Ben Healy Vire la concurrence
MARCO BERTORELLO/AFP
Ben Healy triomphe après un magistral numéro en solo, le 10 juillet.
Dans la 6e étape, entre Bayeux et Vire Normandie (201,5 km), victoire en solitaire de l’irlandais Ben Healy. Présent dans l’échappée, Mathieu van der Poel récupère le maillot jaune pour une seconde.
11 Jul 2025 - L'Humanité
Vire Normandie (Calvados), envoyé spécial. JEAN-EMMANUEL DUCOIN
Acte I, scène I.
« Pour le Tour de France, j’ai la fête qui tourne.» La matrice symbolique d'une formule comme lien sacré de la généalogie des mots accolés au vélo vient parfois de l'écriture. Et du génie. Entre Bayeux et Vire Normandie (201,5 km), des abords de la Manche jusqu'au coeur du Calvados, après pas mal de tournicotons et des bosses à n'en plus finir, le chronicoeur repensa à cette phrase d'antoine Blondin (1), comme réponse aux interrogations de Juillet. Avec 3 500 mètres de dénivelé, cette sixième étape était l'une des plus vallonnées de l'histoire récente du Tour pour un parcours de plaine. Les coureurs devaient traverser le Bessin avant d'enchaîner les côtes dans la « Suisse normande » puis le bocage virois. Un profil usant, proche d'une grande classique comme Liège-bastogne-liège. De quoi électriser les appétits et inquiéter les faiblards.
Ce type de terrain, jonché de six côtes répertoriées et un final casse-pattes, convenait parfaitement aux baroudeurs de l'éternel, sachant que les leaders du général avaient aussi tout intérêt à rester aux avant-postes pour ne pas céder de précieuses secondes. Un oeil sur le roadbook, l'autre sur le paysage vallonné qui déchirait l'horizon, nous achevions la traversée de la région dans une ambiance de sauvagerie ensorceleuse, Normandie si belle dans sa découpe façonnée par le lent travail des siècles. Blondin aurait adoré y flâner, et au simple regard juger ses contemporains à l'aune des coups de pédale comme force d'une filiation de coureurs. Le Français Kévin Vauquelin (Arkea), natif de Bayeux, n'aurait pas démenti, s'inscrivant pleinement dans la lignée des cyclistes normands qui marquèrent l'histoire. « Je pense à Jacques Anquetil évidemment, disait-il au départ, mais aussi à Paul Duboc, Vincent Barteau, Thierry Marie, Raymond Delisle ou Thierry Gouvenou. Tous les endroits que nous traversons témoignent de notre enfance… Cela fait un an que j’y pense, à ces étapes ici. Alors maintenant, y performer, être dans les tout premiers rôles, c’est juste incroyable ! »
GRAND FESTIN LOCAL
Acte I, scène II.
En fin de matinée, arrivés à Vire Normandie, nous prîmes un café dans un hôtel où était entreposée une ancienne bicyclette de Thierry Gouvenou, enfant du pays, 56 ans au compteur, ancien pro et responsable des tracés du Tour depuis vingt ans. Tout était en place pour le grand festin local, entre émotions et esprit racinaire. D'autant que ce dernier assumait pleinement que, cette année, le peloton passe à Saintehonorine-la-chardonne, où se trouve la Boderie, le domaine que Guillaume Martin-Guyonnet (FDJ) continue de retaper doucement, éperdument, entre transmission et fierté familiale. À ce kilomètre 126,7 de l'étape, un véritable mur de Normands festifs s'érigea, tous venus dire leur amour des fermes et des bocages, dans une ambiance gustative composée de cidre aux teintes cuivrées et de fromages aux saveurs de labours.
Acte II, scène I.
Alors que cinq coureurs (puis huit) prirent la poudre d'escampette après la côte de la Rançonnière, parmi lesquels un Mathieu Van der Poel jamais rassasié et orgueilleux pour récupérer la tunique jaune, les passes d'armes se multiplièrent. Les Visma de Jonas Vingegaard tentèrent une attaque en règle, avec Jorgenson et Benoot notamment, pris en chasse immédiatement par le maillot jaune en personne, Tadej Pogačar (UAE). La guerre psychologique était entamée, à un train d'enfer. Chacun avait encore en tête la contre-performance – sinon la défaite – de Vingegaard, comme saisi d'arthrose, la veille dans le chrono à Caen. Une invraisemblable 13e place, du temps perdu : 1'05'' sur le Slovène et 1'21'' sur Evenepoel.
DES ÉCLAIREURS EN PIÈCES DÉTACHÉES
« C’était une journée difficile pour moi, soufflait le double vainqueur à la chaîne danoise TV2. Je n’avais pas les jambes, il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire. Je ne pense pas que je roulais très bien et j’ai perdu beaucoup de temps. » « Dans un contre-lamontre comme ça, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise stratégie, appuyait son directeur sportif, Grischa Niermann. C’est juste appuyer à fond et bien passer les passages techniques. Mais Jonas n’avait pas assez de puissance. » Et ces trois mots : « On attend plus… » Sous-entendu : de lui.
Acte II, scène II.
Dans la fournaise de Vire Normandie (27 degrés), les éclaireurs arrivèrent en pièces détachées après la succession de bosses. À l'avant, avec six minutes d'actif, et un changement de maillot jaune au profit d'un van der Poel (Alpecin) pour une petite seconde, ce fut l'irlandais Ben Healy (EF), rescapé de l'échappée, qui vint quérir un triomphe de prestige après un magistral numéro en solitaire dans les quarante dernières bornes. À l'arrière, étonnamment, aucun cador n'osa s'étalonner, sauf dans les raides pourcentages terminaux (700 m à 10,2 %, dont une rampe à 14 %). En guise de conclusion explosive, Tadej Pogacar domina ses rivaux lors d'un sprint assez fictif, pour le moins symbolique.
Épilogue.
Ce fut là que le chronicoeur chercha des raisons d'incarnation paroxystique au mariage de la plume et du vélo. Ben Healy, héros du jour, ne dirait pas le contraire, s'il lisait Blondin: «Dans cet univers plein de bruit et de fureur, c’est le bruit des uns qui provoque la fureur des autres.» Telle une fête ?
(1) Lire absolument Antoine Blondin. La légende du Tour (éditions du Rocher, 2015), par Jacques Augendre, Jean Cormier et Symbad de Lassus, le petit-fils de l’auteur d’un singe en hiver.
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