BORANBAÏEV De la prison à la Ligue des champions
Fragilisé par la chute des Nazarbaïev, qui ont régné sans partage sur le Kazakhstan depuis la chute de l’URSS, puis un temps emprisonné pour détournement de fonds, le richissime président du Kairat Almaty savoure la participation historique de son club à la phase de ligue de la C1. Et son retour en grâce.Kairat Boranbaïev, président et actionnaire majoritaire du Kairat Almaty, va voir son club participer pour la première fois à la Ligue des champions.
18 Sep 2025 - L'Équipe
EMMA COLLET
ALMATY (KAZ) – Au pied des montagnes célestes du Tian Shan, en périphérie d’Almaty, ville de plus de 2 millions d’habitants située au sud-est du Kazakhstan, à la frontière avec le Kirghizistan et à 300 km de la Chine, l’équipe première du FC Kairat peaufine son jeu, malgré une excitation palpable des joueurs sur la pelouse dès les premiers échauffements. Ceux-là seront à jamais les premiers de l’histoire du club, les deuxièmes dans celle du football kazakhstanais après Astana en 2015-2016, à disputer des matches de phase finale en Ligue des champions, qui débute pour eux ce soir à Lisbonne contre le Sporting Portugal.
Au siège du FC Kairat, une télévision retransmet en boucle le barrage retour du 26 août contre le Celtic Glasgow, lorsque les Almatiens avaient arraché leur qualification en C1 au bout des tirs au but grâce aux arrêts décisifs du gardien Temirlan Anarbekov (0-0, 3-2 aux t.a.b. ; 0-0 à l’aller). Pendant que la ville entière vibrait en jaune et noir – les couleurs du club –, les célébrations s’achevaient sur le terrain avec les images de Kairat Boranbaïev, président et actionnaire majoritaire du club, porté en triomphe par ses joueurs.
C’est une coïncidence si celui-ci porte le même nom que ce club, créé en 1954 sous l’URSS, qu’il a racheté «pour une bouchée de pain» en 2012, alors que le FC Kairat venait de descendre en Deuxième Division. Directeur à l’époque de KazRosGaz (entreprise gazière russo-kazakhstanaise), Boranbaïev arrive avec un portefeuille généreux et plein d’ambitions. « Il est le seul à avoir réellement investi dans ce sport : terrains, académies, stades… Aujourd’hui, le club possède les meilleures installations de toute l’Asie centrale », souligne Altaï Daumov, ancien vice-président de la Fédération de football à Almaty.
"Au Kazakhstan, le foot est le sport numéro 1.
Nous avons des enfants talentueux mais il leur
manquait des opportunités pour s’épanouir"
- KAIRAT BORANBAÏEV, PRÉSIDENT ET
ACTIONNAIRE MAJORITAIRE DU KAIRAT ALMATY
En effet, près de 35 millions d’euros ont été injectés dans trois académies – à Almaty – et treize centres d’entraînement – répartis dans plusieurs villes du pays –, tous achevés en 2015. Un privilège inédit pour un club de football au Kazakhstan, où « les treize autres clubs de Première Division vivent des budgets municipaux, rappelle Dimitri Mostovoï, commentateur de foot à Almaty. Tout dépend si les maires aiment le foot ou pas, et de leur volonté d’y consacrer des fonds » Pour ce magnat du gaz, le défi était aussi sportif que symbolique : « Au Kazakhstan, le foot est le sport numéro 1. Nous avons des enfants talentueux mais il leur manquait des opportunités pour s’épanouir », affirme, dans ses bureaux spacieux à Almaty, Boranbaïev, nostalgique de l’époque soviétique lorsque « tout le Kazakhstan soutenait le Kairat, la seule équipe nationale présente au Championnat d’URSS » .
Toujours pendu au téléphone, cet homme d’affaires de 58 ans aux cheveux grisonnants est moins bavard lorsqu’il s’agit de parler d’argent, notamment du budget du club – estimé à une dizaine de millions d’euros annuels. Une manière, sans doute, de rester discret sur sa fortune : car si elle a permis de donner des ailes au FC Kairat, c’est bien l’origine de celle-ci qui, en mars 2022, l’a conduit en prison.
Kanye West, salles de fitness, premier McDo du pays et « deal » opaque
Après les manifestations du «Janvier sanglant» en 2022, déclenchées par la hausse des prix du carburant et transformées en insurrection armée, les autorités ont soupçonné l’entourage de l’ex-président Noursoultan Nazarbaïev d’avoir fomenté un coup d’État, lui qui a régné sur le pays sans discontinuité ni partage de la chute de l’URSS en 1991 à 2019.
Une vaste campagne de «démonopolisation » de l’économie annoncée par l’actuel président, Kassym-Jomart Tokaïev, cible alors les principaux oligarques proches du clan Nazarbaïev, dont Boranbaïev fait partie depuis 2013 et le mariage fastueux de sa fille avec le petit-fils de Noursoultan Nazarbaïev – auquel le rappeur américain Kanye West avait même été invité pour chanter. L’union coïncide avec l’expansion sans limite de son empire commercial dans les années 2010 : champs gaziers, salles de fitness, entreprises pharmaceutiques, premier restaurant McDonald’s au Kazakhstan… De quoi propulser l’oligarque au rang de 14e fortune du pays, estimée à plus de 500 millions d’euros.
Mais dès que la figure de Nazarbaïev a été ouvertement contestée, Boranbaïev a été accusé d’avoir détourné 14,5 milliards de tenges (près de 23 millions d’euros) lors de l’achat par l’une de ses sociétés de gaz de pétrole liquéfié. Condamné à huit ans de prison, il est finalement libéré en novembre 2023 à la suite d’un « deal » opaque avec les autorités, en restituant plus de 140 millions d’euros ainsi que plusieurs sociétés gazières et terrains immobiliers à l’État.
"Si on a laissé le club à Boranbaïev,
c’est qu’il ne rapporte pas d’argent"
- UN OBSERVATEUR ASSIDU DE LA
LUTTE CONTRE LA CORRUPTION
Dépossédé du gros de ses actifs et la réputation entachée, l’oligarque déchu reste tout de même à la tête d’importantes holdings, d’une trentaine d’entreprises, et reprend les commandes de son club. «Si on le lui a laissé, c’est qu’il ne rapporte pas d’argent », selon un observateur assidu de la lutte contre la corruption.
La qualification en Ligue des champions du Kairat FC arrive alors à pic pour redorer le blason de Boranbaïev : l’actionnaire enchaîne interviews et apparitions publiques, et est même salué en personne par le maire d’Almaty, chose impensable il y a moins de trois ans.
L’ouverture, le 5 septembre, d’un nouveau centre culturel, entièrement financé sur ses fonds personnels, scelle son retour en grâce médiatique. « Si vous pensez que je fais ça pour ma réputation, vous vous trompez », sourit l’intéressé en bordure de terrain, cependant ravi d’apprendre que les billets pour la réception du Real Madrid, le 30 septembre, s’arrachent déjà.
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