Wellens, vainqueur d’une belle baston
L’arrivée victorieuse du champion de Belgique,
dimanche, à Carcassonne (Aude).
Dans la 15e étape, entre Muret et Carcassonne (169,3 km), victoire en solitaire du Belge Tim Wellens (UAE). La course, magistrale, a été animée du bout en bout pour prendre la bonne échappée.
21 Jul 2025 - L'Humanité
Envoyé spécial. JEAN-EMMANUEL DUCOIN
Acte I, scène 1.
Et encore plein les yeux. Dans sa générosité régénératrice, quel que soit le scénario ou le profil, le Tour en merveilles nous octroya dès le début de l’étape un vrai supplément d’âme que les suiveurs, seuls, visitaient en topographie de l’intérieur. Par l’usufruit du tracé, de villages en départements, de bourgs en balcons, de rivières en contreforts, nous découvrîmes ce que la France de Juillet offrait de meilleur, même pour un jour dit «de transition» mais plus piégeux qu’il n’y paraissait. Entre Muret et Carcassonne (169,3 km), la géographie, soumise à la nécessité épique de l’épreuve, se transforma en chemins accidentés propices à toutes les folies. Une éblouissante partie de manivelle, comme seule la Grande Boucle en provoque.
TROIS CÔTES POUR UN PELOTON
Nous en eûmes une preuve éclatante après seulement 10 kilomètres avalés à un rythme de furieux sous une chaleur suffocante, tandis que la «bonne échappée» tentait de se constituer. Le chronicoeur humait son dernier café, l’air distrait, l’après-midi n’avait même pas vraiment débuté, quand tout s’électrisa au point qu’il fallut convoquer toute notre attention, regarder posément l’horizon comme on scruterait le passé pour prendre conscience que le Tour, désormais accroché au Sud avant la grande remontée vers les Alpes, basculait dans sa dernière partie. Dans une semaine, rideau. Incroyable distorsion du temps, d’autant qu’il était inutile de refaire le film à l’envers et de narrer l’hyperdomination d’un petit ogre nommé Pogačar et l’apoplexie de la concurrence.
Acte I, scène 2.
Chacun ses batailles. Celle du jour, avec trois côtes, concernait donc les baroudeurs, toujours volontaires pour sonder les entrailles du terrain. S’enragea façon coups de canons une baston absolument épique. Tout se tendit, à tel point qu’une chute dans le peloton retarda un paquet de coureurs et projeta un vent de panique. Le porteur du maillot blanc, l’allemand Florian Lipowitz, 3e du général, le «dauphin» Jonas Vingegaard, et même Oscar Onley et Kévin Vauquelin (4e et 5e), tous retardés, mirent d’ailleurs un bon moment avant de réintégrer le groupe Pogacar. Ce dernier joua son rôle de leader, sinon de maître : par son attitude volontairement sur les freins, il intima l’ordre à ceux qui ne se préoccupaient pas de la victoire d’étape d’attendre ses concurrents directs au podium, tous à la traîne.
Acte II, scène 1.
Il était 14h40, le patron avait parlé, et tout rentra dans l’ordre entre favoris, bien qu’une énorme troupe baguenaudait encore à l’arrière (avec Martinez, Milan, etc.). Cette fois, l’échappée parut constituée. Quinze courageux ouvraient la voie, parmi lesquels Campenaerts, van der Poel, Wellens, Powless, Van Aert, Lutsenko, Russo, Mohoric, Vercher, etc. L’élastique se rétracta dans la côte de Saint-Ferréol (km 72,8), puis dans celle de Sorèze (km 87), sous l’impulsion d’un groupe composé de 25 Bougrelas. À l’avant, tout explosa. Ils ne furent d’abord plus que huit (Rodriguez, Campenaerts, Simmons, Wellens, Powless, Storer, Lutsenko, Mohoric, Leknessund). Le groupe maillot jaune laissa filer, jusqu’à sept minutes…
Acte II, scène 2.
La dernière bosse, le mur du Pas-du-Sant, à l’ombre des épicéas, sapins, hêtres ou autres châtaigniers, ne modifia rien. Cette montée (2,9 km à 10,2 %) placée hélas à 52 bornes du but, à la frontière du Tarn et de l’aude, permit néanmoins aux coursiers de venir cogner contre la Montagne noire. La route se cabra, les jambes brûlèrent, la dette d’oxygène guetta, mais après avoir franchi l’ossuaire de Fontbruno, en souvenir des résistants du Corps franc, la route toboggan offrit une vue imprenable sur la vallée de l’aude, le pic de Bugarach et, en fond de décor, les Pyrénées ariégeoises.
UNE PENSÉE POUR LE MONT VENTOUX
Dans la longue descente vers les remparts de Carcassonne, les évadés se retrouvèrent à huit ( Rodriguez, Barguil, Vlasov, Campenaerts, Simmons, Wellens, Storer et Lutsenko). Mais le Belge Tim Wellens (UAE), débarrassé pour une fois du travail de protection de Pogacar, s’élança, survolté, dans un exercice solitaire de plus de 40 kilomètres, sans jamais revoir les compères à ses trousses, largués à près de deux minutes. Une démonstration assez démente. À 34 ans, le champion de Belgique vint quérir sa première victoire de prestige sur le Tour.
Épilogue.
En pensant à la journée de repos, ce lundi à Montpellier, le chronicoeur se gratta la nuque et tortura son esprit. Depuis plusieurs jours, en effet, tous les suiveurs n’évoquent que «les Alpes», «les Alpes» bientôt dans le viseur, oubliant l’un des points d’orgue de cette édition, mardi, avec l’ascension du célébrissime mont Ventoux. Une montée sèche infernale (15,7 km à 8,8 %, HC). Imaginons la chaleur, sur ce massif calcaire tondu comme un moine sur lequel le soleil s’appesantit, espace lunaire paradisiaque qui vous tend les bras, offrande tellurique aux hommes d’en bas. À lui tout seul, un monde en réduction, qui crée des personnages à sa démesure. Le mont Ventoux n’est ainsi ni plus raide, ni plus long, ni plus haut que bien d’autres sommets dressés pour anéantir le plus courageux des cyclistes. Mais le «mont chauve», pic mythique, impressionne les mémoires, les torture, les éclaire. Et tout, absolument tout peut s’y dérouler au présent, en mode onirique ou dramatique. À la merci des dieux provençaux, Pogačar, Vingegaard et les autres n’y seront pas les bienvenus. Sauf que le destin du Tour trouvera sa définition peut-être ultime. Une générosité régénératrice ? Ou un supplément d’âme ?
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