Jordan Jegat - Un vaccin contre le jeunisme
Sans bruit, le Breton de 26 ans, a surpris son monde par sa régularité en montagne. En équipe Continentale il y a encore deux ans, il finit à la 10e place sur ce Tour de France. Un cas devenu rare.
1 Aug 2025 - Vélo Magazine
Par Nicolas Perthuis
1 - Savoir donner avant de recevoir
C’est en 2021, soit à 22 ans, que le Breton a réalisé sa première saison complète, ce qui est tardif à l’échelle d’une carrière. Alors en DN1, chez Team U Nantes Atlantique, il a travaillé à l’usine une bonne partie de l’année 2020 jusqu’en mars 2021, après avoir terminé un BTS management des unités commerciales. « Je vivais chez mes parents, précise Jordan Jegat, ce qui m’a permis de mettre de l’argent de côté et de me financer des stages dans les Pyrénées. Quand l’équipe est passée au niveau continental début 2022, je suis parti vivre à Nice pour trouver des terrains d’entraînement propices à ma progression ! » Début 2019, Jordan se rapproche de Maxim Frémeaux, sport scientist, qui deviendra son entraîneur jusqu’à son intégration chez Totalenergies début 2024. « Pour sa première saison pro chez nous, précise Anthony Ravard, manager de la formation CIC U Nantes Atlantique, je lui ai demandé de faire le boulot pour Louis Barré qui est devenu son meilleur pote, mais aussi pour Axel Mariault. Je lui avais glissé que l’année suivante, ce serait lui le leader de l’équipe. Il a joué le jeu à fond, sans jamais rechigner. Il sait donner pour recevoir ! »
2 - Six kilos de moins
« En 2021, j’ai terminé sixième du Championnat de France chrono espoirs, mais également sixième d’une étape de montagne sur la Ronde de l’isard, explique Jegat. Je ne savais pas alors si je devais prendre du poids pour devenir meilleur rouleur ou en perdre pour mieux grimper. C’est Anthony Ravard qui m’a influencé pour choisir la deuxième option. » « Je lui ai dit un jour qu’il avait au moins six kilos de trop ! confirme ce dernier. Je parle toujours en bidons à porter en plus quand j’aborde ce sujet avec mes coureurs. Pour Jordan, ça faisait donc douze car un bidon c’est 500 grammes. Il a écouté et perdu du poids. » « Par rapport à cette époque-là, je fais six kilos de moins, atteste le coureur de Totalenergies (1,76 m pour 59 kg). Je suis donc devenu grimpeur, à l’aise sur les efforts qui vont de 10 à 25 minutes. Sur ce Tour, c’est d’ailleurs sur l’étape qui se terminait au Mont-dore Puy de Sancy, une accumulation de montées et de cols de trois à cinq kilomètres, que j’ai été le plus à l’aise physiquement. »
3 - Le Tour de France 2024, un déclic
« L’année passée, pour ma première saison chez Totalenergies, avec mon nouvel entraîneur, Gregory Baustert, nous avions axé un vrai travail spécifique sur les montées n’excédant pas les 20 minutes, constate Jordan. Ca avait porté ses fruits puisque dans la foulée je termine deuxième du Tour du Jura et troisième du Giro de Toscane. Sur le Tour de France 2024, j’avais la mission d’aider Steff Cras et malgré ça, je fais 28e au général. Certes, ce n’est pas fou mais j’y ai pris des repères et surtout l’envie de revenir avec une autre ambition. Mais ce qui m’a vraiment donné de la confiance pour préparer le Tour de France 2025, c’est la deuxième place de Mattéo Vercher, l’an dernier à Barcelonnette, battu dans un sprint à trois par Victor Campenaerts. Comme quoi il y avait des possibilités de remporter des étapes même pour des coureurs comme nous. Je suis donc arrivé au départ à Lille avec l’objectif premier de lever les bras. Au général, je visais un top 20 en évitant de me relever inutilement, en sachant rester placé et en prenant quelques échappées. Au final, je suis mieux que je le pensais au général car mon niveau en montagne a été supérieur à ce que j’espérais ! »
4 - Du travail « spécifique » montagne depuis peu
« Depuis cet hiver, afin de préparer le Tour de France, j’ai vraiment travaillé sur des temps d’effort en montée allant de 45 minutes à une heure, analyse Jordan. Et ça c’est nouveau. Après le stage en altitude, j’ai fini 14e du Critérium du Dauphiné et j’ai senti des progrès sur les longues ascensions qui se sont confirmés sur le Tour. Sur les pentes du Tourmalet, par exemple, j’arrive à m’échapper. Dans la montée vers Superbagnères, je me fais reprendre par les favoris après mon échappée et j’arrive à m’accrocher et bien figurer (13e). J’ai passé un cap et pourtant – mis à part le Dauphiné – mon programme de courses ne m’a pas permis de trop me confronter à des montées longues, c’est pourquoi je pense pouvoir encore progresser. »
5 - À contrecourant
« Quand je vois qu’à la télé, sur les étapes de montagne, on parle du “groupe Jegat” pour signifier un écart, c’est qu’il pèse médiatiquement, admet Maxim Fremeaux. Et c’est tellement mérité. Quand j’ai commencé à l’entraîner, je peux vous dire que ses données de puissance étaient bonnes mais j’en ai vu des meilleures chez les amateurs. Son implication au quotidien a fait la différence. C’est un passionné de son sport, il adore la compétition mais tout ce qui concerne l’entraînement, il délègue. Pour lui, c’est un lâcher-prise salvateur face à des questionnements inutiles ! » « J’avais remarqué, à notre premier entretien, avant le Tour de France 2023, qu’il n’avait pas le parcours d’un jeune de 19 ans qui était dans la réserve d’une World Tour et pro avant l’heure, résume Benoît Genauzeau, manager sportif chez Totalenergies. Il y a aussi de la place pour des coureurs de son rang, qui ont fait des études et qui ont besoin de temps pour progresser. Faire évoluer un athlète physiquement, c’est une chose, mais en tant qu’homme cela en est une autre et l’équilibre entre les deux est parfois délicat. Quel gâchis s’il avait arrêté il y a deux ans parce qu’aucune équipe ne voulait de lui car soi-disant trop vieux ! »
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