GIRMAY PLANE SUR LE SPRINT
Alors que Biniam Girmay a remporté sa deuxième étape, les favoris du classement général seront en alerte aujourd’hui sur les 32 km de secteurs empierrés autour de Troyes, où le Maillot Jaune pourrait bien être tenté de mettre le bazar.
7 Jul 2024 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL - ALEXANDRE ROOS
COLOMBEY-LES-DEUX-ÉGLISES (HAUTEMARNE) – Toute la nuit, ce bûcheron de Jonas Abrahamsen a dû continuer d’entendre le bourdonnement mécanique, huilé, de sa chaîne et de ses roulements, le bruit fuyant des projections de la pluie sous ses roues, après avoir découpé du bitume seul à l’avant pendant près de 170 bornes, dans une ode à la liberté qui ne pouvait que trouver un écho au moment de pénétrer sur les terres du général de Gaulle, mais qui est surtout l’essence du Tour de France. Depuis le départ de Florence, le Norvégien s’est imposé comme un des personnages de cette édition, explorateur viking qui ne tremble pas devant les expéditions périlleuses, les croisades perdues d’avance, qui ouvre la voie et la route tel un esprit libre, indépendant, dans le refus des scénarios écrits d’avance, dans la résistance à tous ceux qui voudraient raccourcir sa laisse. Abrahamsen n’a pas encore levé les bras dans ce Tour, mais il porte depuis le soir de la première étape le maillot blanc à pois rouges du classement de la montagne.
De Lie et Coquard se sont cassé les dents
Hier, à l’embardée millimétrée, organisée dans le confort des bureaux roulants de son équipe, et qui consistait à aller glaner les points au sommet des premières côtes de la journée, cette amanite tue-mouches géante inversée, aux cuissots à l’épaisseur de troncs qui l’obligent à pédaler avec les oreilles, a substitué une odyssée sauvage, libérée de toute contrainte, de tout but, sinon la revendication du droit à la solitude et de ne pas fa i re comme le troupeau.
Une flamme qui dansait avec fragilité à l’avant, dans la grisaille et la monotonie. Et si le peloton a repris ses droits et soufflé sur sa lanterne à 14 km de l’arrivée, à Colombey-les-Deux-Églises, ce fut un autre personnage lumineux de ce Tour de France qui reprit le flambeau de la rébellion, Biniam Girmay, impressionnant de puissance et d’autorité, dont la deuxième victoire foudroya jusqu’au centre-ville d’Asmara, la capitale érythréenne, en liesse pour son « Bini ». Avec ce second succès, Girmay a brisé l’égalitarisme qui régissait le plateau des sprinteurs, le partage équitable des victoires depuis la première arrivée massive à Turin, alors qu’au lancement de cette édition, on pensait Jasper Philipsen audessus de la mêlée.
D’une force de contestation au moment de sa première victoire lundi en Italie, l’Érythréen d’Intermarché-Wanty est devenu une figure de pouvoir en levant les bras hier. Plus fort que le Belge d’Alpecin-Deceuninck, même si l’arrivée en faux plat montant était un terrain davantage à sa convenance. Plus malin qu’Arnaud De Lie, qui semblait fringant mais qui a encore fini enfermé, ou que Bryan Coquard, qui a démarré bien trop tôt dans cette interminable ligne droite au profil de chameau, avec deux petites bosses qui entraînaient le paquet dans le dernier coup de cul, avec des pourcentages à 7%.
Bras de fer attendu entre Pogacar et Vingegaard
Mads Pedersen a dû se pincer les lèvres si, sur le chemin de son retour à la maison, il a vu cette arrivée qui était taillée pour lui. Le Danois, handicapé par sa chute mercredi dans le sprint de SaintVulbas, a préféré partir se retaper en vue des Jeux Olympiques et son abandon ouvre un boulevard à Girmay pour le maillot vert, surtout avec un Philipsen à ce petit niveau. Dans le sprint, on vit le Maillot Jaune s’agiter en deuxième rideau, pas vraiment dans la bagarre, mais pas non plus totalement absent, un hyperactif qui ne peut jamais rester loin de l’action.
On s’attend donc à voir Tadej Pogacar mettre le feu aujourd’hui aux chemins blancs autour de Troyes, dans un exercice inédit pour le peloton du Tour, 14 secteurs empierrés pour un total de 32 km. Ces aventures hors des sentiers battus n’accouchent pas toujours du feu d’artifice anticipé, car beaucoup courent avec le frein à main, la différence entre le Tour et une classique.
Mais le niveau d’alerte maximale sera enclenché dans une étape que beaucoup résument de la fameuse formule « on ne peut pas y gagner la course, mais la perdre ». Un aphorisme bancal, puisque ce qui est perdu par l’un sera gagné par les autres, la bataille du général étant un jeu à somme nulle. Pogacar voudra gagner du temps, ou en faire perdre aux autres, c’est comme vous préférez, et surtout à Jonas Vingegaard. Parce que c’est un ring à la mesure de sa folie et de ses aptitudes, de ses qualités de pilotage, et parce que de toute manière, il ne peut s’en empêcher, retenir ses coups n’est pas le genre de la maison.
Il espérera en revanche que ses cerbères seront plus regroupés autour de lui qu’hier, où il a été un peu seul dans le final. Si les UAE ont été injouables en montagne dans le Galibier, cela n’a pas été le cas sur le plat. Au contraire des Visma-Lease a bike, explosés dans les Alpes mais qui ont serré les rangs autour de Vingegaard depuis, dans le coup de bordure qu’ils ont initié jeudi vers Dijon ou hier dans une météo difficile.
On notera d’ailleurs que ni Wout Van Aert ni Christophe Laporte n’ont disputé le sprint, préservés pour jouer les gardes du corps aujourd’hui. Dans le prolongement de ce miroir inversé, Vingegaard a tout intérêt à courir sur la défensive pour cocher une nouvelle journée aux dégâts limités sur son calendrier, même si sur ce type de parcours, le meilleur moyen de se protéger des pépins est de courir devant. Avec Remco Evenepoel et Primoz Roglic dans les parages, les deux rivaux vont reprendre leur combat et leur opposition de styles. Une nouvelle bataille, sur les chemins de vignes, entre le punk et le janséniste.
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