine estoque les derniers corps encore debout. Tout ça pour finir avec une épaisseur de mèche entre le vainqueur et son dauphin.

Demandez à Geraint Thomas, dépossédé du maillot rose l’an passé la veille de l’arrivée à Rome par Primoz Roglic pour 14 petites secondes; àJai Hindley, doublé en 2020 par Tao GeogheganHart p o u r 3 9 s e co n d e s ; à To m Dumoulin, vainqueur en 2017 pour 31 secondes devant Nairo Quintana puis battu un an après par Froome pour 46 secondes.

Une lutte pour le podium qui s’annonce passionnante

L’histoire du cyclisme aime bien radoter même si, cette fois, lesadversaires du leader d’UAE Emirates ressemblent à de petits garçons malgré leur grand âge. Geraint Thomas (37ans) a beau les couper avant chaque départ, ses cheveux blancs indiquent que la nature et les années le rattrapent. Romain Bardet, un peu plus jeune (33ans) et surtout un peu plus fringant depuis sa deuxième place à Liège-BastogneLiège, voit ici l’occasion d’accrocher sur un autre grand Tour un podium que va viser Ben O’Connor, peut-être aussi Cian Uijtdebroeks, Dani Felipe Martinez et « l’ancien » Damiano Caruso. À 36 ans, le coureur de Bahrain - Victorious ne sera pas le plus vieux du peloton où seulement 43 Italiens seront présents, le contingent le plus faible depuis vingt-cinqans. À41ans, soncompatriote Domenico Pozzovivo en est à sa 18e édition depuis 2005!

Le petit grimpeur est increvable et Julian Alaphilippe, dans le dur depuis deux ans, pourra s’inspirer de ses résurrections. Comme Pogacar et un autre Français (Christophe Laporte), leMontluçonnais va rencontrer le Giro pour la première fois, sur des routes où il a aimé rouler et gagner (Milan - San Remo et Strade Bianche en 2019, Mondial à Imola en 2020), avec d’autres attentes, d’autres objectifs.

«Pogi», lui, s’est lancé dans un défi à sa démesure en voulant doubler avec le Tour de France: l’enchaînement des deux succès n’a plus été réalisé depuis 1998 et Marco Pantani, à une époque sulfureuse. Avant le « Pirate », Fausto Coppi, Jacques Anquetil, Eddy Merckx, Bernard Hinault, Stephen Roche et Miguel Indurain s’étaient eux aussi dédoublés et cette prestigieuse ascendance doit donner des idées au glouton slovène qui ne se gênera pas pour ne laisser que quelques «susucres» aux autres. Mais on n’en est pas là.

Avec six arrivées au sommet (44650 mètres de dénivelé), des cols mythiques (le Prati di Tivo – que Tirreno-Adriatico emprunte et où Van Aert avait été battu en 2021 par… Pogacar –, l’arrivée à Livigno, le Stelvio et le Monte Pana deux jours plus tard, lePasso del Brocon avant de finir en beauté avec la double ascension du Monte Grappa la veille de la promenade dans les rues de Rome), le trublion de Komenda ne va peut-être pas rigoler tous les jours, surtout si ses adversaires, àtour de rôle, veulent lui faire la peau. Et si ce ne sont pas eux, sur les chemins blancs vers Rapolano Terme (6e étape) oulors des deux chronos individuels (40,6 km et 31,2 km), plus que tout, il devra se méfier du Giro qui, même si vous l’aimez, ne vous le rend pas toujours.

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PROGRAMME
les principaux engagés
  • INEOS GRENADIERS : G. Thomas (GBR), Arensman (HOL), Foss (NOR), Ganna (ITA), Narvaez (EQU), Sheffield (USA). 
  • ALPECIN-DECEUNINCK : Groves (AUS), Hermans (BEL). 
  • ARKÉA - B&B HOTELS : Biermans (BEL), Costiou. 
  • ASTANA QAZAQSTAN : Lutsenko (KAZ), Ballerini (ITA), Fortunato (ITA). 
  • BORA-HANSGROHE : Martinez (COL), Lipowitz (ALL), Schachmann (ALL).
  • COFIDIS : Oldani (ITA), Champion, B. Thomas. 
  • DÉCATHLON AG2R LA MONDIALE : O’Connor (AUS), Baudin, A. Paret-Peintre, V. Paret-Peintre, Tronchon, Vendrame (ITA).
  • ED EDUCATION - EASY POST : Chaves (COL), Cepeda (EQU), Carr (GBR), Honoré (DAN), Valgren (DAN). 
  • GROUPAMA - FDJ : Pithie (NZL), Barthe, Le Gac. 
  • INTERMARCHÉ - WANTY : Girmay (ERY), De Pooter (BEL), Petit.
  • ISRAËL - PREMIER TECH : Woods (CAN), Clarke (AUS), Hofstetter, Vernon (GBR). 
  • LIDL-TREK : Milan (ITA), Bagioli (ITA), Consonni (ITA), Stuyven (BEL), Theuns (BEL).
  • MOVISTAR : Quintana (COL), Barta (USA), Gaviria (COL), Milesi (ITA), Rubio (COL).
  • SOUDAL QUICK-STEP : Alaphilippe, Hirt (RTC), Lamperti (USA), Merlier (BEL), Vansevenant (BEL).
  • DSM - FIRMENICH POSTNL : Bardet, Andresen, Hamilton (NZL), Jakobsen (HOL), Vermaerke (USA). 
  • JAYCO-ALULA : De Marchi (ITA), Dunbar (IRL), Ewan (AUS), Plapp (AUS), Walscheid (ALL), Zana (ITA). 
  • POLTI KONETA : Fabbro (ITA), Piganzoli (ITA). 
  • VISMA-LEASE A BIKE : Laporte, Affini (ITA), Gesink (HOL), Kooij (HOL), Tratnik (SLV), Uijtdebroeks (BEL), Valter (HON). 
  • TUDOR PRO CYCLING : Trentin (ITA), Dainese (ITA), Storer (AUS).
  • UAE EMIRATES : Pogacar (SLV), Oliveira (POR), Bjerg (DAN), Grosschartner (DAN), Majka (POL).
  • VF GROUP BARDIANI CSF - FAIZANÈ : Pozzovivo (ITA), Pellizzari (ITA), Zanoncello (ITA). 
  • BAHRAIN-VICTORIOUS : Tiberi (ITA), Bauhaus (ALL), Caruso (ITA), Pasqualon (ITA).
22 équipes, 176 partants.
Vainqueur 2022 : Roglic (SLV, Jumbo-Visma).

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Du monde derrière l’ogre
DOSSIER RÉALISÉ PAR PIERRE MENJOT

Si Tadej Pogacar s’avance en immense favori, ils sont nombreux à pouvoir se battre pour le podium.

ROMAIN BARDET  En confiance
ÉTAT DE FORME 18/20
Cinquième du Tour des Alpes et surtout 2e à Liège, il s’estime dans la même forme qu’en 2022, où il jouait les premiers rôles au Giro avant son abandon (lire ci-dessous). Le parcours, montagneux et accidenté, doit lui permettre de compenser son retard contre la montre face à certains adversaires. Il n’hésitera pas à « être inventif » si ses jambes le lui permettent.

ÉQUIPE 14/20
DSM aura un double objectif – les sprints autour de Fabio Jakobsen et le classement général avec Bardet – et l’équipe a été construite en fonction. Le leader n’aura donc pas tout un collectif à son service mais des hommes de qualité comme Vermaerke, Leemreize et Hamilton.

EXPÉRIENCE 17/20
À 33 ans, l’Auvergnat se connaît parfaitement et sait comment atteindre le podium d’un grand Tour (deux fois sur le Tour de France). Sur le Giro, son expérience est plus limitée (7e en 2021, abandon lors de la 13e étape en 2022) mais il est certain que la course est faite pour ses qualités. « Sur le papier, il y a plein de bonnes raisons d’espérer, c’est à moi de faire ce qu’il faut » , prévient-il.

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GERAINT THOMAS (GBR) Rien à prouver
ÉTAT DE FORME 12/20
Son Tour des Alpes (13e) dessine une progression mais Thomas partait de loin, auteur d’un début de saison anonyme. « Le principal objectif était d’arriver en bonne condition et de faire ce que je pouvais avant le Giro » , balaie-t-il. Il s’était montré tout aussi discret l’an passé avant de terminer 2e, et les deux longs contre-la-montre (40,6 et 31,2 km) lui sont favorables.

ÉQUIPE 17/20
Ineos arrive avec un collectif très costaud, peut-être le meilleur du plateau, riche de rouleurs (Ganna, Sheffield, les cousins Swift) et de lieutenants qui peuvent se muer en leader bis, comme Tobias Foss (9e du Giro 2021) ou Thymen Arensman, 6e l’an passé en ayant joué les équipiers modèles.

EXPÉRIENCE 19/20
Huit jours en rose et deuxième l’an dernier, ne cédant sa tunique que le dernier samedi à Primoz Roglic : Thomas a mis fin à sa relation compliquée avec le Giro (2 abandons lorsqu’il venait jouer le général).
À 37 ans, il n’a plus rien à prouver et s’annonce prêt à relever le défi de faire vaciller Pogacar.

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BEN O’CONNOR( AUS) Le prochain cap ÉTAT DE FORME 18/20
Son début de saison est excellent (vainqueur du Tour de Murcie et d’une étape de l’UAE Tour), sa dernière course de préparation aussi (2e du Tour des Alpes) : l’Australien (28 ans) arrive lancé en Italie avec « le rêve de finir sur le podium. J’ai montré ces dernières années que je pouvais être constant, il faudra l’être sur toutes les étapes ».

ÉQUIPE 16/20
La dynamique de Decathlon-AG2R La Mondiale est épatante cette saison (12 victoires), et l’équipe savoyarde a envoyé du lourd en Italie où elle vise une victoire et un bon classement général. O’Connor ne manquera pas de soutiens en montagne, avec les frères Paret-Peintre et Alex Baudin, en plus des coureurs de devoir (Touzé, Tronchon, Vendrame, Warbasse).

EXPÉRIENCE 14/20
Voilà quatre ans que l’Australien n’a pas couru le Giro, où il s’était révélé en 2020 (vainqueur d’étape) avant de privilégier le Tour avec son équipe actuelle. Il est de retour mais n’a plus lutté pour les premiers rôles depuis 2021 sur une course de trois semaines (4e du Tour en ayant pris de l’avance lors d’une échappée). Le podium est la prochaine marche à gravir.

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DAMIANO CARUSO (ITA)
À l’expérience 20 ÉTAT DE FORME 10/20
L’Italien (36 ans) est invisible depuis le début de saison, où il n’a glané que 44 maigres points UCI, et ne s’en est pas caché hier : « J’arrive en faisant profil bas. » Il fera le point à l’issue de la première semaine, où il veut « se tester » , pour savoir s’il peut jouer le général ou se transformer en simple capitaine de route.

ÉQUIPE 14/20
Bahrain-Victorious veut jouer à l’avant tous les jours, avec un sprinteur majeur (Phil Bauhaus) et deux coleaders pour le général, Antonio Tiberi, grand talent de 22 ans qui va découvrir le Giro, et donc Caruso. C’est à la pédale que ce dernier va devoir s’affirmer, sans soutien particulier si les choses tournent mal lors d’un premier week-end annoncé explosif.

EXPÉRIENCE 19/20
C’est son point fort, qui fait qu’on ne peut jamais le mettre de côté au départ d’un Giro. Quatrième l’an passé, 2e en 2021, le Sicilien connaît par coeur la course italienne, sait « ne pas commettre d’erreur » , comme il l’a répété hier.
Si la course au podium se fait par élimination, Caruso sera là longtemps.

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DANI MARTINEZ( COL) L’indéchiffrable 
ÉTAT DE FORME 14/20
Il n’a pas couru depuis début mars et sa chute sur Tirreno, alors difficile de s’avancer. Mais Martinez s’est dit « en forme, je me suis entraîné très dur en Colombie en altitude » . Ses références de début de saison sont excellentes mais datent un peu (2e du Tour d’Algarve, champion national du chrono).

ÉQUIPE 13/20
Cet hiver, Bora-Hansgrohe avait annoncé Martinez et Kämna en coleaders au Giro, mais la blessure de ce dernier à l’entraînement « a changé les plans, explique le directeur sportif Enrico Gasparotto. On a une équipe plus polyvalente, capable de s’adapter aux circonstances. » Qui jouera donc les sprints et les échappés (avec notamment la révélation Lipowitz), autant de forces en moins pour aider le leader.

EXPÉRIENCE 14/20
Cinquième en 2021, le Colombien (28 ans) connaît bien l’Italie, lui qui a couru pour une petite équipe transalpine en arrivant en Europe (Wilier). Mais ce Giro est la seule fois où il a lutté pour les premières places sur un grand Tour (28e du Tour 2020 comme deuxième meilleure performance) et monter sur le podium serait un immense pas en avant pour lui.

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CIAN UIJTDEBROEKS( BEL) Le prometteur
ÉTAT DE FORME 14/20
Le Belge a effectué un bon début de saison au service de Jonas Vingegaard (5e de Gran Camino, 7e de Tirreno) mais est tombé malade au Tour de Catalogne début mars. Depuis, il a effectué un long stage en altitude, dont il est friand, et se dit en forme. Les premières étapes montagneuses le diront, alors que le contre-la-montre n’est pas son fort.

ÉQUIPE 15/20
Même sans Wout Van Aert, blessé et remplacé par Christophe Laporte, Visma-Lease a bike présente une équipe alléchante, capable de jouer sur de nombreux terrains avec des coureurs expérimentés. Seul leader pour le général, Uijtdebroeks pourra compter sur des équipiers solides (Tratnik, Valter, Gesink), capables de l’accompagner ponctuellement en montagne.

EXPÉRIENCE 11/20

À 21 ans, le prodige belge ne va courir que son deuxième grand Tour, même s’il a le cuir épais (vainqueur du Tour de l’Avenir 2022, 8e de la dernière Vuelta en luttant face à son équipier Vlasov, transfert houleux de Bora à Visma cet hiver). Il est encore en apprentissage et, pour lui, faire mieux qu’en Espagne serait déjà « génial » , assurait-il jeudi.

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