ATHLÉTISME - Duplantis a toujours autant la perche
«Mondo» Duplantis, show à la perche
En finale ce lundi aux mondiaux d’athlétisme de Tokyo, le perchiste suédois enchaîne les records du monde depuis cinq ans. Pourrait-il à terme atteindre les 6,40 m, comme il l’assure, voire plus ?
15 Sep 2025 - Libération
Par Alain Mercier Envoyé spécial à Tokyo
Un coup d’oeil sur les chiffres en dit déjà long. En février 2020, Armand «Mondo» Duplantis s’est offert quelques mois seulement après son 20e anniversaire son premier record du monde du saut à la perche. 6,17m. Une performance réussie en salle, dans le stade couvert de Toruń, en Pologne. Le 12 août, à Budapest, le Suédois a tracé au canif une nouvelle marque, la 13e, sur l’encadrement de sa porte de chambre. 6,29 m. En cinq ans, un gain de 12 centimètres. Avant lui, Sergueï Bubka avait fait mieux. L’Ukrainien avait grignoté un à un pas moins de 31 centimètres (5,83 m à 6,14 m). Mais il lui avait fallu dix ans.
Question: Mondo Duplantis, qui doit disputer ce lundi la finale aux mondiaux d’athlétisme de Tokyo, peut-il continuer sur la même lancée, imiter Sergueï Bubka et s’envoler au-dessus de 6,40 m, voire atteindre 6,50 m? Quelles sont ses limites? Plus largement, jusqu’où l’homme peut-il grimper en s’aidant d’une perche ? Pour y répondre, mieux vaut oublier les stats et délaisser la règle à calcul. La réponse est plus complexe. A l’image de la discipline, elle tient en deux volets : Mondo et les autres.
Duplantis, d’abord. Pressé par les médias de dévoiler ses projets d’avenir et ébaucher une équation, le Suédois a longtemps botté en touche. «Sky is the limit», se contentait-il de répondre, ponctuant le cliché d’un sourire censé marquer le point final. Avec l’âge – il fêtera en novembre son 26e anniversaire – Mondo se montre moins évasif. «Dans un futur proche, il m’est possible de sauter 6,30 m, puis 6,40 m dans les années à venir, a-t-il confié en début d’année. Oui, vraiment, 6,40 m me semble dans le domaine du possible.»
«Aucun ne peut Aller Aussi vite que lui»
Réaliste ? Philippe d’Encausse le croit. L’entraîneur de Renaud Lavillenie, lui-même ancien perchiste international (5,75 m en 1993), n’imagine pas le Suédois s’arrêter là. «Mondo est un cas unique, explique-t-il. Il saute à la perche depuis l’âge de 2 ans, sa technique est fiable et parfaitement maîtrisée, et il va vite, vraiment très vite. Aucun perchiste au monde, aujourd’hui comme hier, n’est aussi rapide. La différence, il la fait avant tout par sa vitesse. Tous les perchistes à 6 mètres savent parfaitement bien sauter, mais aucun ne peut aller aussi vite que lui sur la piste d’élan. Mondo est un sprinteur, mais un sprinteur capable d’aller à fond avec une perche à la main.»
L’an passé, un défi lancé au Norvégien Karsten Warholm, le recordman du monde du 400 m haies, a permis de mettre un chiffre sur ses qualités de vitesse. Les deux se sont retrouvés au départ d’un 100 m construit comme un duel. Le perchiste a écrasé la course. Warholm a rendu les armes bien avant la ligne d’arrivée. Résultat : 10 secondes 35. «Impressionnant, apprécie Philippe d’Encausse. Mais c’était une course unique. S’il en faisait quatre ou cinq, il pourrait sans doute descendre à 10 secondes 20.» Suffisant pour aller encore plus haut? Le coach français hésite : «Atteindre 6,40 m est possible, mais il n’y parviendra pas aussi facilement que pour 6,30 m. Quant à la suite, 6,50 m, ça me semble très compliqué.»
La solution, si elle existe, pourrait être matérielle. La perche, bien sûr. Une évidence. Mais aussi, plus inattendu, le stade. Philippe d’Encausse le reconnaît : le matériel a peu évolué. «Peu de recherche et développement ont été investis sur le matériel. C’est un marché de niche, sans réelles retombées commerciales.» Le carbone, dont l’ajout dans les semelles des coureurs a contribué à faire voler en éclats une poignée de records du monde (400 m haies, marathon…), aurait pu donner un coup de fouet à la discipline. Problème : il ne plie pas. «Son apport reste donc faible, reconnaît le coach. D’ailleurs, Mondo saute avec des perches 100% en fibre de verre.»
Il n’empêche, la technologie pourrait jouer son rôle en allégeant le poids des gaules. Prise en son milieu, une perche pèse 4 à 5 kilos. Pas lourd. «Mais tenue par un bout, son poids atteint 20 kilos, précise Philippe d’Encausse. En passant à 12 ou 13 kilos, on irait certainement plus haut.»
LIMITE PSYCHOLOGIQUE
Autre piste à creuser : le stade. L’ennemi du perchiste, le vent, y souffle souvent de travers sur le sautoir, posé dans un virage. «Avec un vent légèrement favorable, les perchistes iraient plus vite dans leur course d’élan, ils arriveraient plus vite sur le butoir et pourraient aller encore plus haut, assure le coach. Mais, dans l’ensemble, les stades sont conçus pour que le vent souffle dans le sens de la piste, de la ligne droite, pour favoriser les courses, surtout le sprint.»
Une exception : Austin, aux Etats-Unis. Au Mike A. Myers Stadium, sur le campus de l’Université du Texas, la brise accompagne les sauteurs dans le sens de leur élan. Un eldorado des perchistes. Philippe d’Encausse se souvient de l’édition 2018 des Texas Relays, une compétition organisée à la fin du mois de mars, en pleine période d’entraînement, où les barres montaient comme dans un rêve. «Nous étions hors saison, mais tous les gars ont fait 5,95 m.»
Pour l’entraîneur français, la limite du Suédois pourrait bien, avant d’atteindre le ciel, être psychologique. A 25 ans, il a déjà noirci toutes les cases de son tableau de marche : deux médailles d’or olympiques, deux titres mondiaux en plein air, trois autres en salle, 13 records du monde. «On peut s’interroger sur sa motivation, dans les années à venir, même s’il voue une passion au saut à la perche. On ne peut pas comparer Mondo et Bubka. Sergueï perdait parfois [un seul titre olympique en plus de dix ans de carrière, ndlr], il se vautrait. Mondo, jamais», tranche Philippe d’Encausse.
S’il venait à remballer ses gaules avant d’avoir fait sauter le plafond, la question des limites de la perche serait à reconsidérer. Mais elle pourrait bien alors rester quelque temps en stand-by. Philippe d’Encausse le reconnaît : «Pour aller encore plus haut et envisager des hauteurs aujourd’hui hors du temps, il faudrait trouver un athlète encore plus exceptionnel. Un gars qui posséderait toutes les qualités de Duplantis, mais encore en mieux.» Pas gagné. Le ciel peut attendre.
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