Le déclin de l’empire africain
En finale du 10 000 m, le 14 septembre, les athlètes éthiopiens n'ont pas réussi à s'imposer, Yomif Kejelcha (ici au premier plan) finissant deuxième, derrière Jimmy Gressier (caché par l’Américain).
La domination des athlètes nés sur le continent africain s’effrite chez les hommes, à l’image des Mondiaux de Tokyo où tous les titres, du 1 500 au 10 000 m, ont été remportés par des Occidentaux.
23 Sep 2025 - L'Équipe
ROMAIN DONNEUX
TOKYO – Depuis 1987 et la deuxième édition des Championnats du monde, c’est la première fois qu’il n’y a pas, chez les hommes, un titre remporté par un athlète né sur le sol africain sur les distances allant du 1 500 m au 10 000 m. Une révolution qui, outre la date du rendez-vous tokyoïte en bout de saison – que toutes les nations n’ont pas préparé de la même façon – et des conditions climatiques compliquées avec l’humidité, s’explique par plusieurs raisons.
Un exode vers la route
Il est fini le temps où il fallait prendre son temps. Dimanche, Sabastian Kimaru Sawe a fait trembler le record du monde du marathon à Berlin en 2h2”16. Le Kényan n’est jamais passé par la piste, tout comme Kelvin Kiptum, le détenteur de la meilleure marque de l’histoire depuis 2023 (2h00”35). Il y a encore quelques années, le chemin tracé vers les 42,195 km passait obligatoirement par le tartan. Les profils à la Paul Tergat, Haile Gebreselassie ou Kenenisa Bekele, qui ont beaucoup gagné sur la piste avant de monter sur marathon pour y briller, se font de plus en plus rares. Le dernier grand représentant de cette caste étant Eliud Kipchoge, champion du monde du 5000 m en 2003 et double champion olympique de marathon en 2016 et 2021.
« L’argent est beaucoup plus sur la route, donc les hypertalents sont déjà concernés par la route, avance Bastien Perraux, entraîneur national. Les excellents coureurs de long sont sur la route. » Triple champion du monde en titre du 10 000 m, l’Ougandais Joshua Cheptegei a d’ailleurs fait l’impasse sur Tokyo pour préparer le marathon d’Amsterdam (le 19 octobre).
Le travail de la lutte antidopage
Après son titre sur 10 000 m, Jimmy Gressier a cité la lutte antidopage parmi les facteurs de sa réussite. « Je suis le symbole de la volonté de l’antidopage de faire un travail monstre aujourd’hui. On le voit avec tous les cas de dopage qui tombent. Notre sport a quand même été sacrément saccagé. Je pense que l’agence antidopage est pour beaucoup dans ces résultats. »
Avec un plan spécifiquement mis en place au Kenya (25 millions de dollars sur cinq ans en accord avec le gouvernement), l’Autorité d’intégrité de l’athlétisme (AIU) a obtenu des résultats probants ces deux dernières années avec, actuellement, plus de 150 athlètes kenyans suspendus. Et quand on sait que le pays a remporté 81 médailles sur l’ensemble des Championnats du monde sur les épreuves du 1 500 m, 5 000 m, 10 000 m et 3000 msteeple, ça laisse évidemment des places vacantes.
« L’AIU établit, je pense, la référence en matière de bonnes pratiques dans le sport, estime David Howman, le président de l’agence. C’est vraiment gratifiant d’entendre que les athlètes apprécient ce que nous faisons. Les athlètes souhaitent d’ailleurs des sanctions plus sévères et des approches plus fermes de la part de tous les sports vis-à-vis de ceux qui trichent intentionnellement. Ils estiment qu’une sanction de six ans pourrait être appliquée dans ces cas-là et qu’il pourrait également y avoir des sanctions supplémentaires concernant les manquements aux obligations de localisation. »
L’optimisation de l’entraînement
Chaussures de nouvelle génération, bicarbonates, approche d’entraînement plus scientifique, les athlètes ont bénéficié ces dernières années d’une avancée technologique pour améliorer leurs performances. Et dans cette course à l’armement, les athlètes occidentaux ont pu refaire un peu de leur retard sur les athlètes du continent africain.
« En ce moment, ça bosse pas mal quand même, avance Perraux. On s’est mis à plus et mieux s’entraîner. Il y avait une densité et là, la pointe s’aiguise. »
« On a du meilleur matériel, des scientifiques qui nous suivent, les lactates, les seuils beaucoup plus mesurés, on a des façons de s’entraîner qui sont beaucoup plus optimisées qu’il y a trois ou quatre ans, prolonge Yann Schrub, 9e du 5 000 m à Tokyo. Et c’est vrai que tout ça aide. »
Une prise de conscience
Pour toute la génération actuelle, les victoires du Norvégien Jakob Ingebrigtsen, double champion olympique (sur 1 500 m en 2021, sur 5000 m en 2024) et du monde du 5000 m en 2022 et 2023) ont fait germer l’idée qu’il était possible de tenir tête aux athlètes des hauts plateaux. « Les pelotons ne ressemblent plus à ceux d’avant, affirme Perraux. Les Africains ne font plus peur. Il y a un déclin de l’Afrique qui est visible. »
« Quand on enlève cette appréhension et cette peur de se dire qu’ils sont meilleurs parce qu’ils viennent des plateaux africains, ça enlève déjà pas mal de freins » , ajoute Schrub. « Tu vois qu’il y a une peur qui s’installe, alors qu’avant, je pense qu’ils ne nous calculaient absolument pas, conclut Jimmy Gressier, champion du monde du 10000 m. Ils nous reconnaissent. Il fallait se faire respecter sur le terrain. On voit le changement. »
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