PARIS VAUT BIEN UNE LIESSE
La première victoire du club parisien en Ligue des champions, attendue depuis quatorze ans par ses propriétaires qataris, a résonné tout le week-end.
2 Jun 2025 - Libération
Par Guillaume Tion
Le ciel est gris sur les Champs-Elysées où affluent les Parisiens et les supporteurs du PSG au lendemain de la victoire du club sur l’Inter Milan en finale de la Ligue des champions. On attend làbas, sur les coups de 17 heures, le bus de la victoire, à impériale, d’où l’équipe exhibera la coupe aux grandes oreilles, la première pour le Paris-SG. «J’espère qu’ils ne rouleront pas très vite. En 2018 j’avais vu la Coupe du monde un peu trop rapidement. J’aimerais bien qu’ils prennent leur temps», se souvient Lucas, 27 ans, pharmacien perdu dans le dédale emprunté sagement par une file ininterrompue de maillots bleu marine. Il sera exaucé : avant de rejoindre l’Elysée où ils ont été reçus par Emmanuel Macron, les joueurs ont pris leur rasade de ferveur sans se hâter, derrière un important cordon de sécurité.
Aux Champs-Elysées
Lucas a fait la totale : samedi soir, il était au Parc des princes où était diffusé le match sur écran géant, ensuite il est allé sur les Champs, en est reparti vers 3 heures du matin revoir le match en replay chez lui, et aujourd’hui il retourne à nouveau aux Champs avant de se rendre à nouveau au Parc pour la parade du soir. Pourquoi fait-il tout cela ? «C’est comme ça… C’est mon club. Je suis tombé dedans quand j’étais petit, avec mon frère et mes amis de primaire. Cela fait vingt ans que je les supporte.» Un jeune homme (21 ans) croisé en chemin confirme: «L’amour du Paris-SG m’est venu grâce à mon cousin plus âgé. Aussi parce que je suis né à Paris. Et quand je me suis vraiment intéressé au foot, à l’adolescence, c’était fléché.» Lui aussi était au Parc des princes la veille. Fléché.
Leur parcours de supporteur, vécu souvent dans la douleur, se colore d’une joie nouvelle. «On s’est pris tellement de désillusions… reprend Lucas. De toute façon le PSG n’est pas un club comme les autres : quand on perd c’est souvent injuste, et quand on gagne enfin la Ligue des champions c’est sur le plus grand score [5-0, ndlr] de l’histoire de la compétition. Un club bizarre.» Autour d’eux, les rues parisiennes portent encore les reliefs des heurts survenus la veille, le temps d’une première célébration d’après-match aux relents de violence : des carcasses de Vélib calcinées à un carrefour, la devanture d’un troquet du VIIIe arrondissement fracassée et désormais masquée par une planche. On a vu sur ces mêmes lieux, quelques heures plus tôt, des supporteurs qui rechignaient à entrer dans le chaos lacrymo des Champs, on en a croisé d’autres repartir en disant : «ça devient moins sympa, Ça dégénère là. Des groupes commencent à balancer des objets et attaquer des magasins.» Dans le métro du retour, on était assis en face de passagers avec le front ouvert ruisselant de sang ou les yeux rougis par le gaz.
Samedi à la Ferme
La soirée de samedi ne peut non plus se résumer à ça. Elle a commencé à la Ferme, café de la rue des Petites-Ecuries, dans le Xe arrondissement, qui a prévu un menu spécial PSG avec couscous et pinte de blonde à 20 euros. Et le serveur barbu qui sert mojito sur mojito sans se poser de questions. «Franchement, que le meilleur gagne, mais je préfèrerais que ce soit Paris», espère Martin, au fond de la salle. «Ouais, mais de toute façon on va perdre 2-1», lui répond un ami. Le jeune homme n’est pas pessimiste, mais fataliste. Il s’agit de poisse. De poisse éternelle. Celle qui fait plier le PSG devant un Barça en pleine remontada. Celle qui pousse les supporteurs à se dire que l’année prochaine sera meilleure quand sur l’écran Thiago Silva pleure après une énième défaite en Ligue des champions. Un supporteur nous envoie un message : «Le stress est dingue. Comme si, si jamais on l’emportait, plus rien ne pouvait nous arriver de grave plus tard.»
A la Ferme, Louis – qui adorerait qu’on accole à son nom «le prénom a été modifié», appelons-le donc Benoît (1) –, voudrait que le PSG gagne, mais il a misé en ligne sur une victoire de l’Inter: «1-0. C’était la meilleure cote.» On te croit, Benoît.
Première mi-temps
Après des hurlements et des chants dans la salle surchauffée au moment de la présentation des équipes, la table de Benoît attaque son couscous. Poulet et merguez. Sur le terrain, Paris domine. A la 12e minute, Achraf Hakimi marque. La salle explose. Les supporteurs lévitent, les verres s’écrasent au sol. Enfin ! Paris entr’aperçoit le territoire des vainqueurs à travers le brouillard des fumigènes. Benoît, imperturbable, finit sa cuisse de poulet. A la 20e, Désiré Doué alourdit le score et les Parisiens valident leur visa provisoire pour le triomphe, la frontière est toute proche. Autour de Benoît, les gens sautent sur des chaises, s’écrasent. «Je me suis planté sur mon pronostic, mais c’est mieux comme ça», sourit-il.
Seconde mi-temps
Y a-t-il eu du suspense ? Non. «Moi, je viens de Honfleur. J’ai commencé à m’intéresser au foot à l’âge de 10 ans, vers 2001. J’ai vu un match du PSG avec Ronaldinho, qui a fumé toute l’équipe de Marseille, se souvient Pierrot, 33 ans. Je me suis dit: c’est mon joueur, c’est mon équipe. Je ne savais pas à quel point ça allait être compliqué !» Il évoque la saison 2006-2007, alors que le PSG était relégable, il parle de Fabrice Fiorèse et lance à un de ses amis : «Tu y crois, toi ?» Le «y», c’est 5-0 contre l’Inter Milan, la dernière marche du panthéon footballistique allègrement foulée, Paris devenu champion, Marquinhos qui pleure de joie. «Non, c’est irréel. Incroyable, même, ce n’est pas logique», répond l’ami aux yeux bouffis qui semble se réveiller d’un sommeil de cinquante ans. On dirait presque que ce sacre ne lui fait pas plaisir. Ou qu’il a peur d’être heureux. Cette coupe aux grandes oreilles, c’est comme un décès : on met du temps à réaliser.
L’heure de la victoire
Sur l’écran géant, l’entraîneur Luis Enrique sourit. Dans le bar, les gens dansent. A l’extérieur, la ville s’apprête à célébrer ses héros. Mais ni la bande de Benoît ni celle de Pierrot n’iront aux Champs-Elysées. «Pour les demi-finales, ça craignait trop. L’ambiance est pourrie, il y a des flics et des bastons.» Sur les grands boulevards, dans l’air encore tiède du soir, de longues grappes de supporteurs avancent, elles, résolument en direction des Champs. Comment Paris se transforme-t-il en ville championne ? Dans une ivresse carnavalesque, sûre de son bordel. On voit de tout. Des groupes sur des abribus, des défilés de scooters qui pétaradent en klaxonnant, des fumigènes et des mortiers d’artifice tirés depuis chaque carrefour, des barricades de Vélib et des farandoles de maillots . La foule heureuse trotte gaiement en chantant: «Laaaaa la la la la laaaaaa Paaaaris-SG, laaaaa la la la la laaaaaa Paaaaris-SG…» Paris est musique lors de cette manif dont la revendication est la joie.
Dans le VIIIe arrondissement, l’ambiance se dégrade. Rue la Boétie, un troquet n’a plus de vitrine, une boutique de téléphonie se fait vandaliser. Sur le rond-point des ChampsElysées, les forces de l’ordre ne laissent passer qu’un filet de supporteurs au milieu d’épais nuages de lacrymo. Au loin, de la fumée, le rouge d’un fumigène, l’écho d’explosions. Silvia et Luis sont argentins. Ces deux retraités ont atterri ce samedi, mais ils ne peuvent rejoindre leur hôtel rue Lincoln, à quelques minutes à pied. «En Argentine, on a l’habitude des célébrations après des matchs de foot. Mais là… c’est violent quand même. Et puis il n’y a pas de lacrymo dans ces moments-là, en Argentine», explique Luis. Silvia fait la moue. Beaucoup de ceux qui auraient aimé chanter sur les Champs ont renoncé. «Dès qu’on s’approche, on est gazés», déplore Lilas, 17 ans. Avec un groupe de copines, elle est venue «pour Paris», puis, tirant sur son maillot du PSG et avec un grand sourire : «Je suis née à Paris, j’ai toujours vécu à Paris. Le PSG, c’est mon club !» On comprend. On est aussi né à Paris, le PSG fait partie de notre vie, tout comme les Champs-Elysées, le métro ou le ciel souvent gris. On est des centaines de milliers dans le même cas, suspendus aux aléas de ce club que l’on suit à notre corps défendant. Le club de notre ville. On a appris à l’aimer, ou à ne pas trop le détester, avec ou sans Qatar. Enfant, on est allé au Parc des Princes, on a goûté les abysses des matchs nuls 1-1 contre Sochaux sous la pluie. Aujourd’hui, c’est différent. La donne a changé. La victoire nous est tombée dessus.
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Elan
2 Jun 2025 - Libération
Par Hamdam Mostafavi
Des images de liesse dans toute la France. Une joie insoupçonnée qui émerge des tripes. Une fierté devant l’art et la manière avec laquelle les Parisiens ont remporté cette Ligue des champions. Trente-deux ans après l’OM, le PSG remet une équipe française sur la carte des clubs qui comptent en Europe en remportant la plus prestigieuse des compétitions. On en viendrait presque à oublier que le Paris-Saint Germain, avec ses moyens colossaux, est un club hors norme par rapport au reste de la Ligue 1. Propriété de l’homme d’affaires et ministre qatari Nasser al-Khelaïfi, le PSG vit dans son propre univers, sans être soumis aux mêmes difficultés financières que la plupart des clubs hexagonaux, affectés, entre autres, par le micmac autour des droits télés du championnat de France. Qu’à cela ne tienne, les spectateurs étaient nombreux devant leur poste, dans les bars, dans les fanzones, et dans toute la France, bien au-delà de l’enceinte du périphérique, dans une atmosphère festive, même si des débordements regrettables ont eu lieu. La preuve d’un élan collectif toujours vivace pour les grands-messes sportives, quelques mois après la vague d’enthousiasme pour les Jeux olympiques, qui avaient redonné du peps à une France affectée par une dissolution ratée. Et rien de mieux pour faire société quand émerge en plus la figure d’un jeune héros. Tel Kylian Mbappé en 2018, c’est aujourd’hui un jeune nommé Désiré qui suscite la passion de tout un peuple. Avant cette finale, une question agitait le microcosme des journalistes sportifs, celle de la «nationalité» du PSG, localisé à Paris mais puissant instrument de soft power qatari. Pourtant, avec ses pépites de joueurs tricolores comme Désiré Doué, Ousmane Dembelé ou Bradley Barcola, et sa réussite portée par son sens du jeu collectif, ce PSG-là a su se faire aimer des Français, au-delà de la capitale.
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Une soirée marquée par deux morts et des interpellations par centaines
Emaillée de heurts et de dégradations, la nuit a aussi été endeuillée à Dax et à Paris. La police a procédé à 563 arrestations.
2 Jun 2025 - Libération
Louis Moulin
De la fête à la fièvre, parfois jusqu’au drame. Des incidents ont éclaté samedi soir un peu partout en France après la victoire des Parisiens en Ligue des champions. Si les Champs-Elysées, théâtre d’affrontements avec la police, ont concentré une bonne partie de l’attention, le ministère de l’Intérieur a fait état de 563 interpellations dans le pays, dont 491 à Paris, 692 incendies, dont 264 véhicules et, surtout, de deux morts en marge des célébrations. Un homme d’une vingtaine d’années a perdu la vie dans le XVe arrondissement de Paris après que son scooter a été percuté par une voiture qui, selon RTL, semblait transporter des supporteurs parisiens. A Dax, c’est un adolescent de 17 ans qui a été poignardé à mort sur la voie publique, quelques minutes après le coup de sifflet final. «Les éléments recueillis permettent de s’orienter vers une action individuelle et sans lien avec les résultats sportifs», a toutefois communiqué, dimanche, le procureur de Dax, Benoît Fontaine. A Grenoble, un autre adolescent de 17 ans était toujours dans un état grave dimanche soir après avoir été fauché samedi, avec trois membres de sa famille, par un chauffard. Enfin, dans la Manche, un policier a été placé en coma artificiel après avoir été blessé par un tir de mortier d’artifice à Coutances. Son état est «préoccupant», selon le procureur Gauthier Poupeau. Au cours de la soirée, 22 membres des forces de l’ordre et sept pompiers ont été blessés. «Rien ne peut justifier ce qu’il s’est passé ces dernières heures, les affrontements violents sont inacceptables, a lancé, dimanche soir, Emmanuel Macron depuis la salle des fêtes de l’Elysée où il recevait les joueurs du PSG. La réponse de l’Etat sera à la hauteur : nous poursuivrons, nous punirons, on sera implacables.»
Les incidents n’ont pas tardé à prendre un tour politique, le RN dénonçant «un fiasco» sécuritaire, tandis que LFI a demandé à Bruno Retailleau de «rendre des comptes». «Ceux qui pensent que la réponse c’est simplement une doctrine d’emploi des forces de l’ordre se trompent», a rétorqué le ministre de l’Intérieur, qui a fustigé les comportements de «barbares» tout en jugeant le dispositif «à la hauteur». De son côté, le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, a estimé qu’il «n’était ni une réussite ni un échec».
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