UN GÉNÉREUX GÉANT
1 Oct 2024 - L'Équipe
GAÉTAN SCHERRER
Pionnier du basket africain, défenseur colossal, Dikembe Mutombo est mort hier à 58 ans. Le pivot congolais restera dans les mémoires pour ses innombrables contres autant que pour ses actions humanitaires.
Il y avait d’abord cette voix, profonde, rocailleuse, inimitable. Ce long corps charpenté (2,18 m, 120 kg) qui se traînait d’un bout à l’autre du terrain, reconnaissable entre mille à ses immenses enjambées, comme muni de bottes de sept lieues. Ses envolées, droit comme un «i», bras tendu vers le ciel, sur lequel se sont fracassées deux générations d’attaquants de légende, de Michael Jordan à Kobe Bryant.Dikembe Mutombo, ici sous les couleurs des Houston Rockets en 2008, fait son geste fétiche, index levé, après avoir réussi un contre.
Et cet index, que le géant ne s’est jamais lassé de remuer sous le nez de ses adversaires dès qu’il réussissait un contre, un geste qui a nargué tant de joueurs que la NBA a fini par le bannir pendant quelques années avant de le tolérer à nouveau. Après tout, comment pouvait-elle interdire quoi que ce soit à Dikembe Mutombo? Le pivot, décédé hier trop jeune, à 58ans, deux ans seulement après avoir annoncé qu’il souffrait d’une tumeur au cerveau, était d’une affabilité et d’une bienveillance rares.
15millions de dollars pour la construction d’un hôpital à Kinshasa
Il était impossible de ne pas apprécier cet homme qui parlait neuf langues, appelait tout le monde « mon frère » , riait aux éclats toutes les deux minutes et avait consacré une bonne partie de son argent à des oeuvres caritatives. En 2015, après avoir mis un terme à sa carrière, il avait financé, à hauteur de 15millions de dollars, la construction d’un hôpital à Kinshasa, sa ville natale, où enfant il rêvait de devenir docteur.
C’est d’ailleurs pour poursuivre des études de médecine que ce membre d’une famille de dix enfants s’était exilé aux États-Unis à l’adolescence. Mais quand les entraîneurs de l’université de Georgetown avaient vu débarquer ce grand échalas, ils avaient immédiatement voulu le mettre à l’essai sur un terrain de basket. Avec Alonzo Mourning, Mutombo avait formé pendant deux saisons un rempart infranchissable dans la raquette, renvoyant à lui seul plus de quatre tirs adverses par match.
Il était sorti de la prestigieuse école avec un double diplôme en linguistiques et en diplomatie internationale, en avait profité pour faire deux stages d’été à la BanquemondialeetauCongrèsaméricain, mais c’est dans le monde du basket que ce garçon curieux de tout était destiné à se faire un nom. Sélectionné en 4eplace de la Draft 1991, une cuvée faiblarde dont il sera le seul à être admis au Hall of Fame, il passera près de deux décennies dans la grande ligue, participera à huit éditions du All-Star Game et recevra quatre fois le trophée de meilleur défenseur de l’année (1995, 1997, 1998, 2001) à Denver, Atlanta et Philadelphie, un record que le golgoth partage avec Ben Wallace et Rudy Gobert.
Un acteur de la mondialisation de la NBA
Il n’a jamais gagné de titres NBA mais a joué deux finales, en 2001 où il s’est cassé les dents sur Shaquille O’Neal et en 2003 sur Tim Duncan, deux légendes au sommet de leur art. En 1994, il a aussi mené Denver à un exploit retentissant en éliminant la grande équipe de Seattle dès le premier tour des play-offs : sur une séquence devenue fameuse, Mutombo est allongé sur le parquet au bout de la prolongation du match décisif et enserre le ballon de ses immenses paluches, le visage baigné de larmes. Il finira sa carrière en 2009, à 42ans, avec le deuxième plus grand total de contres réussis (3289) dans l’histoire delaNBA.
Pionnier parmi les joueurs issus du continent africain à forcer le verrou de la grande ligue (seuls Hakeem Olajuwon et Manute Bol y étaient parvenus avant lui), Mutombo a aussi oeuvré activement pour accélérer la mondialisation du jeu. Il a effectué plusieurs voyages au Cameroun, au Sénégal et en Afrique du Sud avec les principaux dirigeants du basket mondial, afin de sortir les jeunes talents africains de l’anonymat, pavant ainsi la voie à des joueurs comme Joel Embiid ou Pascal Siakam. En 1997, il a créé une fondation destinée à améliorer la santé, l’éducation et la qualité de vie des Congolais. Après l’annonce de sa retraite, cet homme engagé, profondément bon, est devenu le premier ambassadeur global de la NBA, rôle à travers lequel il a pu poursuivre son oeuvre caritative.
Les hommages ont plu toute la soirée hier dans le monde du basket pour célébrer le legs de Mutombo après l’annonce brutale de sa disparition. On retiendra, entre tous, les mots touchants de son fils Ryan: « Il m’arrivait de penser à mon père comme à un surhomme mais en réalité, c’était un homme ordinaire qui pour rien au monde n’aurait cessé d’honorer le monde, ses habitants et son créateur. Il aimait les autres de chaque parcelle de son être. C’est ce qui le rendait si accessible. C’est ce qui le rendait si réel.»
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