2 stars, ambiances
Tadej Pogacar passe un long moment chaque fin d’après midi à signer des autographes.
Tadej Pogacar, coincé par le protocole en tant que Maillot Jaune, et son rival Jonas Vingegaard ont un planning bien différent à l’arrivée. Exemple, hier soir.
12 Jul 2024 - L'Équipe
YOHANN HAUTBOIS
Pogacar entraîné
VILLENEUVE-SUR-LOT (LOT-ET-GARONNE) – Lors du Giro, Tadej Pogacar s’était plaint à plusieurs reprises du protocole, de sa longueur et de sa répétition surtout. Le Slovène estimait que cela empiétait sur son temps de récupération et hier, à l’arrivée de Villeneuve-sur-Lot, s’il a tenté de mixer ses obligations avec ses soins, il a bien fallu admettre, qu’en effet, par rapport à ses adversaires directs au classement général, il était désavantagé. Hier, il en était à son dixième protocole pour autant de jours passés en jaune. Le modus operandi ne varie pas: la ligne passée à 17h05, il a dû se glisser derrière un petit portail noir où, dans un camion, il a effectué son contrôle antidopage. Sous le regard des agents de sécurité masqués, il en est sorti dix minutes plus tard, a parcouru une dizaine de mètres pour atteindre une tente sous laquelle étaient alignés les vélos de récupération. Pour le leader d’UAE, cinq minutes en position contre-la-montre comme souvent depuis le départ du Tour, quelques sourires et mots échangés avec Biniam Girmay ( « Grande Biniam, congratulations!» ) et un gilet de glaçons sur le dos alors que la température dans cette zone sans air est étouffante. Un énorme ventilo agite ses mèches pendant qu’il consulte son téléphone apporté par le responsable presse de la formation émirienne, Luke Maguire, son homme de confiance. Cerné par les caméras, les objectifs, les curieux aussi, il doit alors se toiletter dans le vestiaire dédié aux coureurs mais le double vainqueur du Tour a tendance à traîner et le protocole tremble sur ses fondations.
D’une question à l’autre
L’organisation envisage d’inverser la présentation au public (habituellement le vainqueur de l’étape, le Maillot Jaune, le Maillot Vert, celui à pois), mais « Pogi » sort finalement à 17 h 30 et grimpe les quelques marches jusqu’au podium. Discours, enfilage de maillot, applaudissements, puis il laisse la place au sprinteur d’Intermarché, lui aussi doublement récompensé. Car le Slovène doit, cinq minutes après, y retourner pour le classement de la montagne cette fois. Re-discours,re-enfilagedemaillotetreapplaudissements puis, comme Superman, il arrache les pois pour révéler sa tunique jaune devant les caméras.
Après avoir répondu aux médias, Tadej Pogacar s’immerge dans
un bac d’eau glacée pour récupérer. Toujours dans la bonne humeur.
Assis sur un haut tabouret, il répond aux premières questions pour l’organisation, deux-trois questions, deux minutes qui lancent son ballet médiatique. Il descend de son perchoir, parcourt 50 mètres jusqu’à une nouvelle tente où, cette fois, l’attendent Nicolas Geay et Thomas Voeckler de France Télévisions. Son copain Remco Evenepoel est encore à l’antenne, le Slovène patiente en descendant une bouteille d’eau gazeuse avant de prendre la place du Belge. Révérence réciproque et amusée entre les deux coureurs, deux minutes en direct puis il arrache son oreillette et, comme s’il connaissait les lieux depuis toujours, il fonce vers la zone mixte, en plein cagnard. Sous un parapluie blanc tenu par un membre de l’organisation, il fait face aux micros de la télévision étrangère puis de la télévision slovène. Cinq minutes et il zappe les autres médias (radios, presse) car il doit honorer la conférence de presse dans le camion protocolaire. Retour à la case départ, derrière le podium, pour quatre questions (souvent celles auxquelles il a déjà répondu, ce qui l’agace assez) et le voilà de nouveau dehors, où il retrouve son outil de travail. Pogacar empoigne son vélo de chrono, Luke Maguire s’occupe de son vélo de route du jour et ils fendent la foule pour rejoindre leur car, garé à deux cents mètres. Il vit ses dernières minutes à Villeneuve-sur-Lot, pénètre dans un van où il se plonge dans un bac d’eau glacée. Il y reste deux minutes, s’entoure d’une serviette, salue la foule et grimpe dans le car qui partira un peu moins d’une heure après l’arrivée du peloton. Il arrivera à son hôtel à Damazan à 19h05.
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Vingegaard sans traîner
PIERRE MENJOT
VILLENEUVE-SUR-LOT (LOT-ET-GARONNE) – C’est un emploi du temps réglé chaque soir à la minute, qui s’autorise quelques ajustements seulement. Sitôt la ligne franchie, Jonas Vingegaard récupère parfois un bidon auprès de ses assistants et file rapidement au parking rejoindre le car de son équipe, souvent situé à proximité de la ligne d’arrivée (ce qui n’est parfois pas le cas lors des arrivées au sommet, une situation encore inconnue sur ce Tour). Là, il laisse son vélo à un assistant qui va le fixer sur des rouleaux et monte dans le bus pour se rafraîchir. Il en descend quatre à cinq minutes plus tard et débute alors sa récupération.
Au fil des jours, celle-ci a évolué. Parfois en position de contrela-montre, avant-bras sur les prolongateurs, avant le premier chrono de cette édition la semaine dernière (7e étape), pour rappeler la position inconfortable. Parfois en faisant quelques sprints d’une quinzaine de secondes sur son home trainer. Hier, à l’ombre du bus garé dans une zone commerciale de Villeneuvesur-Lot, il est resté assis tout du long, équipé d’un gilet réfrigérant en raison de la chaleur étouffante. Dix minutes pile après chaque étape, ce qui est bien plus long que ses équipiers. Un temps où il boit beaucoup (des boissons de récupération), discute avec ses équipiers de certains moments de l’étape, Tiesj Benoot ou Wout Van Aert hier, et débriefe toujours avec les directeurs sportifs qui viennent un par un s’enquérir de son état, notamment Grischa Niermann, toujours situé dans la voiture derrière lui en course. Vingegaard lâche aussi quelques sourires et coucous au public, tenu à distance par des sangles. Jonas Vingegaard répond brièvement aux sollicitations des médias.
Un protocole qui dépasse rarement la demi-heure
À peine le temps de souffler, le double vainqueur du Tour répond aux interviews. En danois, puis en anglais, un temps qui dépasse rarement les dix minutes également au total. Puis il accorde quelques photos et autographes – surtout aux enfants, qu’il a repérés durant sa récupération – et monte dans le car, où il prend sa douche. Quand tous les équipiers sont arrivés, celui-ci quitte le parking et rejoint l’hôtel (hier à Casteljaloux, à une heure de là). Mais il peut arriver parfois, notamment en montagne (où certains équipiers arrivent bien plus tard que lui) ou lors des longs transferts, que Vingegaard monte plutôt dans la voiture d’un directeur sportif, afin de gagner un peu de temps sur son trajet, un avantage souvent octroyé aux leaders d’une équipe. Au total, son propre protocole dure rarement plus d’une demi-heure, un vrai luxe par rapport aux détenteurs de maillots distinctifs, comme Tadej
Pogacar (lire ci-dessus). Une seule fois, il a terminé après son rival: mercredi soir, après sa victoire au Lioran, puisque sa conférence de presse, en visio, a eu lieu après celle du Slovène. Le Danois était auparavant passé au contrôle antidopage, une obligation qui lui est régulièrement infligée, comme à tous les meilleurs coureurs du classement général.
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Le Maillot Jaune doit-il courir autrement ?
Très offensif, le Slovène va peut-être devoir rouler contre nature pour économiser ses forces en vue de la troisième semaine et maintenir son avance sur Vingegaard.
"Son panache lui complique un peu
les choses et contre Vingegaard, qui
calcule bien, lui, tu le paies cash"
- STEPHEN ROCHE, AUTEUR DU DOUBLÉ GIRO-TOUR EN1987
YOHANN HAUTBOIS
VILLENEUVE-SUR-LOT – Laméthode d’UAE et donc de son leader – essorer le peloton avec Tim Wellens et Nils Politt, envoyer les aigles Sivakov, Almeida, voire Adam Yates puis attaquer avec Tadej Pogacar – a touché ses limites lors de l’étape vers la station du Lioran mercredi, même si le coureur portugais a promis que rien n’allait changer : « La tactique va être la même: attaquer.» Pour quoi faire alors que le Slovène possède 1’14 sur son adversaire le plus dangereux, Jonas Vingegaard ? Parce que c’est dans sa nature et que son équipe a déjà eu toutes les peines du monde, ces dernières années, à le convaincre de ne pas se lancer trop tôt dans la quête du Giro.
Tadej Pogacar à l’attaque dans le pas de Peyrol, lors de l’étape vers Le Lioran, mercredi.
Le coureur de Komenda est joueur, même quand, l’an dernier, sa condition ne le lui permettait pas et qu’il avait fini par exploser : «C’est un chien fou, pour Stephen Roche, vainqueur du Tour en 1987 et qui, lui, savait compter ses coups de pédale. On l’aime parce qu’il attaque mais il faut qu’il roule un peu plus à l’économie. C’est le Tour, ce n’est pas une course comme les autres. On ne peut pas brûler toutes les cartouches.»
Attaque dans San Luca lors de la seconde étape, nouvelle attaque dans le Galibier et puis triple attaque sur les chemins blancs, «Pogi», avec sa tentative avortée dans les monts d’Auvergne, en est déjà à six fulgurances pour un peu plus d’une minute gagnée sur le Danois. Pour Bernard Hinault, quintuple vainqueur de l’épreuve, «il doit rester tel qu’il est, parce que personne n’est à sa place. Il a fait peut-être une petite erreur en attaquant de si loin dans l’étape du Lioran. Mais ce qui les attend est très dur, Vingegaard va devoir récupérer des efforts de la première semaine. Pogacar, lui, doit s’amuser. » Mais, à sa place, le Blaireau s’y prendrait autrement: «Moi, avec une minute, j’aurais géré. Et si je vois mon adversaire en difficulté, je l’attaque. Il doit obliger Vingegaard à attaquer et le contrer. Il peut jouer avec.»
Comme un chat avec sa souris, sauf que le leader de Visma-Lease a bike est plus coriace que prévu, selon Roche: «La stratégie de Pogacar était sûrement de prendre le maximum de temps la première semaine car il ne savait pas comment serait Vingegaard en troisième semaine. Si le Danois monte en pression, Pogacar a intérêt à avoir de la marge.» Il n’en est pas encore à sortir la calculette, ce n’est pas son style, mais Roche, auteur du doublé Giro-Tour en 1987, l’invite quand même à lever le pied: «C’est fabuleux pour le public mais il ne doit pas sauter sur toutes les occasions. Il n’aime pas rester dans les roues, il doit sentir un peu plus les choses. Son panache lui complique un peu les choses et contre Vingegaard, qui calcule bien, lui, tu le paies cash.»
Croisé hier à Villeneuve-sur-Lot, Mauro Gianetti ne semblait pas inquiet sur sa capacité à le tenir en laisse, malgré sa nature: «Au Lioran, il y avait une longue descente et Tadej avait la possibilité de créer des écarts, cela n’a pas été le cas. Les Pyrénées seront différentes, notre plan est établi sur trois semaines. Il est en tête, il n’est pas obligé d’attaquer et cet avantage, il faut bien l’utiliser.» Pogacar qui sort son boulier, Vingegaard qui déplie ses ailes, on demande à voir ça.
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