WELLENS - Chapeau l’altruiste


Après une carrière chez Lotto à viser la victoire, le champion de Belgique s’est transformé en équipier modèle pour son ami Tadej Pogacar. Hier, il a renoué avec le succès.

"Je préfère participer à une victoire collective qu’être septième individuellement"
   - TIM WELLENS

"C’est un très grand chambreur. 
Tout en restant sérieux, il glisse ses petites blagues"
   - ANCIEN' CO' ÉQUIPIER TONY GALLOPIN, SON CHEZ LOTTO

21 Jul 2025 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL YOHANN HAUTBOIS

CARCASSONNE – Dans un petit salon de son hôtel à Toulouse, mardi, Tim Wellens avait opté pour un petit rafraîchissement de la nuque, probablement en prévision d’une séance photo qu’on avait sollicitée et qui fut finalement ajournée. On ne l’imaginait pas coquet mais, après plus d’une semaine à suer sang et eau pour son leader Tadej Pogacar, le Belge de 34 ans fut malgré tout bien inspiré de passer la tondeuse et, hier, sur le podium, il portait beau avec sa nouvelle coupe et son maillot de champion de Belgique.

Vainqueur d’ une étape aucoeur des massifs de pins et des étangs, aux confins de l’Aude et du Tarn, le coursier d’UAE s’est imposé comme à ses plus belles heures (deux victoires sur la Vuelta en 2020 et deux sur le Giro, en 2016 et 2018), comme il y a trois semaines en endossant le maillot tricolore, au bout d’un raid solitaire quasi identique d’une quarantaine de kilomètres: «Je suis très fier de mon nouveau maillot de champion de Belgique car le podium (il a devancé Remco Evenepoel et Jasper Philipsen à Binche) est très beau», évoquait-il lors de la journée de repos.

Au moment de classer ses meilleurs souvenirs, il englobait aussi son succès lors du Grand Prix de Montréal en 2015, « car Tom Boonen (son idole) avait déclaré que c’était la course la plus dure qu’il avait disputée » , mais voici son ordonnancement un peu chamboulé avec sa performance à Carcassonne. « Une jolie coïncidence » puisque, selon lui, il n’avait pas coché cette étape, ni aucune d’ailleurs, car son rôle de cerbère pour Pogacar le cantonne aux basses oeuvres, un roule-toujours qui ne se plaint pas mais qui a décroché, hier, la timbale: «S’il y en a un qui mérite cette victoire, c’est Tim, souligne Mauro Gianetti, le manager général d’UAE. Il s’est toujours consacré à l’équipe. Il est très fort, il a déjà beaucoup gagné mais quand il est avec Tadej, il oublie toutes ses ambitions.»

Le basculement s’est opéré en 2023 quand, après dix années chez Lotto, il cédait enfin, à 31 ans, aux sirènes de la formation émirienne : « Je me suis beaucoup amusé chez Lotto mais j’étais copain avec tout le monde, j’étais trop dans ma zone de confort. Et je savais que je ne pourrais pas lutter contre Pogacar et d’autres coureurs. Je préfère participer à une victoire collective qu’être septième individuellement.»

Né à Saint-Trond, Wellens, derrière ses airs de blondinet le doigt sur la couture, possède un «gros caractère, se remémore Tony Gallopin, son ancien coéquipier chez Lotto. Tim, c’est un spécial. Je ne peux pas dire casse-couilles car on s’entendait super bien. On a énormément rigolé mais on n’a pas toujours été d’accord. Il a ses idées, il est entier. Sur les tactiques de course, il ne faisait pas de compromis» .

Quand on a évoqué sa personnalité, Simone Pedrazzini, un de ses directeurs sportifs chez UAE, a rigolé : « Oh oui, gros caractère, il est très direct et ça, j’aime bien. Il dit les choses.» «C’est un mec 100 % professionnel, se souvient Steff Cras, lui aussi ancien équipier chez Lotto. Tim vit pour le cyclisme, il veut tout optimiser. » On l’a ainsi aperçu, en début de Tour, pointilleux et assez directif avec les mécanos de son équipe.

Têtu comme une mule, pas fait pour le football et explosion tardive

Quand il ne dit rien, ce n’est pas forcément bon signe. Demandez à son père, Léo, ancien coureur qui a disputé les JO de Moscou en 1980 et le Tour en 1981 avec ses deux frères (Johan et Paul, ce dernier vainqueur sur le Tour en 1977 et 1978): « Il était têtu. À 16-17 ans, il ne m’a pas parlé pendant plusieurs mois, il passait par ma femme qui disait que j’étais aussi têtu (rires). » Les deux se sont rabibochés autour d’un bouquet de fleurs que le fiston a ramené d’une course gagnée, ce qui n’avait rien d’évident.

Après avoir tâté du football ( «Il avait froid et quand le ballon était d’un côté, Tim se trouvait de l’autre et ne regardait pas dans la bonne direction », sourit Léo), le Limbourgeois est monté sur un VTT lors des vacances familiales en Autriche puis a commencé à rouler dans sa province natale. À l’adolescence, «tout petit» , il s’interrogeait sur ses capacités, « mais à 17 ans, il a rattrapé tout le monde d’un coup», se rappelle ce père vainqueur d’une étape du Tour de l’Avenir 1983 et que le fils évoque aujourd’hui avec pudeur et respect, incapable d’admettre l’évidence, qu’il l’a dépassé sur le plan sportif depuis un moment : « Mon papa dit que je suis plus fort que lui mais moi, je ne sais pas ( rires). »

Quand on lui avait rappelé, mardi, que Léo, avec sa quatrième place sur la Grande Boucle, à Thonon-les-Bains, avait fait mieux que lui (13e comme meilleur résultat jusqu’à hier), il avait demandé, amusé, qu’on ne répercute pas cette statistique: «Ce n’est pas marrant. »

Le garçon est surprenant. Derrière son visage impavide, en permanence sous contrôle, se cache, selon Gallopin, « un très grand chambreur. Il faut le connaître, son humour aussi. Tout en restant sérieux, il glisse ses petites blagues » . Sur ce plan, avec Pogacar, ils font la paire, voisins et amis à Monaco, malgré la différence d’âge (sept ans) et l’arrivée tardive du Belge chez UAE Emirates-XRG: «Tim a une grande et belle carrière mais je comprends son choix, observe Gallopin. S’il est heureux, épanoui, c’est le principal. En plus, il est très copain avec Tadej, c’est encore mieux de travailler ainsi pour son leader.»

Bien que «plus fort que lorsqu’il était chez Lotto» (Cras), il appréhende ce rôle de gregario sans déchirement. «Quand j’assiste Tadej, je n’ai aucune ambition personnelle », assume le Belge, tout en admettant n’avoir «jamais fait un Tour à ce niveau, même en 2019 (troisième du classement de la montagne)» . À chaque début d’après-midi, juste après l’autre fend-labise d’UAE qu’est Nils Politt, il se charge en effet d’écumer le peloton, de l’essorer, dans un seul but, « faciliter la vie de Tadej. Car que je sois là ou pas, il va gagner le Tour. Mais s’il est en milieu de peloton et qu’il y a une chute, c’est de ma faute car je n’étais pas présent pour le placer devant. Je suis son bodyguard. Ce n’est pas un travail ingrat».

« Tim est un homme incroyable, intelligent, il sait gérer les moments de stress, admire Gianetti. Tadej apprend beaucoup de Tim.» Par procuration, les élèves de SaintTrond, où sa mère Fabienne enseigne, s’en inspirent également «car même sans faire beaucoup d’efforts, il était un bon élève, tout en s’entraînant 50-60 km tous les jours», insiste son père, Léo. Allergique à la foule, trop stressé aussi, ce dernier a regardé l’étape entre Muret et Carcassonne devant sa télévision, auprès d’Antonie, la grandmère, 99 ans, que Tim Wellens, tourné vers les autres, n’oublie jamais d’appeler chaque semaine.

***


Une partie de l’équipe UAE hier lors de la 15e étape du Tour de France, remportée par l’un des leurs, Tim Wellens. Retrouvez le podcast: «UAE gagne encore, agaçant ou logique?» sur le site l’équipe

UAE en fait-il trop?

La domination de l’équipe de Tadej Pogacar est d’une ampleur inédite aux yeux du peloton, partagé entre respect de la supériorité et crainte de ses effets néfastes.

"On est un peu frustrés, on a l’impression qu’on ne nous laisse que des miettes"
   - CÉDRIC VASSEUR, GÉNÉRAL MANAGER DE COFIDIS

21 Jul 2025 - L'Équipe
ANTHONY CLÉMENT (avec Y. H.)

CARCASSONNE – Vingt-trois équipes ont pris le départ du Tour, un record et une promesse pour les plus petites formations, mais la réalité est cruelle pour l’immense majorité. Plus riche, plus forte, jamais rassasiée, UAE Team Emirates truste la plupart des récompenses: le classement général avec Tadej Pogacar, champion du monde déjà vainqueur de quatre étapes, et encore une victoire ce dimanche, cette fois offerte par Tim Wellens, qui a gagné avec le maillot de champion de Belgique. « On ne prend pas tout. Beaucoup, mais pas tout, nuance le directeur sportif Simone Pedrazzini. C’est notre moment et plus tard, ce sera quelqu’un d’autre. Ça tourne mais on espère continuer encore un peu (sourire). Sur des courses à étapes, il faut savoir aussi contrôler le classement.»

La supériorité absolue de Pogacar autorise toutefois ses copains à s’octroyer quelques libertés, et c’est ainsi que le succès de Wellens vient asseoir une domination écrasante, qui étouffe une partie du peloton. « On est un peu frustrés, on a l’impression qu’on ne nous laisse que des miettes, on aimerait bien que certaines étapes soient aussi pour d’autres, avoue Cédric Vasseur, manager général de Cofidis. Dans le cyclisme moderne, on ne laisse rien, et cette tendance s’intensifie. Quand on fera le bilan, on sera déçus comme beaucoup. C’est un problème car on ne peut pas faire le Tour avec cinq équipes, il faut que les vingt-trois puissent vivre. Là, on est obligés de se résoudre à des vingtièmes places, ce n’est pas suffisant pour continuer dans l’élite. Même en tant que coureur, je n’ai pas souvenir d’une équipe qui écrase autant. »

Dans les années 1990, Banesto se concentrait sur le maillot jaune de Miguel Indurain, qui se contentait de rafler les chronos pour régner. Les années 2000 ont été plus despotiques, avec la tristement célèbre US Postal de Lance Armstrong, et Sky a ensuite dominé à partir de 2012. Devenue Ineos-Grenadiers, la formation britannique est dépassée par les moyens des Émiriens, qui ont élevé tous les curseurs. « Sky courait un peu plus à l’ancienne, laissait beaucoup d’ouvertures, en donnant beaucoup d’écart aux échappées, se souvient Tony Gallopin, coureur à l’époque et désormais directeur sportif de Lotto Dstny. On s’adapte, on sait qu’on a très peu d’opportunités, ce n’est pas facile. Mais là, ce ne sont pas eux qui ont durci la course, ils n’ont pas cherché à dominer et Wellens s’est glissé dans l’échappée. Ils ont bien couru, ils sont malins. »

Équipier du Maillot Jaune, le Belge pouvait rester abrité à l’arrière de l’échappée, et il était plus frais au moment de porter son attaque décisive. Un cercle vertueux pour UAE, vicieux pour les autres. « On voit qu’ils ont un appétit féroce, voilà… Ils dominent, ils écrasent, constate Jean-René Bernaudeau, patron de TotalEnergies. J’ai connu l’époque où on restait au chaud auprès du leader, pour le protéger. Ils ont de la marge, même s’ils ont perdu leur numéro2 Joao Almeida. Il n’y a pas beaucoup de risque qu’ils échouent, et quand on a les moyens d’envoyer devant des grands capitaines comme Wellens, c’est un luxe considérable. »

Loin devant les autres équipes avec 65 victoires cette année

Le Vendéen revendique le plus petit budget de la course, avec 13 M€. UAE affiche 60 M€, même si certains concurrents pensent que la vérité est plus proche des 80. Dans tous les cas, la dream team de Pogacar évolue dans une autre sphère, et Bernaudeau préfère ne pas y penser : « Si on commence à être perturbé par la domination d’UAE, on finira par moins bien dormir… J’essaie de préserver mes gars, pour ne pas polluer nos objectifs. UAE domine beaucoup plus que Sky, et si l’étau ne se desserre pas, Pogacar peut gagner huit ou neuf étapes. »

Huit, c’est le record de Charles Pélissier (1930), Eddy Merckx (1970, 1974) et Freddy Maertens (1976), des références d’un autre temps qui reflètent l’emprise de la structure dirigée par Mauro Gianetti. « On sait qu’ils sont tous forts, n’importe lequel d’entre eux serait leader ailleurs, souffle Benjamin Thomas (Cofidis). À partir de là, ils gagnent la course même quand ils envoient un équipier devant. Mais on essaie de regarder les choses positives: il n’y a pas que le Tour dans la saison, on ne court heureusement pas tout le temps avec eux. »

L’hégémonie ne se réduit pourtant pas au mois de juillet : avec 65 victoires cette année, UAE brille loin devant Lidl-Trek (34) et Soudal-Quick Step (27). Pour exister, il faut donc être imaginatif et ne pas craindre de voyager. « Les temps ont changé, les sponsors, les investissements… Il faut s’adapter. Nous, on a eu notre Tour de France en Chine (le Tour Lac Qinghai, avec une étape, la première et la troisième place au général), on a aligné nos coureurs en forme pour prendre les points UCI, il fallait changer de stratégie, explique Dimitri Fofonov, directeur sportif d’Astana XDS, qui vise le maintien au sein du World Tour. Sur le Tour, on essaie avec nos moyens car on n’a pas de coureur pour le général, on roule pour les points UCI. Il y a toujours eu quelqu’un de plus fort pendant cinq ou six ans. Pogacar n’a pas à laisser gagner les autres, c’est la course. »

Habitué à célébrer des succès, Philip Roodhooft est aussi sur cette ligne. « C’est une très bonne équipe avec de très bons coureurs, ça se voit dans les résultats, rien de plus, estime le manager général d’AlpecinDeceuninck. On ne peut quand même pas reprocher à Tim Wellens d’être aussi fort et de saisir la chance de gagner une étape ? »

Non, mais ils restent très nombreux à attendre de saisir la leur.

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