L’ogre Pogačar écrase le Tour


Le 17 juillet, le Slovène supplante ses adversaires dès la première arrivée dans les Pyrénées.

Dans la 12e étape, entre Auch et Hautacam (180,6 km), victoire en solitaire de Tadej Pogačar (UAE), qui reprend le maillot jaune. Jonas Vingegaard perd plus de deux minutes.

18 Jul 2025 - L'Humanité
Envoyé spécial. JEAN-EMMANUEL DUCOIN

Acte I, scène 1. 
Éclatant et chamarré, le territoire en élévation devint soudain saisi dans ses limites et sa grandeur. Le cyclisme des Géants se vécut alors dans le conte et la dramaturgie onirique. Tout aurait pu débuter par « il était une fois », avant d’évaluer cette zone d’inconfort des hautes cimes, lieu de toutes les rhétoriques vraies, comme une mise à nu, à vouloir rudoyer les forces telluriques de montagnes endiablées, ensorcelantes. Il suffisait d’un rien. Juste l’entrée dans cette mythologie enracinée dans l’âme des Forçats, par le col du Soulor (11,8 km à 7,3 %), culminant à 1474 mètres d’altitude, après un début d’étape relativement plat.Le 17 juillet, le Slovène supplante ses adversaires dès la première arrivée dans les Pyrénées.

Il était 16 heures à l’horloge de l’histoire, et avant même les contreforts escaladés pour la 36e fois de l’histoire, un énorme groupe de 51 fuyards ouvrait la route des Pyrénées. Tentative de l’inutile assurément, même si nous eûmes de quoi bomber le torse, puisque treize Français y figuraient, nation la plus représentée (Martinez, Alaphilippe, Laurance, Penhoët, Gachignard, Venturini, Madouas, Martin, Barré, Armirail, Paret-peintre, Coquard et Turgis). À l’arrière, tous les prétendants au podium naviguaient à deux minutes. Pas de quoi entretenir la flamme.

Acte I, scène 2. 
Le long monologue avec les silences venait à peine de débuter dans les lacets qu’une course à deux vitesses s’installait, celle des rôles-titres, celle des laborieux, déjà relégués. Avant le départ, Tadej Pogačar affirma qu’il se sentait « bien » après sa chute de la veille, quoique « endolori ». Le chronicoeur se rappela que, chez la déesse Pyrène, le triple vainqueur régnait en maître, ayant remporté sept étapes depuis son premier succès en 2020 à Laruns, jusqu’à sa démonstration au plateau de Beille l’an dernier. Mais dans ce tableau presque parfait, le Slovène connut aussi une défaite saisissante. Sur le Tour 2022, engagé dans une course-poursuite derrière Jonas Vingegaard, « Pogi » avait subi la montée, une minute supplémentaire de débours sur son rival danois et une déconvenue susceptible d’affecter son orgueil.

Cette première grande étape pyrénéenne marquait un tournant vers la toison d’or. Sous un ciel d’une clarté absolue, les aspirants à la célébration légendaire pénétrèrent dans un univers grandiose, là où l’oxygène se raréfie. D’autant qu’après le Soulor, pointait le col des Bordères (3,1 km à 7,7%), avant l’impitoyable montée vers Hautacam (13,5 km à 7,8%). Sans vouloir jouer les Saint-Just du grand Livre, le chronicoeur se remémora que ce final mythique fut inauguré victorieusement par le Français Luc Leblanc, en 1994, et que six étapes furent jusque-là jugées au sommet de la longue pente vers la station de ski – toujours plus ou moins juge de paix pour grimpeurs et favoris.

Acte II, scène 1. 
Nous n’en étions pas encore là. Si la déesse du vélo n’aime pas qu’on la dérange, préférant qu’on lui récite des prières à la gloire de la Petite Reine, tout explosa dès le Soulor, au bruit des klaxons et des hélicoptères. Façon pièces détachées.

Et à tous les échelons de la course. Nous vîmes les « frelons » de Vingegaard mener un train soutenu. Exit Martinez, Madouas, Martin-Guyonnet, etc. Surtout, alerte pour Remco Evenepoel, pris en mode essorage dans une lessiveuse dantesque, contraint à un effort violent pour essayer de réintégrer son rang. Enfin, adieu au maillot jaune, l’irlandais Ben Healy, en pleine dérive physique…

Acte II, scène 2. 
En abordant Hautacam, nous retînmes notre souffle, tant affleurait le surgissement de l’événement inattendu. Vu les circonstances, tout était possible. L’ultime rescapé de l’échappée, le Pyrénéen Bruno Armirail, s’affaissa et fut mangé tout cru. Les Visma baissèrent vite pavillon. Evenepoel céda de nouveau, comme Vauquelin… puis tout le monde en vérité. Car Tadej Pogačar voulut étendre son royaume sous l’égide de la domination active. À 12 kilomètres du but, l’ogre slovène plaça une attaque délirante, de celle qui laisse muet. Seul Jonas Vingegaard s’accrocha, autant qu’il le put, à l’arrache. Mais le champion du monde se mua en ascensionniste anachorète, unique au monde. Il écrasa le Tour et sa solitude devint notre vertige.

EN MÉMOIRE DE SAMUELE PRIVITERA

Ce cyclisme n’était alors plus un brouillon, ni une emphase ou une épure réinventée, mais il ressemblait, dans toute sa froideur biologisée, à l’enfantement d’une mécanique stupéfiante. Coup triple pour « Pogi » : revanche sur le Danois, victoire de prestige et maillot jaune. L’addition s’avéra salée, sinon définitive, pour la concurrence. Vingegaard concéda 2’ 10’’, l’allemand Florian Lipowitz 2’ 23’’, Vauquelin 3’ 30’’et Evenepoel 3’ 35’’. Au classement général, le dauphin Vingegaard pointait désormais à 3’33’’. Un séisme. Rideau.

Épilogue. 
À la sortie de ce chaos mémorable, le chronicoeur se racla la gorge et ressentit une émotion assumée. D’abord, en pensant à la disparition d’un jeune cycliste de l’équipe Jayco-alula, l’italien Samuele Privitera, mort après une chute sur le Tour du Val d’aoste (1). Ensuite, en se projetant dans un futur immédiat. Ce vendredi, sous la forme d’une course de côte (10,9 km), place aux fameux chronos conduisant les rescapés au faîte de Peyragudes (1re cat.). Et ce samedi, en apothéose, la fin du triptyque infernal avec la monté e de super bagnères (HC), par le Tourmalet (HC) et Peyresourde (1re cat.). Encore deux sommets pyrénéens à conquérir. « L’impossible, nous ne l’atteignons pas, mais il nous sert de lanterne », disait René Char. Dans ses limites et sa grandeur.


(1) Un hommage lui a été rendu sur le Tour avant le départ d’auch, et les membres de l’équipe Jayco portaient un brassardd noir.

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