Aux origines de «Bini»


Vainqueur de sa troisième étape depuis le départ à Florence, le sprinteur érythréen s’est inspiré de plusieurs écoles depuis ses débuts à Asmara, la capitale, en passant par Marseille.

"La force du cyclisme érythréen, 
c’est qu’on sait courir en équipe"
   - BINIAM GIRMAY

12 Jul 2024 - L'Équipe
PHILIPPE LE GARS

VILLENEUVE-SUR-LOT – Sur la playlist de ses tubes préférés dans sa voiture chez lui, à Asmara, Biniam Girmay repasse souvent en boucle Bande organisée et son fameux «c’est Marseille bébé» du collectif 13 Organisé. Il connaît même les textes du rappeur Jul en français, il les murmure comme pour se souvenir de ces années pas si lointaines (en 2020 et 2021), où il avait débarqué dans la cité phocéenne avec ses maigres espoirs de faire carrière chez les pros.

Il avait signé pour l’équipe de Deuxième Division Delko-Provence mais il ne savait pas où il mettait les pieds. «C’était la grande inconnue, avoue-t-il. J’avais déjà vécu à Aigle, en Suisse, au Centre mondial de l’UCI, mais là j’avais l’impression de sauter dans le grand bain. » Son premier réflexe en retournant la première fois en Érythrée après ses premiers mois en France, fut d’aller s’inscrire à l’Alliance française à Asmara pour prendre des cours dans la langue de Molière. « J’avais appris l’anglais à l’école sur l’insistance de mon père qui me disait toujours que ce serait une façon pour moi de mieux m’en sortir dans la vie. Mais comme je vivais en France, c’était normal que j’apprenne la langue de mon nouveau pays. »

Des débuts timides dans un pays de grimpeurs

C’est l’ambassadrice de France Muriel Soret, en poste à l’époque à Asmara, qui l’avait accueilli dans les locaux de la représentation française dans ce petit pays de la Corne de l’Afrique. «Biniam était volontaire, il savait déjà ce qu’il voulait comme s’il s’était fixé un plan de carrière » , racontait-elle lorsque nous l’avions rencontrée fin 2022 dans la capitale de l’Érythrée après les victoires du jeune champion à Gand-Wevelgem et sur une étape du Giro.

C’est encore dans le bureau de l’ambassadrice qu’il avait même négocié à distance, durant cet hiver-là, la prolongation de son contrat chez Intermarché-Wanty, l’équipe belge qu’il avait rejointe après la liquidation de l’équipe Delko en mai 2021. « J’avais beaucoup appris à Marseille, l’équipe m’avait mis dans les meilleures conditions pour apprendre mon métier de cycliste. Je n’ai pas oublié que ce sont eux qui, les premiers, avaient insisté pour me faire signer mon premier contrat. C’est grâce à eux que je suis devenu un vrai coureur cycliste.»

C’est sa victoire d’étape au Tour du Rwanda, en novembre 2019, qui avait convaincu les dirigeants de l’équipe marseillaise, notamment Andy Flickinger, le directeur sportif, de lui proposer un contrat pour la saison suivante. Il venait de s’imposer sur une étape accidentée avec de longues ascensions typiques des parcours rwandais, finissant au sprint face à de purs grimpeurs. Sur les courses en Érythrée, il n’était alors pas spécialement considéré comme un sprinteur, une catégorie qui ne fait pas vraiment partie du vocabulaire cycliste de ce pays, où on parle plus de grimpeurs mais aussi de rouleurs. À ses débuts en VTT en 2013, Biniam Girmay était surtout un coureur habile sur le vélo mais personne ne voyait en lui un futur champion, «on était tous obnubilés par Daniel (Teklehaimanot, porteur du maillot à pois sur le Tour 2015) à cette époque, se souvient Samson Solomon, l’un des entraîneurs nationaux, “Bini” ne ressortait pas du lot, il était encore trop jeune. À 15ans, on n’est pas encore formé physiquement. Mais c’est quand il est passé chez ASBECO ( le principal club cycliste du pays) qu’il a commencé à tout gagner. » En 2017, il émerge parmi ces dizaines de jeunes coureurs qui rêvent tous d’une carrière en Europe, aussi pour échapper au service militaire à vie, dont sont exemptés les sportifs de haut niveau.

C’est l’année suivante qu’il sort pour la première fois du pays ( « j’avais l’impression tout d’un coup d’être quelqu’un d’important » ) pour aller courir les Championnats continentaux africains à Kigali, où il remporta trois médailles d’or en juniors (épreuve en ligne, contre-la-montre individuel et par équipes). « La force du cyclisme érythréen par rapport aux autres nations africaines, c’est qu’on sait courir en équipe, c’est ce qu’on nous apprend dans les écoles de cyclisme, explique Girmay. On a plus de facilités pour s’adapter dans les structures professionnelles en Europe. » Mais encore faut-il taper dans l’oeil des dirigeants occidentaux. Pas facile pour un Érythréen à cette époque.

En janvier 2019, alors qu’il a tout juste 18 ans, il est aligné au départ de la Tropicale Amissa Bongo avec l’équipe nationale de son pays. C’est là, dans le sud du Gabon, à Franceville, qu’il s’offre André Greipel au sprint. « Je savais ce qu’il représentait, depuis l’âge de 10 ans je suivais le Tour de France. Je me souviens que le soir à l’hôtel, j’étais sur un petit nuage. Je savais que c’était un exploit mais je venais aussi de comprendre que j’allais vraiment très vite au sprint. »

Il s’était surtout imaginé que l’équipe Arkéa-Samsic de l’Allemand s’intéresserait à lui. Sébastien Hinault, le directeur sportif, avait longuement discuté avec lui le lendemain sur le parking des équipes. « Il m’avait dit qu’ils me feraient une proposition, mais je n’avais eu aucun appel. Je n’ai pas voulu attendre plus longtemps une réponse et perdre mon temps, je voulais continuer à progresser, je suis donc retourné au Centre mondial à Aigle, que j’avais déjà connu durant la deuxième partie de saison en 2018. »

À l’époque, les coureurs érythréens étaient regardés avec scepticisme, personne parmi les managers des équipes pros ne voulaient s’embêter avec ces lourdes démarches administratives pour leur obtenir des visas. « Ça a toujours été le problème principal quand on négociait nos contrats, se souvient Natnael Berhane, qui a couruchez Europcar (2013-2014) puis Cofidis (2019-2021). Je pense surtout que c’était une bonne excuse pour ne pas nous prendre. Maintenant, les succès de “Bini” vont certainement changer la vision que les patrons d’équipe ont des cyclistes érythréens. »

Commenti

Post popolari in questo blog

Dalla periferia del continente al Grand Continent

Chi sono Augusto e Giorgio Perfetti, i fratelli nella Top 10 dei più ricchi d’Italia?

I 100 cattivi del calcio