Yates et Healy, volcans en fusion


ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP
Simon Yates, solitaire dans l’ascension finale.

Dans la 10 e étape, entre Ennezat et Le Mont-dore (165,3 km), victoire du Britannique Simon Yates (Visma). L’irlandais Ben Healy (EFE), présent dans l’échappée et troisième de l’étape, prend le maillot jaune à Tadej Pogacar pour 29 secondes (UAE).

JEAN-EMMANUEL DUCOIN
Le Mont-dore (Puy-de-dôme), envoyé spécial. 
15 Jul 2025 - L'Humanité

Acte I, scène 1. 

De l’inédit dans l’air rafraîchi, pour une sauvagerie tellurique qui remontait des entrailles de la Terre et qui hésita entre brouillon et emphase, asile et fondations. En ce jour de fête nationale, partant d’ennezat pour gravir Le Mont-dore (165,3 km), l’arrivée dans la moyenne montagne inaugurait l’entrée en scène des ascensionnistes aux vertiges solitaires. « Agir en primitif et prévoir en stratège.» À la manière de René Char, le chronicoeur scruta donc les cimes du Massif central qui déchiraient l’horizon en se rappelant que l’art toujours expérimental du Tour demeurait une étrangeté répétitive. Nous entrâmes dans l’amphithéâtre d’une dinguerie de dénivelée (4 400 m), avec huit côtes ou cols de deuxième et troisième catégorie et, en prime, l’arrivée au sommet du puy de Sancy, à 1 324 m d’altitude. Une première.

UN HARCÈLEMENT TOTALEMENT VAIN

Dans sa folie racinaire chaque Juillet élaborée sur des fondations, le Tour se plaît toujours à devenir sanctuaire. Et, en filant vers les volcans d’auvergne pour décrocher l’étoile inaccessible, nous imaginâmes tous les scénarios possibles. Qu’evenepoel soit pris d’un coup de folie ; que les Visma de Vingegaard agitent les glaives pour troubler la suprématie de Pogacar ; que Roglic sorte de sa tanière ; qu’un Français (Alaphilippe, Vauquelin, Martinez, etc.) hisse le drapeau tricolore en chantant la Marseillaise ; et même, pourquoi pas, que Van der Poel imprègne de nouveau nos mémoires vives et torde le cou au rouleau compresseur d’un sport devenu usine.

Acte I, scène 2. 

« Les événements sont les ironies en action », écrivait Balzac. Martinez et Alaphilippe furent parmi les premiers attaquants, dès la côte de Loubeyrat (km 5). Le grand toboggan montagneux débutait à peine, avec un goût précoce de limaille dans la bouche de nos Géants, tandis que le groupetto des grosses cuisses traînait déjà à l’arrière. Peu après, une énorme troupe de 29 unités se détacha, parmi lesquels Healy, Paret-peintre, Powless, Pacher, Alaphilippe, Armirail, Martinez, etc., dont deux Visma, Simon Yates et Campenaerts. Ces éclaireurs ouvrirent la voie aux Dieux du cyclisme, convoqués dans un tournoiement de pendule et un frisson d’obligation.

Les grandes manoeuvres débutèrent, et nous guettâmes l’attitude de Tadej Pogacar, orphelin depuis la veille du Portugais Joao Almeida, le « meilleur équipier du monde », selon les propres termes du triple vainqueur. « Bien sûr, on va changer quelque chose, car on perd un élément très fort en montagne », commenta Simone Pedrazzini, le directeur sportif des UAE. D’autant que l’affaire se corsa. Il était à peine 14 h 30, et nous apprenions qu’un autre équipier clé de Pogi, le Français Pavel Sivakov, se trouvait largué à l’arrière, perdu au sein des 188 rescapés (tout comme Van der Poel d’ailleurs). Dès lors,

Pogacar ne comptait plus que sur cinq équipiers (Narvaez, Politt, Soler, Wellens et Adam Yates). Sur les volcans ou plus tard, le maillot jaune pourrait-il ployer sous les coups des Visma ? Au matin, Jonas Vingegaard confessait : « L’ensemble du Tour va dépendre de l’étape d’aujourd’hui. »

Acte II, scène 1. 

Sous l’impulsion de Lenny Martinez, en quête du maillot à pois afin de succéder à son grand-père Mariano (en 1978), l’échappée se disloqua en plusieurs entités. Sous un ciel aux nuages ourlés, nous entrâmes alors dans le sévère et le brutal. Au sein du minipeloton des cadors, qui naviguait à près de six minutes, les nuances d’observation ne durèrent pas. Tout s’emballa avant et dans la septième bosse du jour, le col de la Croix-saint-robert (5,1 km à 6,4 %, 2e catégorie). À l’avant, plus aucun Français ne pointait aux commandes. À l’arrière, les Visma embrayèrent à tour de rôle pour isoler Pogacar, collé aux roues de Vingegaard et d’evenepoel. Un harcèlement totalement vain… À travers ces routes sinueuses, ces paysages écrasés par la lumière, la Grande Boucle poursuivait son chant non fraternel. Quel spectacle, ces grappes de coursiers éparpillés dans les pentes. Le temps de prendre conscience qu’il n’y avait pas de vedettes, ici, mais aussi des ouvriers de l’asphalte, des artisans de la souffrance consentie engagés dans une lutte de classes.

UNE VICTOIRE DE PRESTIGE

Acte II, scène 2. 

Les figures pâlirent, les tenants de l’esbroufe se turent. Dans la montée finale du puy de Sancy (3,3 km à 8%, 2e catégorie), le Britannique Simon Yates (Visma), rescapé de l’échappée et dernier vainqueur du Giro, s’isola et termina en feu au sommet pour quérir une victoire de prestige. Cinq minutes plus tard, les pourcentages offrirent au corps évidé de Tadej Pogacar ce moment attendu : il plaça une attaque fulgurante, et emmena dans sa roue le seul Vingegaard. Mais surprise : l’irlandais Ben Healy (EF), présent parmi les fuyards et troisième du jour, récupéra la toison d’or, avec 29 secondes d’avance.

Épilogue. 

En guise de colophon, afin d’imprimer dans le livre des Illustres le premier chapitre de cette 112e édition avant la journée de repos, le chronicoeur huma l’air vivifiant des volcans alentour et repensa à la sauvagerie tellurique entrevue, aux actions primitives et aux prévisions de stratèges assumées. Certains savaient désormais beaucoup de choses d’euxmêmes, comme des parcelles de sacré. Les ascensionnistes venaient de parler. Quelques-uns ressentirent une impression de brouillon et d’asile, d’autres beaucoup d’emphase et de fondations.

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