Peter avant Sagan

Retour en Sovaquie sur les terres d'enfance du champion du monde 2015 et quadruple maillot vert du Tour de France. Là où la légende Peter Sagan s’est construite.

PAR PAUL TCHOUKRIEL, EN SLOVAQUIE - L'équipe Magazine (numéro 1772, 2 juillet 2016)

DEPUIS QUELQUES MINUTES, DÉJÀ, IL RÉPÈTES A FIGURE. Un gamin d’une dizaine d’années s’essaie au wheeling. Roue avant levée façon Peter Sagan après une victoire, il porte un maillot de la Tinkoff, l’équipe du Slovaque, trop large pour lui. Comme ce gosse, ils sont environ quatre cents à avoir fait le déplacement à Ziar nad Hronom. C’est dans cette petite ville, perdue dans les Carpates, au centre de la Slovaquie, que se déroule le Peter Sagan Tour. La course de VTT organisée par Peter Zanicky, le premier coach de Sagan, attire de plus en plus. «Quand Sagan venait sur ces événements, ils devaient être quinze enfants par catégorie à tout casser.Aujourd’hui, ils sont plus d’unecentaine», assure Zanicky. Sa casquette cache son crâne dégarni et ses lunettes aux verresfuméssont posées sur son nez.

Entre deux départs, le mentor du Slovaque choisit un vestiaire de l’école d’à côté pour raconter les exploits de son ancien poulain.Çasent la colle dans les couloirs, unpeula javelquandonpasse devant les toilettes, et lesmurssont recouverts des postersdel’enfant prodige. C’est lors d’unévénementsimilairequePeter Zanicky repère Sagan à lafindes années 1990, à Zilina, sa ville natale. Il a neuf ans, survole la course. Quelques mois plus tard, avec Juraj, son frère aîné, il rejoint le club de Zanicky, le CyS Zilina.

Peter est jeune, mais le futur quadruple maillot vert du Tour de France étonne déjà par son talent. «Unjour, nous étions à Dubnica nad Vahom, pour une course deVTTen Coupe de Slovaquie. Il avait de grandes chances de gagner. Je l’attends sur le parcours, environ un kilomètre après le départ. Mais je ne le vois pas passer avec les premiers. J’attends. Toujours pas de Peter. Je reviens au départ, et, là je le vois en train de pleurer, le vélo par terre à côté de lui. Il était tombé et s’était raclé tout le genou. Alors, je l’aiunpeu secoué et il s’est remis en selle. Je vais à l’arrivée, et j’espérais le voir passer la ligne en vingt, vingt-cinquième position. Mais je le vois passer la dernière bosse au coude à coude avec le leader. Et il l’a bouffé dans les derniersmètres. J’avais l’impressionqu’il volait.»Pas vraiment objectifmême quinzeansaprès, Zanicky n’enrevient toujours pas. En plein milieu des onhistoire, ils elève et prend son crâne chauve à deux mains en racontant le finish.
 
Un peu plus loin, Lubomir Sagan est moins expansif. Le père de Peter est là, accoudé à la barrière.Impassible, le massif quinquagénaire regarde rouler les bambins comme il l’a fait tant de fois lorsque ses fistons étaient à leur place. Sagan père ne sefaitpasprierpourraconterlavie d’un gosse né pour courir. À leur âge, Peter dégageait déjà quelque chose de différent. «Un jour, laveille d’unecoursede VTT, sonvéloétait cassé. Il a passé la nuit à essayer de trafiquer celui de sa soeur. Un truc pourri qu’on avait acheté au supermarché. Le lendemain, il a roulé avec et il a gagné quand même», s’amuse-t-il.
Le jeune garçon impressionne. Par ses résultats, d’abord. Et sa témérité, aussi. «Après une course, je lui ai dit qu’il avait pris beaucoup de risques, se souvient Zanicky. Ilmelance : “Coach, le danger n’est pas un problème. Soit je tombe, soit je gagne, mais je ne finis pasdeuxième.’’» Peter Sagan ne sait pas encore qu’il terminer a seize fois dauphin d’une étape du Tour de France.

Le Vah, la plus longue rivière de Slovaquie, court le long des rails de la voie ferrée qui mène à Zilina. C’est ici que Sagan a grandi, qu’il s’est construit en tant que coureur, dans cette ville du nord du pays, à 200 kilomètres de Bratislava.

Matej Vysna atoutdugrimpeur.Unmètresoixante-quinze, silhouette élancée ; le tee-shirt sur lequel est imprimé un vélo ne laisse pas de doute quant à la nature de son ancien métier. «Je suis beaucoup tombé dans les dernières années demacarrière. Les genoux, les bras, et même la bouche ont bien ramassé», rigole-t-il en montrant des incisives en résine. Matej a couru six ans avec Sagan. De 2001 à 2006, ils sont coéquipiers au CyS Zilina, puis de nouveau à Dukla Trencín en 2009, une équipe slovaque de cyclisme sur route. «Nous sommes toujours très potes. J’étais extrêmement proche de son grand frère, Juraj.CommePeter le suivait partout, nous sommes devenus inséparables tous les trois.» Il se souvient d’ungagneur invétéré. «Lorsqu’on
partait en stage, on passait notre temps à jouer au hockey sur la console. Quand Peter perdait, il fracassait la manette par terre ou contre le mur. Et puis il faisait la gueule pendant deux jours.»

À 300m de la maison familiale s’étend le Lesopark où Peter, Juraj et lui s’entraînaient. Sur le parcours boueux, Matej évoque un garçon talentueux, mais paresseux au début de sa carrière. «Il a deux ans de moins que Juraj et moi. Plus jeune, il rechignaitunpeu à s’entraîner, il trouvait toujours quelque chose à dire quand nous partions. Finalement, il nous suivait à chaque fois.» Un côté râleur avec lequel Zanicky a dû composer. «Il n’était pas fainéant dans le sens où il ne voulait pas faire les choses. Mais il avait besoin de comprendre absolument tout. Lorsque j’avais prévu un parcours d’entraînement où il fallait faire six tours, il n’y avait pas de souci.Mais ilmedemandait pourquoi six et pas cinq ou sept, par exemple. Et en course, il faisait un peu comme il voulait.»
Quand on lui rapporte l’anecdote de leur premier coach, Matej rit de bon coeur. «Il a toujours fait les choses à l’instinct. La tactique de course, par exemple, c’était pas trop son truc, je pense mêmeque ça le saoulaitunpeu. Il voulait gagner, c’est tout. Il avait beaucoup d’autres centres d’intérêts que le vélo.» Avec, dans sa jeunesse, un faible pour les femmes. «Nous étions dans les montagnespourunstage, en 2006. Il y avait Peter, Juraj, deux autres coéquipiers,etmoi,sesouvient-il. Nos mamans nous accompagnaient, et la mienne savait tirer les cartespourlire labonneaventure. Toutes les deux heures, Peter allait la voir pour la questionner sursonaveniramoureux.Illasollicitait cinq fois par jour. Mais, le plus drôle, c’est qu’à chaque fois,
c’était pour connaître son avenir avec une fille différente!»

En parallèle de ses projetsamoureux, le Slovaque commence à se faire un nom à travers le pays. Sûr de son talent, Sagan garde toute son insouciance. Une attitude que certains interprètent parfois comme de l’arrogance. «C’était comme si rien ne l’atteignait, soufflePeter Zanicky. Il donnait l’impression dene pasaccorderd’importanceauvélo.Parfois,avantlacourse, je le voyais tout calme, détendu, comme s’il s’en foutait. Alors, pour le mobiliser, on faisait des petits combats lui et moi,commeunmatchdeboxe avant la course, histoire de le garder concentré.»

Peu académique, la méthode Zanicky fonctionne. En 2007, Sagan est sacré champion de Slovaquie juniors en cyclo-cross. Et les bons résultats s’enchaînent. «Jusqu’à 15 ans, ils (Peter et Juraj) couraient uniquement en Slovaquie, mais, ensuite, ils ont commencé à voyager pour des courses de plus en plus prestigieuses», témoigne le père, Lubomir. À 18 ans, à Val di Sole, en Italie, l’espoirducyclisme slovaque devient champion du monde juniors deVTT.Unevictoire qui lui vaut lesurnomde «Terminator». «Ça n’a pas été une grosse surprise pour moi, qui le côtoyais depuis neuf ans déjà. Ce gamin était un gagnant», s’enorgueillit Peter Zanicky.
Logiquement, le microcosme du cyclisme commence à s’intéresser à lui. «J’avais entendu parler de ses bons résultats chez les juniorsenVTTetencyclo-cross, mais jen’avais aucune idée de ce qu’il serait capable de faire sur route», concède Miloslav Sebela, journaliste spécialiste du cyclisme au SME, un grand quotidien national.

Au fil des succès, le maillot du modeste club du CyS Zilina devient trop étroit pour le futur héros national. Au sens propre comme au figuré. «Lorsqu’il avait 16-17 ans, il était un peu chétif, assure Matej Vysna. Mais, après, il a poussé d’un coup et s’est épaissi. Avec Juraj, nous n’avions plus aucune chance face à lui.» En 2009, à 19 ans, Peter Sagan rejoint ses deux compères à Dukla Trencín, au troisième échelon mondial. «Il est arrivé dans une formation où tout le monde avait déjà entendu parler de lui. Pour les autres coureurs, il était le petit frère de Juraj, mais déjà bien meilleur que son aîné, affirme Matej. Toute l’équipe connaissait son potentiel. Il l’a prouvé en devenant le leader de l’équipe dès les premières courses.»

À Dukla Trencín, Sagan suit les conseils de Maros Kovác, l’ancien bossdel’équipe, champion de Slovaquie en 2006. «Il l’aidait beaucoup, essayait de l’aiguiller. Mais Peter ne s’intéressait pas seulement au vélo,c’estquelqu’undetrèscurieux. Alors ils parlaientdetout,defilles aussi entre play-boys.»Unpassetemps validé par Kovác. «Peter me voyait comme quelqu’un de plus expérimenté dans plein de domaines, pas seulement dans le vélo. Le truc, c’est qu’il ne savait pas trop comment aborder les nanas. Alors je lui ai donné des conseilspourattirerleurattention et engager la conversation. Mais, commeon a treize ans d’écart, on n’est jamais allés discuter avec des filles ensemble.»
Si l’efficacitédesconseilsdraguede Kovác n’est pas avérée, ses tuyaux vélo portent leurs fruits. «Il était très jeunequandil est arrivé, alors, dèsqu’il n’était pas sûr de quelque chose il me demandait comment progresser,
et écoutait ce que je lui disais. Même quand je faisais des sorties en cyclo-cross, il voulait venir avec moi et
me demandait comment passer certaines bosses ou des endroits techniques.»

L’année suivante, en 2010, Sagan passe pro et signe un contrat avec les ItaliensdeLiquigas-Doimo.Àpartirdece moment-là,finide jouer. C’est l’arrivée dans lemondepro avectouteslescontraintesquil’accompagnent.Terminator ne pourra plus faire ses conneries d’adolescent, comme «piquer la vieille bagnole de sa mère pour faire des dérapages dans le quartier avec Juraj et moi», raconte Matej en se marrant. Sa carrière définitivement lancée, le champion slovaque prendra uneautre dimension avec des victoires de prestige dès sa première saisonauhaut niveau : deux étapes dans Paris-Nice, une au Tour de Romandie et deux en Californie. À 20ans à peine.Aujourd’hui, avec quatre victoires d’étapes dans le Tour de France et quatre maillots verts, Terminator est devenu « Tourminator ». Un titre de champion du monde en septembre dernier, et un premier monument au Tour des Flandres, en avril, ont fini d’ériger Sagan, 26 ans depuis janvier, en héros national. «Aujourd’hui, il n’y a pas d’athlète autant apprécié que lui en Slovaquie, avance Miloslav Sebela. Je n’ai pas peur de dire que c’est la personne la plus populaire du pays.»
Paul Tchoukriel

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