Le Rwanda, centre du monde cycliste
Double champion du monde en titre du contre-la-montre, le Belge Remco Evenepoel
a reconnu hier le parcours du chrono qui aura lieu demain au Rwanda.
L’organisation des premiers Championnats du monde sur le continent africain n’a pas été simple. Avec le développement du cyclisme dans le pays au milieu des années 2000, le Rwanda, toujours soutenu par l’UCI, est arrivé à ses fins. Ça commence demain.
20 Sep 2025 - L'Équipe
PHILIPPE LE GARS
KIGALI – Il y a dix ans, l’idée d’un Championnat du monde sur le continent africain relevait de l’utopie. La Tropicale Amissa Bongo au Gabon, créée en 2006 et ouverte aux professionnels, était l’épreuve reine tandis que le Tour du Rwanda, né en 2009, venait de passer en catégorie 1 au calendrier UCI.
À Aigle, en Suisse, au siège de la Fédération internationale, le développement du cyclisme en Afrique n’était pas une priorité. La présence au comité directeur de l’Égyptien Mohamed Azam, immuable président de la Confédération africaine (CAC), et de son vice-président, le Marocain Mohammed Belmahi, suffisait à se donner bonne conscience.
Personne ne se souciait réellement des besoins de certains pays du continent où la culture cycliste était pourtant très ancrée. Tout se résumait souvent à des promesses voire à une visite offici el le, tous les quatre ans, à l’heure des campagnes électorales pour la présidence de l’UCI.
En 2017, avant le congrès électif en marge des Mondiaux de Bergen en Norvège, David Lappartient avait compris que l’Afrique pouvait aussi nourrir son programme de mondialisation du cyclisme, comme l’avait été l’Amérique latine dans les années 1980, puis l’Asie et l’Océanie une décennie plus tard. Il fut ainsi le premier candidat à promettre l’organisation des Mondiaux sur le continent africain.
À l’époque, face au président sortant Brian Cookson, on ne donnait que peu de chances au Français. Chaque continent possédait 9 délégués votants (sauf 3 pour l’Océanie) et seule l’Europe lui assurait le plein de voix. Cette promesse d’un Mondial en Afrique allait faire basculer Mohamed Azam et la CAC dans son camp.
Le sport, un moyen politique de relever le Rwanda
Le Rwanda n’avait cependant pas attendu l’élection de Lappartient pour imaginer des pistes de développement pour le cyclisme, déjà en plein essor dans ce petit pays de la région des Grands Lacs en Afrique de l’Est. Organiser une épreuve World Tour ou un Championnat du monde avaient déjà fait cogiter le Rwandais Freddy Kamuzinzi et le Français Olivier Grandjean, alors co-organisateurs du Tour du Rwanda avec le soutien de Jean-Claude Hérault, ancien directeur adjoint du Tour de France dans les années 1990.
Un peu plus de vingt ans après la fin du génocide des Tutsis(1), le président de la République, Paul Kagame, au pouvoir depuis mars 2000, estimait en effet que le sport devait être un moyen politique de relever la tête pour son pays. « Le sport nous a certainement aidés, expliquait-il dans L’Équipe en mai 2021. C’était une priorité que tout redevienne normal, qu’on puisse retourner voir une compétition. On a dû repartir de zéro car on ne peut pas dire qu’il y avait une grande culture du sport. Tout le monde a essayé d’apporter ses idées nouvelles après la tragédie, on a pensé que les courses de vélo seraient mieux que des courses de voitures car le vélo était déjà bien ancré dans notre vie de tous les jours. C’est l’un des moyens de transport les plus répandus. On avait donc des cyclistes, mais ils ont dû apprendre à devenir des compétiteurs.»
Jonathan Boyer, premier Américain sur le Tour de France en 1981 et ancien équipier de Bernard Hinault dans l’équipe Renault, avait, lui, découvert le Rwanda en 2006 presque par hasard, ne sachant même pas le situer sur une carte. Un de ses amis avait insisté pour y organiser une compétition de VTT sur des vélos en bois, il l’avait suivi avant de tomber amoureux du pays, s’y installant même pendant plus de quinze ans.
Boyer avait senti « un gros potentiel» chez les jeunes pilotes de taxis-vélos et avait eu l’idée de relancer des compétitions comme à l’époque de la colonisation belge (de 1920 à 1962). Il avait recruté une dizaine de gamins en se postant sur le bord de la route pour détecter lesquels, sur des vélos à pignon fixe, pourraient devenir de futurs champions.
Il avait ensuite monté un centre d’entraînement à Musanze (nommée à l’époque Ruhangeri) au pied des volcans et du parc des gorilles, au nord du pays, à deux heures de route de Kigali, la capitale du Rwanda. Ce centre existe toujours, il a même obtenu le label de centre continental d’entraînement UCI, devenant aussi un lieu de visite incontournable pour les cyclotouristes étrangers…
Le Maroc n’a jamais proposé de dossier complet
L’organisation d’un Championnat du monde est alors vite devenue une évidence pour les autorités du pays, «parce que le cyclisme est le sport qui s’est le plus vite développé, expliquait encore Paul Kagame en 2021. Avec le Tour du Rwanda, il contribue à l’économie de notre pays car il génère un intérêt qui dépasse nos frontières. Comme avec notre partenariat avec Arsenal et le PSG (2), tout le monde peut en bénéficier.»
En 2019, la candidature était officiellement déposée. Quelques mois plus tard, le Maroc s’était également positionné mais sans jamais proposer un dossier complet. En septembre 2021, et après deux visites de David Lappartient au Rwanda, l’UCI lui accordait l’organisation pour 2025, avec les supports techniques d’ASO (propriété comme L’Équipe du groupe Amaury) pour son expertise, et des Belges de Golazo pour la logistique.
Depuis, ces Championnats du monde ont fait beaucoup parler, et même bien avant le conflit qui a opposé, à partir de 2022, à la frontière, les forces régulières de la République démocratique du Congo aux milices du M23 soutenues par les Rwandais. La diplomatie belge, proche du pouvoir à Kinshasa, la capitale de la RDC, a tenté de peser sur la géopolitique régionale, de discréditer aussi l’organisation du Mondial au Rwanda. Des accords de paix ont, depuis, été signés, en juin dernier à Washington. Ce qui a permis finalement au premier Championnat du monde de cyclisme jamais organisé en Afrique de surmonter toutes les embûches et d’accueillir dès demain Tadej Pogacar et toute sa bande…
(1) L’assassinat du président rwandais Juvénal Habyarimana, le 6avril 1994, a déclenché le génocide des Tutsis par des extrémistes Hutus. L’ONU estime qu’environ 1 million de Rwandais, en majorité tutsis, ont perdu la vie en trois mois.
(2) Si le contrat avec Arsenal s’est arrêté en mai dernier, le PSG a signé en 2019, le Bayern Munich l’an passé et l’Atlético de Madrid en avril des partenariats jusqu’en 2028.
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