À SON APOGÉE


La force et l’euphorie de Tadej Pogačar, qui au terme d’un raid solitaire de 36 km, remporte 
sous les vivats de la foule et du staff de son équipe, son cinquième Tour de Lombardie d’affilée.

POGACAR REÇU CINQ SUR CINQ

Impressionnant de maîtrise, Tadej Pogačar a écrasé le Tour de Lombardie d’un raid de 36 km, pour s’y offrir un cinquième sacre de rang. Le champion du monde achève une nouvelle saison historique.

Les deux classiques les plus dures du calendrier sont pour lui les plus faciles à gagner
On le sent désormais aimanté par des défis ciblés et deux obsessions vont occuper son esprit : Milan-San Remo et Paris-Roubaix

12 Oct 2025 - L'Équipe
ALEXANDRE ROOS

BERGAME (ITA) - Le défilé sur la ligne d’arrivée donnait une idée de la brutalité du combat qui venait d’être mené, puisque le parcours y recrachait les survivants un par un, mais aussi d’un certain soulagement, une joie, un peu de légèreté tant il y avait de sourires, de poings et de mains brandis comme si tout le monde avait gagné. Le sentiment de rejoindre une oasis de quiétude, de répit après des mois à s’user le cuir à l’entraînement et sur les courses, mais aussi une formed’ acceptation d’ impuissance face à la suprématie du champion du monde, une manière de renoncement et l’envie de trouver une satisfaction ailleurs tant la victoire est confisquée sous le règne de Tadej Pogačar.

Le Slovène lui-même était transporté d’un vrai bonheur au moment d’achever un nouveau raid solitaire de 36 kilomètres pour s’offrir un cinquième sacre de rang en Lombardie, un troisième Monument dans la saison et une campagne où il aura fini sur le podium des cinq classiques majeures, ce qu’aucun coureur n’avait réalisé avant lui. Avec dix Monuments à 27 ans, il n’y a plus que Roger De Vlaeminck (11) et Eddy Merckx (19) devant lui.

De quoi avoir la banane, d’autant qu’il n’a pas trembloté le long des 240 bornes, même quand Quinn Simmons avait encore trois minutes d’avance au pied du passo di Ganda. Cet écart a été englouti en même pas 5 km, quand le champion du monde a décidé qu’il était l’heure de s’envoler et dans son sillage, Remco Evenepoel n’a même pas fait semblant d’essayer de prendre sa roue. Pas plus que Simmons quand il a été rejoint, rapidement déposé mais qui n’allait pas se déliter pour autant, 4e à Bergame malgré une journée à l’avant depuis le départ de Côme.

Le Tour de Lombardie est devenu un jeu d’enfant pour Tadej Pogačar, quel que soit le sens de la course. C’est un peu la même chose pour Liège-Bastogne-Liège, le Slovène peut continuer à y gloutonner les victoires comme il l’entend, et pour illustrer sa marge, on notera que les deux classiques les plus dures du calendrier sont pour lui les plus faciles à gagner.

De ce nouveau festival de huit mois, au milieu des es vingt succès, que retenir? Deux chefs-d’oeuvre d’abord. Une victoire et une défaite. Son Tour des Flandres a été une démonstration extatique, un pilonnage comme on en avait rarement vu, un harcèlement incessant pour faire craquer Mathieu van der Poel. Une beauté sauvage. Le match retour sur Paris-Roubaix, une semaine plus tard, tourna cette fois à l’avantage du Néerlandais, mais ce revers pour Pogačar a peut-être été la plus grande performance de sa saison, un sommet d’esthétisme tant il était à l’aise sur les pavés, alors que beaucoup pensaient que l’Enfer du Nord serait pour lui interdit.

On retiendra ensuite que le désert autour de lui s’est élargi. Van der Poel est le seul qui peut encore le regarder dans les yeux, le faire douter, le battre, mais exclusivement sur son terrain. Jonas Vingegaard, lui, a été brisé en une seule journée, lors de l’étape de Combloux sur le Critérium du Dauphiné, une fessée dont il ne se releva pas et d’ailleurs s’en relèvera-t-il jamais ? Quant à Remco Evenepoel, il a beau être le dauphin de l’automne, encore 2e hier après avoir largué Michael Storer sous la banderole des 15km, le Belge sait qu’il ne boxe pas sur le même ring.

On a également vu l’avenir prendre forme, d’Isaac del Toro, demain, à Paul Seixas, encore épatant hier pour son premier Monument même s’il a été un peu sec dans le passo di Ganda (7e), après-demain, mais les jeunes pousses sont encore trop vertes pour malmener le patron. L’écart est un tel abîme

qu’ on ne voit pas comment il pourrait être comblé de sitôt, même si Pogačar stagne l’an prochain ou même si son niveau baisse d’un cran. Le champion du monde est parvenu à un tel niveau de maîtrise que les autres n’ont plus de prise sur lui. La suite ne sera dictée que par luimême, par son envie, par son usure, physique et mentale, et c’est de ce côté-ci qu’on a vu apparaître des premiers signes, compréhensibles, de lassitude, d’agacement.

Cette saison a été particulière car elle a dessiné un apogée mais aussi esquissé le début d’une fin, que Pogacar a lui-même commencé à évoquer. Il a ainsi livré l’indice qu’il n’avait pas en tête de s’éterniser dans la carrière, que même s’il empilait les succès et les records, il n’ était pas forcément dans une logique de morfale, pas tant habité parla politique du chiffre. On le sent désormais aimanté par des défis ciblés et deux obsessions vont occuper son esprit, cet hiver: Milan-San Remo et Paris-Roubaix, les deux lignes qui manquent à son palmarès, car franchement, une Vuelta ne changera rien à sa carrière. Tout son début de saison prochaine sera tourné vers cela, il va ruminer pour trouver une voie pour s’y imposer, sortir de l’impasse stratégique de la «Classicissima», qui sera sans nul doute le plus grand challenge de sa carrière, progresser dans sa connaissance des secteurs de Roubaix pour pouvoir y piéger van der Poel.

Pour parvenir à ses fins, le champion du monde est prêt à faire plier la nature des courses en sa faveur, à en bousculer l’ordonnancement, à tout dynamiter et tant pis pour les convenances. C’est ce qu’il a exploré dans Milan-San Remo en mars. Alors qu’on pensait cela impossible, il a lancé la course dès la Cipressa, du jamais vu, et il ne lui a manqué qu’un équipier pour réussir son pari. Il devrait retenter l’aventure et il suffit que van der Poel soit juste un peu moins bien, moins motivé ou un brin mal placé pour faire sauter le verrou. Idem à Paris-Roubaix, où il n’avait pas eu peur de lancer les opérations dès Haveluy. Il ne se voit plus aucune limite, aucun frein. Plus rien ne lui résiste.

***

Légende d’automne

Avec son nouveau succès, Tadej Pogacar se rapproche encore un peu plus des références de son sport, même s’il se soucie peu de la trace qu’il laissera.

"Je ne dirais pas que je suis différent. 
Peut-être que je me démarque simplement parce 
que j’ai la chance de gagner autant de courses"
   - TADEJ POGACAR

12 Oct 2025 - L'Équipe
YOHANN HAUTBOIS

BERGAME (ITA) – Tiré du lit par les cloches matinales de l’église Verbo di Dio, on se doutait bien que la journée prendrait une tournure mystique à l’heure de sacrer le vainqueur du 119e Tour de Lombardie, quasi au pied de Santa Maria Immacolata delle Grazie, sous le regard de la Vierge dorée par le soleil automnal de Bergame et auréolée de quelques étoiles.

Ce matin, autour de ses mèches indomptables, Tadej Pogacar compte 108 étoiles sur l’ensemble de sa carrière, 20 cette saison, et si on s’arrête au seul Monument italien, 5, toutes parfaitement alignées depuis 2021. Cinq aussi, comme les doigts de sa main levée au moment de passer la ligne, comme ceux de Yoseba Elguezabal, son masseur, la moue amusée et fataliste de celui qui connaissait la fin du film. Car, sans surprise, le Slovène a roulé sur le reste du peloton pour remonter le temps et le sillage de Fausto Coppi, dont le village de Castellania continue d’entretenir le mythe, depuis sa mort en 1960, dans un silence monacal, au milieu des vignes apaisantes du Piémont.

À l’entrée du bourg désert, la fresque graphique et le commentaire du journaliste radio Mario Ferretti – «Un uomo solo al comando » (« un homme seul aux commandes ») – tissent désormais un fil entre les deux coureurs, mais comme avec Eddy Merckx, l’héritage en noir et blanc du héron est lointain et lourd à porter pour le Slovène, pas forcément porté sur les livres d’histoire de ce sport pourtant mémorial. « Quand je rêvais de devenir professionnel, je ne savais même pas ce qu’était un Monument. Enfants, nous rêvions juste d’être aussi cool que les coureurs du Tour de France, d’être peut-être au départ.»

Hier encore, le quadruple vainqueur de la Grande Boucle a réfuté, comme il a toujours fait, le jeu des miroirs à travers le temps (« quelqu’un personne »), n’aime et il va être falloir comparé peut- à être se résigner à ne plus lui demander quelle trace il pense laisser. Ses contemporains, ses équipiers comme Rafał Majka qui expliquait, la veille, combien il était moins dur de rouler en course qu’à l’entraînement avec le Slovène, l’ont déjà positionné tout en haut dans l’histoire de ce sport.

En survêtement après son abandon, Domen Novak saluait « le meilleur de tous les coureurs, une légende » pendant qu’à ses côtés, Fabian Cancellara, 7 Monuments au compteur, donnait encore plus de valeur à la troisième place de son coureur, Michael Storer. « C’est forcément une journée spéciale d’être sur le podium avec Remco (Evenepoel) et surtout Tadej, assurait le patron de Tudor. Il est à un autre niveau, il mérite de battre tous ces records. Il incarne sa génération, c’est exceptionnel ce qu’il réalise, et c’est déjà spécial.»

Le terme est souvent revenu dans la soirée et Mauro Gianetti, patron d’UAE Emirates-XRG, n’a pas fait dans l’originalité: «Quand tu égales Fausto Coppi, c’est spécial, même si Tadej ne regarde pas les records. Il est déjà un peu l’histoire contemporaine. Ce n’est pas simplement un coureur très fort, pas un phénomène du cyclisme, c’est un phénomène du sport. Il a quelque chose de plus.»

Ce petit truc en plus, cette différence avec le commun des mortels qui lui permet, à 15 kilomètres, de slalomer tranquillement entre des mini-plots plantés au milieu de la route – les seuls à pouvoir le faire chuter, à tout point de vue –, le double champion du monde ne le concède pas du haut de sa normalité anormale, de la perception très personnelle de ce qu’il représente. «Je ne dirais pas que je suis différent. Peut-être que je me démarque simplement parce que j’ai la chance de gagner autant de courses.»

Il a beau se moquer des statistiques, de l’empilement des chiffres et des records, préférer la ferveur italienne, sublime dans l’ultime col d’Aperto, il entre de plain-pied dans une histoire qu’il écrit à son tour, avec son détachement habituel. À l’arrivée, mis en relation au téléphone avec Eddy Merckx par Ernesto Colnago, Tadej Pogačar, amusé, a trouvé ça «vraiment cool qu’il appelle».

***

LA NOTE DE LA COURSE

Rien à faire face à la toute-puissance de Tadej Pogačar, chez lui en Lombardie, sacré d’un nouveau raid en solo, et même derrière le Slovène, le suspense n’a pas duré tant la hiérarchie s’est vite dessinée.

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