SEUL AU RONDE


En l’absence de Tadej Pogačar, par choix, et de Wout Van Aert, sur blessure, Mathieu van der Poel s’avance au départ du Tour des Flandres en très, très grand favori. A-t-il pour autant déjà gagné ? Pas si vite…

31 Mar 2024 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉSPÉCIAL ALEXANDRE ROOS 

Que faites-vous là, malheureux, à laisser glisser vos yeux sur ces lignes alors que tout est joué, que Mathieu van der Poel remportera tout à l’heure son troisième Tour des Flandres, record égalé (*), après avoir attaqué dans le Koppenberg, voire dans le deuxième passage du Vieux Quaremont, voire dès la sortie d’Anvers tant qu’on y est? N’avez-vous pas mieux à faire que de vous intéresser à une affaire entendue, comme vous occuper de planquer les oeufs en chocolat pour vos bambins, surveiller la cuisson du gigot?

À moins que comme nous, vous sachiez très bien qu’un matin de Tour des Flandres est toujours accompagné d’un frisson, qu’ on aimerait que ce dernier moment d’ attente dure encore un peu plus longtemps, avant que la lessiveuse des monts flandriens ne se mette en route et qu’à partir de là ce ne soit plus qu’une longue apnée, une immense furie.

Comme chaque année, nous voilà au bout d’un an d’attente et ce petit interstice, là, juste avant que tout ne s’emballe, est propice à la rêverie, à galoper dans le champ sans bornes de nos imaginations et à croire que, tout à l’heure, il se passera quelque chose de beau, de grand, une occasion de chavirer, et c’est finalement tout ce que nous attendons au matin d’une des plus belles courses de l’année. Quels que soient le plateau, les circonstances, la météo, l’horoscope, jamais rien ne pourra nous priver de ce sentiment, de cette envie de résister à la fatalité, de croire à des scénarios fous, surtout en ce moment.

Et c’est d’ailleurs le même sentiment qui doit habiter les adversaires de Mathieu van der Poel ce matin, qui ne vont pas se présenter sur la ligne de départ battus. Pour beaucoup, le Tour des Flandres se serait joué avant même d’ avoir commencé, dans la descente vers le Kanarieberg, mercredi dans À Travers la Flandre, au moment de cette chute effroyable qui a laissé traumatisés aussi bien ceux qui sont tombés que ceux qui en ont été témoins. Un fracas métallique, des cris d’épouvante et le brame de Wout Van Aert, le son de la douleur et du désespoir. Le Belge forfait, cage thoracique explosée, et le sort des Flandres et de Paris-Roubaix la semaine prochaine en serait scellé, alors que cet épisode malheureux nous a au contraire rappelé à quel point tout était possible dans ce sport si dur et si cruel, si impitoyable, qui broie aussi bien ses figurants que ses personnages principaux.

Van der Poel devra assumer le poids de la course

Nous partageons bien sûr la tristesse de Van Aert devant ce naufrage, mais sa tragédie ne doit pas brouiller nos perceptions et le Belge n’avait pas été en mesure de jouer contre Van der Poel sur le GP E3, il n’avait fait que subir et avait même commis deux erreurs impardonnables dans le Paterberg, une de placement, l’autre de pilotage. Mads Pedersen n’a pas eu droit à toutes les larmes d’un pays, mais nous ne sommes pas moins affligés pour lui, ce modèle de persévérance, qui revient chaque année plus fort sur les classiques pour tenter sa chance face à des monstres qui n’appartiennent pas au même monde que lui. Le Danois a lui aussi été fauché mercredi, il sera au départ ce matin, mais momifié, après avoir passé des nuits de tourments, les chairs à vif collées aux draps, alors qu’il y a une semaine il avait mis en souffrance Van der Poel dans Gand-Wevelgem, au sprint à l’arrivée, mais surtout dans les deux derniers passages du Kemmel.

Le «Ronde» propose bien sûr un degré de difficulté supérieur, mais tout de même, c’est une lueur d’espoir face à un scénario cousu de fil blanc. Évidemment, van der Poel présente une ligne de statistiques effrayante sur le Tour des Flandres – depuis 2019, 4 e,1er,2e,1er,2e –, mai si lya des raisons de croire que tout ne sera pas si limpide. Le Néerlandais aura la pression de l’ultra favori, il devra assumer le poids de la course, boucher tous les trous et rien ne dit que l’ensemble de ses éléments ne va pas finir par l’user ou faire ressurgir ses vieux démons, ceux qui le poussent parfois à courir comme un chien fou.

Son sprint n’est pas infaillible, comme l’a démontré Pedersen dimanche, et, si quelqu’un se pré sente avec lui à Audenarde, il devra lancer de loin, car c’est également de cette manière qu’il avait été battu par Kasper Asgreen sur l’édition 2021.

Madouas ou l’envie de croire en sa bonne étoile

Il n’a pas non plus une équipe particulièrement solide pour contrôler ou dicter sa loi. C’est d’ailleurs le cas d’un peu tout le monde, aucune formation ne semble armée pour prendre les opérations en main, ce qui pourrait amener à un déroulé complètement décousu. Les Visma-Lease a bike ont été décimés par les chutes et les maladies – Van Aert, Christophe Laporte, Jan Tratnik forfait, Dylan Van Baarle présent mais diminué –, les Ineos n’ont pas montré grand-chose depuis le début de la campagne, les UAE sans Tadej Pogacar, le vainqueur l’an passé, non plus, et les Soudal-Quick Step de Patrick Lefévère sont peut-être encore une meute, mais de chihuahuas alors.

Le problème dans tout ça, c’est qu’on ne voit pas bien qui pourrait sortir Van der Poel de sa roue sur les pavés du Paterberg, ou alors il faudra s’y mettre à plusieurs. Pedersen n’est pas au mieux, donc, Alberto Bettiol, qui a déjà triomphé sur ces terres, virevolte comme une libellule rose, mais l’Italien a été mordu par des crampes mercredi au bout de 160km. Alors quand il y en a 270 au programme… On miserait bien sur les ingérables Matej Mohorič et Tim Wellens, dont la folie pourrait faire dérailler Van der Poel. Voire sur Matteo Jorgenson, le plus constant des Visma sur cette campagne, mais qui n’a quand même pas encore l’habitude d’évoluer à ces altitudes.

Tout pourrait basculer si une équipe parvenait à se retrouver en surnombre dans le groupe à l’avant. Ce sera le plan de jeu des Groupama-FDJ avec Stefan Küng, Laurence Pithie et Valentin Madouas. Troisième il y a deux ans, le Breton annonce qu’il sera là pour jouer la gagne. Il affiche ses ambitions, mû par une intuition, par l’envie de croire en sa bonne étoile et en la nature imprévisible de son sport. Ce matin, avant de s’aventurer dans les cloaques boueux du Tour des Flandres, lui comme les autres ont encore le droit de rêver. Et nous avec eux.


(*) Tom Boonen, Fabian Cancellara, Johan Museeuw, Eric Leman, Fiorenzo Magni, Achiel Buysse ont chacun gagné trois Tours des Flandres.

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