PAULINE FERRAND-PRÉVOT - Un Tour dans son sacre
Pauline Ferrand-Prévot, de l’or en boucle
La Rémoise de 33 ans, médaillée olympique l’an dernier, a remporté l’épreuve dimanche en finissant en tête de la dernière étape, en Haute-Savoie. Elle est la première Française vainqueure de la Grande Boucle féminine depuis la reprise de cette compétition
4 Aug 2025 - Libération
Par Julien Lecot
Tout est parti d’une promesse. Fin juillet 2024, au sommet de la colline d’Elancourt (Yvelines), Pauline Ferrand-Prévot accrochait le seul titre qui manquait à son long palmarès de VTTiste: celui de championne olympique. Enfin dorée, la Française aurait pu raccrocher, profiter, souffler après des années à courir après les podiums. Mais à peine avait-elle la médaille d’or autour du cou qu’elle se tournait, déjà, vers un nouvel objectif : celui de retourner sur la route, où elle ne courrait plus depuis cinq saisons, pour y remporter le Tour de France. Celle qui a grandi dans une famille de cyclistes à Reims (ses parents tenaient un magasin de vélo) se promettait alors de tout faire pour remporter sous trois ans la course qu’elle regardait gamine à la télévision. Il ne lui en a fallu qu’un. Dimanche, le rêve longtemps inaccessible (depuis 1993 et jusqu’en 2022, les coureuses étaient privées de Grande Boucle) est devenu réalité: à 33 ans, Pauline Ferrand-Prévot a remporté à Châtel (Haute-Savoie) le Tour de France. «Je me souviens que je voulais être un garçon pour faire le Tour», avait lâché la championne avant le départ. La dernière fois qu’un Français avait terminé l’épreuve en jaune (Jeannie Longo en 1989 sous le nom de Tour de France, Catherine Marsal en 1990 sous celui du Tour de la CEE; Bernard Hinault en 1985 chez les hommes), elle n’était même pas née. «Maintenant, je ne sais pas ce que je vais pouvoir faire», a glissé à l’arrivée celle qui compte quinze titres de championne du monde dans différentes disciplines du cyclisme.
Quand certains se sont battus pendant des années pour y arriver, «PFP» a construit son succès à vitesse grand V, en un an seulement. Son retour sur la route s’est fait par étapes. Il y a d’abord eu les championnats du monde, en Suisse, en septembre. Plus habituée aux si longs efforts (les courses de VTT durent rarement plus de 90 minutes), l’attraction de l’équipe de France avait abandonné après à peine deux heures sur le vélo. Toute championne olympique qu’elle était, Pauline Ferrand-Prévot avait pu mesurer l’écart qui la séparait encore des meilleures coureuses de la planète.
Routine de moine
Alors, elle a repris sa routine de moine qui lui a permis d’être couronnée à Paris. Elle s’est isolée chez elle en Andorre pour travailler seule, loin de tout, et réapparaître transformée au printemps. Sur les Strade Bianche début mars, la trentenaire a d’abord accroché un premier podium. Puis un deuxième sur le Tour de Flandres en avril. Avant de carrément remporter Paris-Roubaix, une première pour une Française depuis que la course se conjugue également au féminin. «Cette période de classiques m’a beaucoup appris. Se battre pour être dans les premières positions, après tel virage ou avant tel mont, c’est un travail de placement impossible à reproduire à l’entraînement», expliquait-elle à l’Equipe avant le Tour.
En mai, la Française s’est essayée à son premier grand tour. En Espagne, elle s’est rendu compte qu’elle n’était pas encore au niveau pour rivaliser en montagne et sur plusieurs jours de suite avec les Demi Vollering, Katarzyna Niewiadoma et consorts. Une claque. Alors Pauline Ferrand-Prévot est retournée à sa bulle. Pendant les deux mois qui ont précédé le Tour de France, elle est repassée en mode JO 2024. Elle n’a pas pris part à la moindre course, a refusé les sollicitations médiatiques et s’est enfermée dans une routine qu’Yvan Clolus, le manager de l’équipe de France de VTT, résume ainsi dans l’Equipe : «Je m’entraîne, je dors, je mange.» Au début de l’été, PFP a fini par sortir de son ermitage pour aller reconnaître les étapes alpines du Tour, en camping-car avec ses parents.
Fin juillet, quand le Tour de France est arrivé, Pauline Ferrand-Prévot a donc débarqué en ovni. Personne ne savait à quel niveau se situait vraiment la coureuse de la Visma-Lease a Bike. Si elle assurait prendre le départ de la course sans avoir pour ambition de la remporter du premier coup, ses adversaires n’y croyaient pas vraiment. «C’est vraiment dur de savoir où elle en est, nous glissait avant le début de la Grande Boucle Stephen Delcourt, le manager de la FDJ-Suez. Mais pour nous, c’est clairement notre rivale numéro 1. Quand on voit son talent, la facilité avec laquelle elle a gagné les Jeux olympiques, on sait que quand elle veut gagner quelque chose, elle arrive toujours à s’en donner les moyens.»
Au départ à Vannes, les suiveurs ont d’abord été surpris par sa transformation physique. La championne olympique avait annoncé vouloir perdre environ quatre kilos pour être meilleure en montagne. Ils se sont vus à l’oeil nu et aux manches de son maillot, désormais trop grandes pour elle, qu’elle devait accrocher à l’aide d’une épingle pour éviter qu’elles ne flottent. Cette perte de poids fera parler : sans jamais citer son nom, plusieurs coureuses évoqueront durant l’épreuve la maigreur dans le peloton et le danger que ces régimes représentent pour la santé mentale et physique des athlètes.
La course est venue ensuite et très vite, tout le peloton a compris que Pauline FerrandPrévot était arrivée en Bretagne dans sa meilleure forme. Dès la première étape, la Française s’est retrouvée seule, à 500 mètres de la ligne. Elle devait jouer les poissons pilotes pour sa coéquipière de luxe, la légende néerlandaise Marianne Vos. Mais à trop appuyer sur les pédales, la championne olympique a lâché tout le monde, même celle qu’elle devait emmener au succès. Tout était rentré dans l’ordre et Vos avait fini par la croquer sur la ligne. Mais tout le monde y avait quand même vu un sacré avertissement.
Les jours d’après, Pauline Ferrand-Prévot s’était contentée de suivre, d’éviter les chutes et de gratter des bonifications quand elle en avait l’occasion. Jeudi, elle disait même s’être «cachée» toute la journée pour se préserver pour les Alpes. Vendredi, alors que le maillot jaune lui tendait les bras, elle avait laissé la Mauricienne Kim Le Court (AG InsuranceSoudal) lui revenir dessus dans la descente finale, façon, disait-elle, d’éviter les lourdeurs de la tunique dorée et du protocole qu’elle impose (passage sur le podium puis devant les caméras). La patience a pris fin samedi, dès que la route s’est raidie pour de bon.
Assommer le Tour
Alors que le peloton n’était plus composé que d’une quinzaine de coureuses à 10 bornes de l’arrivée, située tout en haut du redoutable col de la Madeleine, Pauline Ferrand-Prévot s’est accrochée à la première attaquante, la grimpeuse australienne Sarah Gigante (AG Insurance-Soudal). Voyant que les autres favorites ne suivaient pas, la Française en a remis une couche, puis plusieurs, avalant Gigante, les quelques échappées du matin qui étaient encore devant, pour ouvrir la route seule sur les sept derniers kilomètres.
Et l’écart n’a cessé de grimper. A l’arrivée, Pauline Ferrand-Prévot comptait 1 minute et 45 secondes d’avance sur l’Australienne et plus de 3 minutes sur les autres favorites au classement général. Elle venait d’assommer le Tour. En jaune pour la première fois de sa carrière dimanche, PFP n’a eu qu’à regarder celles qui la précédaient au classement se faire la guerre. Pendant plus de trois heures, elle n’a pas pris un relais. Avant de placer une attaque dans la dernière montée pour s’offrir une deuxième victoire d’étape en deux jours – la quatrième consécutive pour une Française après le doublé de Maëva Squiban. A l’arrivée, la Rémoise aura sans doute eu une pensée pour ces après-midi de juillet passées devant la télé. Et à ces moments où, raconte-t-elle, elle s’imaginait sur un vélo fendre la foule au sommet du Tourmalet ou du mont Ventoux avec un maillot jaune sur ses épaules. Dimanche, «le est devenu réalité.
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PHOTO J. DE ROSA. AFPnd
La Française Maëva Squiban lors d’une échappée vendredi sur la 7e étape.
Derrière les championnes, le cyclisme au féminin explose
Avec le succès médiatique du Tour de France femmes et une présence accrue des créatrices de contenu vélo sur les réseaux sociaux, la discipline voit affluer de plus en plus de pratiquantes.
4 Aug 2025 - Libération
MARGAUX GABLE
La séquence remonte à 1987 et colle aux basques de Marc Madiot. Invité sur le plateau d’Antenne 2, celui qui est alors coureur déclame éhontément, face à la figure du cyclisme Jeannie Longo et sous des regards aussi amusés que complices : «Il y a des sports qui sont masculins, il y en a qui sont féminins. Voir une femme danser, c’est très joli, voir une femme jouer au football, c’est moche, voir une femme sur un vélo, c’est moche. […] Le sport cycliste est un sport extrêmement difficile, et j’aime trop les femmes pour les voir souffrir.» L’actuel manager général de l’équipe Groupama-FDJ a depuis présenté ses excuses pour des propos qu’on n’imaginerait plus entendre aujourd’hui. D’autant que quarante ans plus tard, les femmes sont bel et bien en selle. Qu’elles soient amatrices ou professionnelles, elles sont de plus en plus nombreuses sur les routes et cols français. Et la victoire de Pauline Ferrand-Prévot sur le Tour de France pourrait accélérer le mouvement.
Selon les chiffres de la Fédération française de cyclisme (FFC), sur les 97 779 licenciés à la fin février 2025, 12571 étaient des femmes, soit presque 13 %. Un taux faible mais qui «ne cesse de croître depuis cinq ans», pointe la fédération. Sur les réseaux sociaux, l’engouement des femmes saute aux yeux : sur Instagram et TikTok, un nombre croissant de créatrices de contenus partagent leur passion, et leurs publications cartonnent. Un an et demi seulement après la création de son compte Instagram, Clara Pichon, 27 ans, est suivie par plus de 237 000 personnes. Si elle y partage aussi sa passion pour la course à pied, «mes posts vélo sont ceux qui font les meilleures stats. Chaque vidéo dans laquelle je monte un col face caméra me fait prendre entre 8000 et 9000 abonnés», constate-t-elle
A ses yeux, l’engouement féminin suit la tendance générale, plutôt favorable au cyclisme et aux sports d’endurance en général. «La série Netflix [intitulée Tour de France : au coeur du peloton, qui documente et romance la Grande Boucle depuis 2023, ndlr] a visibilisé le cyclisme et donné envie à des gens de s’y mettre. Le vélo féminin a de très belles années devant lui», abonde-telle. Si l’audience de Clara Pichon est composée à 60 % d’hommes et à 40% de femmes, ces dernières interagissent le plus avec elle : «Beaucoup me demandent des références de matériel, me soutiennent ou me disent que je leur ai permis d’oser se mettre au vélo.»
«On rêve avec elles»
Flairant la tendance, les marques se positionnent et le monde de l’influence se structure. Sur le Tour de France hommes 2025, la créatrice de contenus a par exemple été invitée à collaborer avec Skoda, Airbnb ou Century 21 pour participer à des événements en marge des étapes. Car pour visibiliser la pratique des femmes et encourager les indécises à se lancer, la Grande Boucle est une parfaite vitrine.
Depuis 2015, Claire Floret «pédale pour l’égalité» avec son association Donnons des elles au vélo. La veille des étapes officielles, avec une petite centaine de personnes, elle enfourche son deux roues et emprunte le parcours des pros. Cette année, 1 100 participants (hommes et femmes confondus) se sont inscrits au défi sportif et ont sillonné les routes. «En tant que présidente de la section cyclisme féminin du club omnisports de Courcouronnes, dans l’Essonne, je voyais que si on avait réussi à faire avancer les choses sur le haut niveau, plein de choses étaient encore à faire sur la base de la pyramide : changer les représentations, attirer les amatrices, leur proposer des structures, des entraînements spécifiques…» détaille-t-elle. L’ancienne coureuse Marie-Françoise Potereau, qui a participé aux cinq Tours de France féminins dans les années 80, dit constater «une accélération de la pratique féminine sur les quatre dernières années». Outre la série Netflix, l’engouement populaire autour des Jeux olympiques 2024 à Paris a permis de faire rêver nombre de jeunes filles. «Pour une fois, on a parlé du cyclisme – et du sport en général– de manière très égalitaire. Hommes et femmes étaient autant mis en avant», note celle qui est aussi vice-présidente de la FFC. D’autant que la compétition mondiale a permis de propulser sur le devant de la scène de nombreuses athlètes féminines, à l’instar de la médaillée d’or Pauline Ferrand-Prévot en VTT. Des nouvelles figures tricolores emblématiques – parmi lesquelles Cédrine Kerbaol, Juliette Labous ou encore Audrey CordonRagot, pour ne citer qu’elles – auxquelles les femmes peuvent s’identifier. «On rêve avec elles comme on a rêvé avec Bernard Hinault. Une Pauline Ferrand-Prévot, ça a déclenché pas mal de choses», estime Marie-Françoise Potereau. Le symbole fort reste le retour du Tour de France femmes en 2022. Disparue en 1989 après seulement cinq éditions, la prestigieuse compétition cycliste se décline à nouveau au féminin. «Cela a donné une vraie impulsion. D’autant plus que le Tour femmes intéresse de plus en plus, notamment grâce à l’engouement des médias. Cette année, j’ai été beaucoup sollicitée pour parler de la féminisation du sport, c’est un bon signe !» se réjouit Marie-Françoise Potereau. Les premiers chiffres disponibles pour le cru 2025 font part d’audiences «historiques», selon les diffuseurs Eurosport et France Télévisions. Lors des cinq premières étapes, France 2 a notamment enregistré une moyenne de 2,2 millions de téléspectateurs (26,8 % de part d’audience). Reste que les annonceurs sont encore frileux : la créatrice de contenus Clara Pichon n’a par exemple jamais été invitée à collaborer avec une marque lors de la compétition féminine.
Toujours un combat
Passé les chiffres encourageants, il faut reconnaître que les amatrices sont toujours confrontées à un problème de taille : s’équiper. «Les selles, les vêtements, tout est fait pour les hommes ! Une marque m’a même déjà proposé de collaborer et de m’envoyer des équipements… d’hommes, parce qu’elle ne proposait rien pour femmes», se souvient Alice Bruns, 25 ans et 110000 abonnés sur Instagram. Preuve toutefois que la pratique a le vent en poupe : de nouvelles marques d’équipements 100% féminins commencent à combler le vide. La marque française Wilma, célèbre pour son tout premier cuissard menstruel, propose ainsi des vêtements adaptés à la morphologie féminine.
Autre frein à la pratique, l’apprentissage de la mécanique. Un domaine où les clichés participent à limiter le pratique des femmes, que Claire Floret tente de lever à son échelle : «Certaines n’ont jamais mis les mains dans le cambouis et, avec mon association, j’essaie de leur montrer qu’elles peuvent rapidement gagner en autonomie de ce côté-là.» A en croire la responsable, pour celles qui ont déjà sauté le pas, le gros point noir reste l’accès à des structures. «Les femmes pédalent plus, oui, mais dans une pratique non fédérée, abonde-t-elle. Elles pratiquent seules, ou avec un homme, et quand elles veulent se retrouver entre elles, elles se rendent compte que les clubs de vélo sont assez peu à les accepter. C’est rare qu’on les refoule, mais il y a des freins comme le manque d’entraînements adaptés à elles.»
Se faire accepter dans un univers encore très masculin, parfois machiste, demeure un combat. «C’est très difficile d’y rentrer quand tu as 25 ans et que tu es une fille. On va te dire que tu n’y connais rien, ou que tu es juste une “influenceuse”. C’est peut-être commun à tous les sports mais quand j’ai commencé à découvrir les watts ou les pédales automatiques, des gens me répétaient que je faisais tout mal. J’ai compris que, quoi que je fasse et quoi que je dise, on me critiquerait toujours», confie Alice Bruns, qui s’est lancée sur les réseaux il y a à peine plus d’un an. Avant de changer complètement les mentalités, il y a encore de la route.

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