LIGUE 1 - Face au PSG, l’adolescence du foot strasbourgeois


Victorieux du club parisien samedi à la Meinau (2-1), les jeunes joueurs du RC Strasbourg bataillent pour une place en Ligue des champions la saison prochaine. Le club alsacien, contrôlé par le consortium BlueCo, fait émerger des talents de toutes les nationalités, promis à s’exporter.

«S’il y a quelque chose que j’ai importé, 
c’est la mentalité de sacrifice qu’ont les équipes anglaises.»    
- Liam Rosenior entraîneur du RCSA

5 May 2025 - Libération
Par GRÉGORY SCHNEIDER Envoyé spécial à Strasbourg

On finira bien par adorer le football pour ce qu’il est devenu : une conjonction d’intérêts express, sur une saison ou même quelques mois. Et la magie des interactions humaines irradiée par le côté passionnel du sport de haut niveau qui fait naître des histoires de partage, de mémoire, de découvertes de soi, tissant des liens entre la bonne quinzaine de nationalités qui composent désormais les effectifs professionnels. Une flambée : tel endroit, tel moment, tels joueurs, tels coachs puis tout le monde s’éparpille dans le barnum mondialisé. Ceux qui l’organisent sont dans l’ombre. Aujourd’hui, l’actionnariat passe par des consortiums, des Etats, des sociétés de gestion de placements américaines, des fonds luxembourgeois.

Parfois invisibles, parfois incarnés par quelques hommes qui vont et viennent dans le club qui les occupe. Ceux-là dessinent le foot comme il va. Aiguillant les passions des hommes «comme Alexandre le Grand ou Napoléon avant eux», la comparaison était de Mino Raiola, ­super-agent (Zlatan Ibrahimovic, Mario Balotelli…) mort à 54 ans d’un cancer du poumon. On s’est pointé samedi au stade de la Meinau, à Strasbourg, pour voir le ­Racing Club de Strasbourg ­Alsace (RCSA), sa défense d’acier et une dynamique qui peuvent l’emmener, à la surprise générale, en Ligue des champions, battre le Paris-Saint-Germain (2-1), à quatre jours de la réception par les Parisiens d’Arsenal en demifinale retour de la compétition européenne. A l’issue d’une rencontre aux contours flous, tellement furieuse que les acteurs eux-mêmes ont eu grand-peine à y mettre de l’ordre après-coup, on était aussi perdu qu’eux.

17 h 10 Le masque de la Meinau

Dix minutes qu’on y est et on sent le match comme tiré en arrière. Le centre de la tribune Est, où prennent place les groupes de supporteurs les plus chauds du club à commencer par les Ultra Boys 90, sont comme pris dans les glaces –et il fait 28°C à l’ombre. Le coeur de la tribune est silencieux. Les banderoles racontent l’essentiel : «Pour un Racing indépendant, populaire et différent» et «Non à BlueCo», le consortium qui a racheté le Racing Club de Strasbourg en 2023 après s’être porté acquéreur un an plus tôt du Chelsea FC, le dixième club de la planète en termes de revenus commerciaux.

Une filialisation de fait du club alsacien. Qui voit débarquer, selon une politique ­décidée à Londres, de très jeunes joueurs à chaque ­mercato, que le club doit faire grandir pour les renvoyer à Chelsea ou les vendre avec plus-value : moins de 22 ans de moyenne d’âge pour les ­titulaires samedi, tous les compteurs explosés. En début de saison, les groupes de supporteurs les plus remontés ont décidé une grève des encouragements lors du premier quart d’heure, le silence étant paradoxalement la meilleure manière de se faire entendre dans un stade de foot. L’initiative tient toujours. Difficilement : les ­résultats exceptionnels de l’équipe et, plus encore, le mélange d’énergie et de fragilité que dégagent Ismaël Doukouré, Mamadou Sarr et Habib Diarra, au club depuis ses 14 ans et capitaine à 21 (!), serre le coeur comme rarement. On sent le public tiraillé, les supporteurs situés en tribune Ouest redoublent d’effort, et on a flairé lors des quinze minutes initiales une sorte de travestissement, comme si la Meinau portait un masque.

Quand il l’ôte, on en a pris plein les yeux: des fumigènes bleu nuit, la voie lactée s’étendant sur la tribune Est avec des points lumineux comme une constellation d’étoiles. Après coup, une consoeur confessait ne rien comprendre à la démarche des contestataires. L’un d’eux expliquait il y a quelques mois qu’il préférait voir le Racing contre Carquefou (Loire-Atlantique) en Régional 2 que face au Red Bull Salzbourg en Ligue des champions. Il faut entendre qu’il n’y a pas un football, mais plusieurs.

17 h 20 Tour d’honneur sans fin

Personne n’a trop compris sur le moment. Le Racing vient d’ouvrir le score, les Parisiens sont prêts à engager sauf que l’attaquant strasbourgeois Dilane Bakwa pique un sprint dans leur dos vers la tribune Ouest avec… un maillot du club, qu’il exhibe avant de le donner à un photographe placé derrière le but parisien. Le maillot porte le numéro 4. Celui de Saïdou Sow, prêté au FC Nantes en janvier par le club alsacien et qui s’est rompu les ligaments croisés du genou gauche en début de semaine. Le Guinéen passera sur le billard lundi. Il en a pour des mois. Et un ex-coéquipier, en pleine bourre à titre personnel et lancé vers une qualification en Ligue des champions, prend le temps de lui passer un message alors que le Paris-SG passe par-dessus le bastingage : disons que ça valait le détour.

Dilane Bakwa aussi. Depuis des semaines, les chorégraphies qu’il exécute avec l’attaquant néerlandais Emanuel Emegha, meilleur buteur du club (14 buts en Ligue 1), inondent le compte TikTok d’un club que l’on n’imagine pas fâché de mettre en avant le côté joyeux des joueurs. Lequel déborde désormais sur les échauffements : samedi, Bakwa et Emegha ont encore dansé trente minutes avant le coup d’envoi. En vérité, ils ne sortent plus de leur bulle. Après le coup de sifflet final de l’arbitre, les mêmes ont étiré sur une bonne demiheure un tour d’honneur semblant ne jamais finir, Habib Diarra ouvrant la marche en tenant ses petits frères par la main. Il y a dix-huit mois, alors qu’il était référencé jusque dans des clubs disputant la Ligue des champions, l’international sénégalais penchait pour un départ, sa nature réservée s’accommodant mal du bras de fer qu’il avait plus ou moins imposé à sa direction, son contrat courant jusqu’en 2028. «Ce serait un message fort de jouer la Ligue des champions avec Strasbourg», a-t-il soufflé devant les micros après le match. Dans l’euphorie ambiante, tout le monde n’aura pas saisi l’allusion.

18 h 30 Le gardien serbe

Dans le foot comme ailleurs, l’élégance a souvent à voir avec le détachement, une forme de recul alors que tout, les résultats, la dynamique, les regards extérieurs, pousse à l’embrasement. L’entraîneur strasbourgeois Liam Rosenior, 40 ans, y ajoute une touche toute personnelle : il écoute. Les questions, de ceux qui sont venus pour l’écouter lui. Ce qui donne une patine douce, civilisée, à un exercice tenant habituellement de la corvée pour les journalistes et les acteurs, au mieux traversée par du deuxième ou du troisième degré.

Sur les victoires qui s’accumulent, dont celle contre un PSG qui n’a jamais perdu que deux matchs de Ligue 1 sur 32 cette saison : «Dans le foot, le résultat n’est pas quelque chose de concret. Et je ne peux pas fixer mon attention sur des données immatérielles. Si on me parle de régularité, de courir les uns pour les autres, de la manière dont on souffre, là oui, c’est du ­concret. La générosité dont les joueurs ont fait preuve en fin de match, quand les Parisiens ont poussé très fort, ne m’a pas surpris. J’ai déjà vu tout ça depuis Noël. J’ai vu les joueurs célébrer les tacles défensifs comme si c’étaient des buts, se jeter pour contrer des ballons que tout le monde voit au fond et apprendre très rapidement aussi, notamment dans la compréhension du pressing quand nous n’avons pas le ballon.»

Et Rosenior, arrivé cet été, de louer le cosmopolitisme de son équipe: «Vous savez, j’ai 18 nationalités dans le vestiaire. Et chacun est arrivé avec sa façon de voir, sa manière de faire. Il y a beaucoup d’influences sur cette équipe. Y compris la mienne : je suis anglais et s’il y a quelque chose que j’ai importé à Strasbourg, c’est l’état d’esprit, la mentalité de sacrifice qu’ont les équipes anglaises.»

Face au Paris-SG, Rosenior voit dans la souffrance une fatalité : «C’est la seule manière de faire. Ismaël Doukouré a été exemplaire en un contre un quand il a eu [le milieu parisien] Kang-in Lee en face de lui, et il a encore été exemplaire quand il a eu [l’attaquant international des Bleus] Désiré Doué contre lui.» Avant d’insister : «Je veux dire que ça vaut le coup d’aller chercher des points en souffrant.»

Depuis la trêve hivernale, l’enfant de Wandsworth (banlieue sud de Londres) entraîne tout simplement la meilleure équipe de l’élite : 40 points pris depuis janvier, 38 pour les Parisiens champions de France. Le Racing marque raisonnablement, mais ne prend plus de but depuis quatre mois. Rosenior, encore : «J’étais d’abord là pour instaurer un style, une identité, de la confiance avec le ballon. Puis, on a corrigé des choses défensivement. Il faut accorder beaucoup de crédit aux joueurs, vous savez. Les entraîneurs qui gagnent sont intelligents, ceux qui perdent sont bêtes mais les joueurs font les résultats. Concernant la défense, il n’y a pas un facteur, mais plusieurs. La physicalité, l’intensité, la qualité du pressing, le gardien…» Le portier est un grand (1,94 m) Serbe, Dorde Petrovic, décisif à chaque fois ou presque. Sous contrat avec Chelsea, le goal de 25 ans n’a objectivement rien à faire dans un club de la dimension du RCSA. Sauf si BlueCo l’y envoie.

18 h 55 «Ne ­cherchez pas»

«On a le meilleur gardien de Ligue 1. Là-dessus, il n’y a pas de doute.» Petrovic vient de passer dans le dos de Félix Lemaréchal mais le milieu du Racing, buteur samedi, a attendu que le gardien s’éloigne pour lâcher celle-là. On y a deviné une immense reconnaissance. Alors que le Parisien Lucas Beraldo, passé devant les micros avant lui, avait débité platitudes sur platitudes, le Tourangeau de naissance, 21 ans, a tranquillement passé le crash test de vérité : quelques secondes de silence pour tourner la question dans sa tête et une réponse mesurée, personnelle, qui suscite à son tour la ­réflexion chez la demi­-douzaine de reporters qui lui font face. Sur l’aspect défensif : «On a monté le curseur en termes d’intensité et d’agressivité, ne cherchez pas.» Sur la jeunesse de l’équipe, jugée suspecte dans leur cas comme ailleurs : «On a beaucoup entendu ça en début de saison et quand on était moins bien [en novembre, décembre] aussi. Mais on l’a pris de la bonne manière, c’est-àdire qu’on l’a utilisé comme levier : “On est soi-disant trop jeunes ? Eh bien on va réussir comme ça.”»

Ces gars-là ont donc tracé leur propre chemin. Pour le côté show off des Emegha, Bakwa et autres, il fallait repasser : Lemaréchal est tout en retenue. Etrangement, seule l’évocation de son entraîneur, Rosenior, lui arrache un sourire. «Il nous parle toujours de “mentalité d’élite”. Toute la saison, ça a été ça : “Je veux une mentalité d’élite.” Etre intense. En tout.» Au long. Pour avoir forcément reçu des alertes au niveau physique durant sa carrière, aucun trentenaire n’accepterait durablement ce régime. Strasbourg, c’est le printemps d’une vie de foot. 

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