L’ENFER, C’EST POUR LES AUTRES


Le champion du monde Mathieu Van der Poel pourrait bien une nouvelle fois mettre tout le monde au supplice, sur un terrain gras qui lui convient à merveille et où les maléfices de la course seront son plus grand adversaire.

7 Apr 2024 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL - ALEXANDRE ROOS

C’est l’heure de la plus belle clameur de la saison, celle qu’on entendra en milieu d’après-midi se lever des bois d’ Arenb erg quand la meute s’ y engouffrera, ce rugissement de joie et de furie qui montera des pavés d’Hasnon, comme les mineurs appelaient la tranchée du temps qu’ils l’empruntaient chaque jour à rebours avant de descendre au fond. Ces enfants, ces femmes et ces hommes qui ont noirci leurs poumons et leurs vies, sacrifiés d’un monde qui s’est éteint, et qu’on ne doit jamais oublier, encore moins aujourd’hui.

Arenberg, pèlerinage indispensable

Il y a d’ailleurs dans le râle d’Arenberg un peu des souffrances de ces terres, beaucoup de leur fierté, de leur chaleur, et c’est pour cela que, chaque année, la chair de poule nous prend alors qu’à la sortie de la forêt de Wallers on voit les coureurs terminer leur supplice un à un, un instant de relâchement furtif, la fin de l’apnée dans une expiration forte, un léger mouvement de dos pour libérer un peu de la tension.

Arenberg est un pèlerinage indispensable, obligatoire. La désormais fameuse chicane va détourner les coureurs à son entrée, mais pas notre attention, Paris-Roubaix reste Paris-Roubaix, un jour béni, notre patrimoine, pour tant de raisons qui dépassent le cyclisme. L’épingle à cheveux qui doit ralentir le peloton a été accusée de beaucoup de maux, dont celui de déplacer le problème, mais le chaos attendu pourrait en réalité être transféré encore plus en amont, à Haveluy, première ligne d’arrivée.

Un secteur très dur, déconsidéré, dans l’ombre de la Trouée, qui pourrait prendre du relief car il offre un terrain parfait pour étirer le peloton et éviter qu’un trop gros groupe se présente dans la chicane à Arenberg. Une manoeuvre que les Jumbo avait tentée l’an passé, et si certaines formations ont la même idée, les dégâts seront importants de très bonne heure car le pavé d’Haveluy est un des plus boueux, gras comme un welsh, la couche de terre épaisse comme quatre doigts à certains endroits.

Décollage possible à Mons-en-Pévèle

L’autre point stratégique, on le devine du côté de Mons-en-Pévèle, où Mathieu van der Poel s’était déjà activé l’ année dernière. Après le virage de la Croix-Blanche, la dernière partie du secteur, en faux plat montant, une des portions les plus exigeantes de la course, est une piste de décollage idéale pour le Néerlandais, qui pourrait être tenté d’y désarticuler son biclou et les reins de ses adversaires.

D’autant plus que le vent est annoncé de côté après cet angle droit, donc favorable aux grandes opérations, et que le coup de cul à droite en sortant du pavé, vers Mérig ni es, finira d’ en achever certains. Il restera 45 km jusqu’à Roubaix? Pas de quoi faire trembler le Néerlandais, c’est à peu près la distance qu’il a couverte dimanche dans le Tour des Flandres après s’être fait la malle dans le Koppenberg. À vrai dire, jusqu’au Vélodrome, tous les scénarios conviennent au champion du monde. Sur l’anneau, on pourrait chipoter, surtout s’il s’y présente avec son équipier Jasper Philipsen, ce qui nourrirait des tractations en interne, ou éventuellement avec Mads Pedersen, ce qui raviverait des doutes après sa défaite face au Danois à Wevelgem. Mais le sprint du Vélodrome ne ressemble de toute manière à aucun autre.

Une opposition encore clairsemée

Pour le reste, comme au matin des Flandres, van der Poel s’avance en immense favori. La liste des arguments qui plaident en sa faveur est effrayante pour ses ri vaux. Sa forme, évidemment. Son expérience, avec sa victoire l’an passé, son podium en 2021. Le terrain crotté et humide qui va encore accentuer son avantage en termes de pilotage et d’habileté sur le vélo. Un vent qui va pousser dans le dos sur une bonne partie du tracé, et plus le tempo sera dingo, plus lui, fada des fadas, sera dans un fauteuil. Une opposition plus coriace qu’au Tour des Flandres, peutêtre, mais qui reste clairsemée. Pedersen, donc, remis de sa chute dans À Travers la Flandre et sur lequel on peut compter pour se présenter au départ avec les couteaux aiguisés, quelques costauds qui sont déjà montés sur le podium, Nils Politt, Stefan Küng, John Degenkolb – vainqueur en 2015 –, des sprinteurs en mode survie, comme Jonathan Milan ou Tim Merlier, sans compter les invités de dernière minute, Christophe Laporte ( voir page 29), malade depuis San Remo, et Tom Pidcock, qui ne pouvait pas marcher lundi après son abandon au Pays Basque, qui ont peut-être confondu Paris-Roubaix avec le critérium de la quiche lorraine.

Et puis van der Poel sera escorté de sa froide sérénité, grand ordonnateur des classiques, qui fait perdre Ta dejPoga car mais gagner Philip sen à San Remo, écrase les Flandres. Il estime sa saison déjà réussie après cette dernière victoire, alors imaginez à quel point cela le rend encore plus dangereux. Et il semble en maîtrise de tout, à l’image du Ronde, où il a révélé qu’il s’était arrêté à deux reprises pour dégonfler quand il avait compris qu’il allait pleuvoir et que le pavé deviendrait glissant, dernière preuve du coursier ultime qu’il est.

Le champion face au Monument

Alors quoi? Alors Paris-Roubaix, justement. Au départ de Compiègne ce matin, le plus grand ennemi du Néerlandais ne sera pas son adversité, mais la course ellemême, ses maléfices. Le plus implacable des coureurs de classiques face au Monument le plus impitoyable, qui frappe sans prévenir, sur les pavés disjoints, dans les virages vaseux, qui sont autant de multiples occasions de se confronter à son destin. C’est le plus beau des défis pour Van der Poel, un champion certes, mais par nature de passage, qui va une nouvelle fois se confronter à la faucheuse du Nord, qui le toise du haut de son ancienneté, de son histoire, et distribue les châtiments comme la statue du Commandeur.

C’est un débat ancestral, essentiel de la métaphysique cycliste. Le champion fait-il la gloire d’une course ou est-ce la grandeur de cette dernière qui l’adoube? L’oeuf ou Van der Poel? Une discussion éternelle, qu’il n’y a pas lieu de trancher.

Aujourd’hui, les deux vont à nouveau se mesurer, pour notre plus grande excitation, et on attend simplement que l’un et l’autre se subliment, que tout à l’heure, dans la victoire ou la défaite, Van der Poel illumine de son maillot arc-en-ciel les pavés du Nord, et qu’en retour cette terre de luttes l’escorte de ses grâces et de la clameur réservée aux siens.

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