UNE APOTHÉOSE


À 33 ans et pour son ultime Tour, ROMAIN BARDET a enfilé hier le maillot jaune pour la première fois de sa carrière après une fin d’étape extraordinaire.

30 Jun 2024 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL ALEXANDRE ROOS

RIMINI (ITA) – Et si l’on s’arrêtait là? Au soir de cette étape où le Tour de France nous a d’entrée mordus de son chaud baiser, un vertige comme la première fois, le frisson qui galope sur les peaux moites d’une journée de fournaise, et déjà nos petits coeurs serrés. Asphyxiés à la vue de cet écart avec le peloton qui fond plus vite que les mètres de bitume surchauffé défilent sous les roues des deux fuyards. Électrisés quand on comprit que Romain Bardet et son jeune complice Frank Van den Broek allaient finalement mener leur rébellion jusqu’au bout. La victoire d’étape et le maillot jaune pour le premier, la reconnaissance éternelle pour le second, 23ans, qui, après tant d’efforts fournis, venait de prouver qu’il n’y avait pas d’âge pour être un seigneur.

C’est une immense victoire pour le Français, sans doute la plus belle des quatre qu’il a décrochées dans le Tour de France (*), parce qu’il est tellement dur de lever les bras au premier jour de la Grande Boucle, mais surtout parce que c’est une victoire que tout le monde voulait pour lui, un bonheur unanime qui est la marque des très grands et le signe de l’estime que chacun lui porte. Pour son palmarès et sa carrière, bien sûr, mais encore davantage pour maintenir en vie, à 33ans, une flamme qu’on croit parfois éteinte, celle d’un cyclisme débarrassé de certains des es artifices, ramené à sa plus simple expression, des jambes, de l’instinct et du coeur.

Il y a tant de manières de danser sur le Tour

Ce triomphe consacre le coureur qu’il a été, une forme d’apothéose dès le premier jour de son dernier Tour de France, mais aussi l’homme qu’il est devenu. Celui qui a su évoluer dans sa carrière, changer d’équipe, partir à l’étranger, renoncer à des rêves qu’il a compris inaccessibles, n’a jamais cessé de défendre une certaine idée des choses, il est entré en résistance dans un monde qui allait de plus en plus vite pour lui mais où il a exigé le droit d’exister encore.

Cette victoire et ce maillot jaune sont une consécration, il pourra prendre sa retraite dans un an en paix, ses adieux déjà réussis, mais aussi une libération. Ironie du destin, après l’avoir chassé toute sa carrière, Bardet conquiert le jaune alors qu’il avait décidé de ne plus s’ en occuper. Débarrassé de l’étau qui l’oppressait depuis son passage chez les pros, cette obsession du classement général du Tour de France, cette relation vénéneuse que les coureurs français entretiennent avec «leur» course.

Le triomphe de Bardet hier est une leçon pour tous, sponsors, équipes, médias, qui ont tendance à broyer les plus beaux talents français dans la moulinette infernale du Tour, à chercher sans cesse le successeur de Bernard Hinault, alors qu’il y a tellement de manières de danser sur le Tour. En miroir de la démonstration de l’Auvergnat hier, on a d’ ailleurs pu assister au naufrage de David Gaudu et de Lenny Martinez, largués dans la méchante côte de Barbotto, à 70km de l’arrivée où ils sont arrivés trente minutes après Bardet. Le premier doit désormais se libérer de ce corset du général, le second, encore en éclosion, ne pas s’y enfermer trop tôt, un avertissement qui vaut également pour Kévin Vauquelin, lui aussi éjecté d’entrée.

Bardet a construit son succès comme il aime et sait le faire, à l’ancienne, à l’intuition, quand, à 52km du terme, dans la côte de San Leo,i la flair é que le moment de bouger était venu. Une accélération puis il boucha la minute qui séparait le groupe des favoris de l’échappée, où il retrouva son équipier Van den Broek, parti dans les premiers kilomètres de l’étape, une fois Florence dans les rétroviseurs, avec des costauds comme Matej Mohoric, Valentin Madouas ou Ion Izagirre. Une tactique parfaite de la formation DSM-firmenich, une tenaille qui finit par briser les derniers récalcitrants, cet ours de Jonas Abrahamsen, puis le tracteur breton Madouas, dont les bonnes jambes sont le seul réconfort du jour pour Groupama-FDJ.

Une chaleur de four éjecte les sprinteurs

Il restait alors une quarantaine de bornes et la côte de San Marino à avaler pour Bardet et Van den Broek, lancés dans une collaboration à la vie, à la mort, qui eurent contre eux un vent de face dans le final, mais pour eux de devoir lutter avec un peloton amaigri, où il n’y avait plus tant de main-d’oeuvre pour mener la poursuite. Un parcours de guérilla et une chaleur de four avaient éjecté les sprinteurs de bonne heure, Mark Cavendish et Fabio Jakobsen qui ont démarré leur Tour par un calvaire, mais aussi un peu plus loin Mathieu Van der Poel, Christophe Laporte, Magnus Cort Nielsen.

Si bien que les EF, pour Alberto Bettiol, et les Lidl-Trek, pour Mads Pedersen, un temps largué mais qui avec sa force de yéti était parvenu à rentrer, furent trop seuls, même si les Visma-Lease a bike leur donnèrent de temps à autre un coup de main. À ce propos, malgré tout ce qu’ils ont pu dire, les frelons de Jonas Vingegaard vont très bien. Wout Van Aert aeu beau expliquer qu’il était dans la pire condition de sa vie au départ d’un TourdeFrance, il a pris la 3e place hier et remporté le sprint du peloton, ramené à moins de 50 unités par cette étape sauvage.

On pourrait donc bien avoir le match qu’on espère tant. Tadej Pogacar est resté à la niche pour l’instant, quoiqu’il ait tenté de chaparder des bonifications et pris la 4e place à Rimini. Il a surtout coché l’étape d’aujourd’hui, à tel point que son staff a déjà laissé des vélos pour la récupération dans la zone protocolaire de l’arrivée. La promesse d’une première bataille entre favoris tout à l’heure à Bologne. Dans la côte de San Luca, où Bardet défendra son maillot jaune. Après tout, on n’a aucune envie de s’arrêter là.

(*) À Saint-Jean-de Maurienne en 2015, Saint-Gervais en 2016 et Peyragudes en 2017.



«Je suis tellement content pour lui»

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL - RÉGIS DUPONT

RIMINI – Une bonne heure après les accolades sur la ligne d’arrivée et les larmes mal retenues de Warren Barguil, ému par le succès de son compatriote, John Degenkolb a débarqué à l’hôtel de l’équipe DSM-firmenich Post NL torse nu et à peine moins chamboulé par le maillot jaune de Romain Bardet. En tombant dans les bras d’une connaissance, le visage encore marqué par la chaleur et la fatigue, il a lâché: «C’est incroyable. Je suis tellement content pour lui, c’est comme un rêve, pour sa dernière année!»

Le grimpeur auvergnat est une figure respectée. La manière avec laquelle il a remporté la première étape de son dernier Tour a fait plaisir à beaucoup de monde. Pendant que ses mécanos célébraient l’événement autour d’une bière, une voiture de DecathlonAG2R La Mondiale, l’ancienne formation du nouveau Maillot Jaune, a klaxonné sur la route. Ses passagers ont levé le pouce en direction de Matthew Winston.

Le coup de la panne

Le directeur sportif se remettait à peine de cette journée où tout a tourné de travers pour son équipe, à part les cyclistes. La fin du périple de Bardet et de Frank Van den Broek, dans les faubourgs de Rimini, il l’a suivie en aveugle depuis sa voiture, privé de retransmission télé par une tablette défaillante et contraint de se fier aux seules indications de Radio Tour. Après l’arrivée, l’équipe ne disposait pas de car pour permettre aux coureurs de se changer, d’arriver présentables, de disposer de tout l’arsenal de récupération habituel. Le leur est tombé en panne entre Florence et la côte adriatique.

Les troupes sont donc rentrées en ordre dispersé à Riccione, à une dizaine de kilomètres plus au sud, les entraîneurs à vélo pour faire de la place aux coureurs dans les voitures. Quand Bardet a monté les marches du hall d’entrée vêtu de la précieuse tunique, longtemps après ses coéquipiers, il n’était pas attendu par le moindre fan qui oserait couper sa conversation téléphonique avec son papa. Il ne risquait pas non plus d’être assailli de sollicitations par les quelques clients attablés au bar, peu capables de s’enthousiasmer pour le héros français du jour quelques minutes après l’élimination de l’Italie en huitièmes de finale de l’Euro face à la Suisse (0-2).

John Degenkolb et toute l’équipe de Romain Bardet ont
savouré la conquête du maillot jaune par ce coureur particulier.

«C’est formidable des journées comme ça, se réjouissait Christian Guiberteau, le directeur sportif français de l’équipe, quand les attaquants sont récompensés après une étape tellement exigeante. » Car la journée a vraiment bien fini: à 22heures, le car noir de l’équipe, réparé, s’est garé sur le parking de l’hôtel. Juste à temps pour que le groupe enfin au complet partage une coupe de champagne devant des écrans rediffusant l’exploit maison.

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