FOOTBALL - Saint-Étienne, un club à parts ?


Photo FEP. Icon SPort

«Le mouvement “socio”, c’est la construction 
d’une alternative au foot business»

Par un engagement financier, certes symbolique, ils sont devenus actionnaires de leur club favori.
Une fan du FC Sochaux, un Stéphanois de coeur et un Guingampais expliquent ce choix à «Libé».

23 Aug 2025 - Libération
Par Julien Grohar

Très présent en Espagne et en Allemagne, le modèle économique des «socios», ou supporteurs actionnaires, se répand peu à peu dans l’Hexnadgone. Des milliers de fans des Verts de l’ASSE pourraient faire leur entrée au capital du club d’ici septembre.

C’est le rêve de chaque fan : posséder, ne serait-ce qu’en partie, quelques parts de son club de foot favori. A l’AS Saint-Etienne (ASSE), ce désir est en train de devenir une réalité. Pour la première fois dans l’histoire du club, la direction a autorisé un groupe de supporteurs à racheter les parts d’un petit actionnaire de la structure sportive, ouvrant ainsi la voie à son entrée au capital du club. Pour y parvenir, une seule condition: récolter 150.000 euros avant le 12 septembre, «un montant tout à fait atteignable», selon le vice-président de l’association de supporteurs Socios verts, à l’origine de la campagne de financement, Julien Beal. Après quatre jours de levée de fonds, plus de 75.000 euros ont déjà été récoltés de la part de 3000 contributeurs différents. La participation minimale s’élève à 19,33 euros pour les particuliers, 420 euros pour les entreprises.

«Quand Socios verts s’est créé, le club était en grosse difficulté financière, se remémore Julien Beal, qui travaille comme agent commercial quand il n’est pas au “Chaudron”, le surnom du stade Geoffroy-Guichard, pour soutenir les Verts.

L’idée, c’était d’apporter un peu d’argent pour essayer, un minimum, de le renflouer économiquement, mais aussi d’avoir son mot à dire dans la gouvernance du club.» Club majeur du patrimoine footballistique français, finaliste malheureux de la Ligue des champions 1976 (ah, les poteaux carrés…), l’AS Saint-Etienne connaît depuis plusieurs années des résultats en dents de scie. Malgré le rachat en 2024 par le groupe Kilmer Sports, propriété de l’homme d’affaires canadien Larry Tanenbaum qui a injecté des millions pour éponger les dettes, les Verts ont de nouveau chuté en Ligue 2 en mai.

POURCENTAGE SYMBOLIQUE

Au club, on se réjouit d’avoir ouvert aux supporteurs une nouvelle manière de contribuer à la vie de l’ASSE. Tout en précisant néanmoins qu’il n’est pour l’instant pas prévu d’ouvrir aux Socios verts une entrée plus large au capital. Après validation du rachat, l’association de supporteurs devrait détenir entre 0,1% et 0,2% des parts du club, un pourcentage symbolique qui ne lui permettra pas de siéger au conseil d’administration. Les Socios verts pourront cependant assister à l’assemblée générale des actionnaires et recevoir des informations sur la situation économique du club. Pour pouvoir peser sur les décisions, Julien Beal et ses associés misent sur l’engouement populaire : «Plus nous serons nombreux à jouer les petits actionnaires, plus nous pourrons avoir un réel impact sur le long terme. Si nous sommes 30 ou 10.000 personnes, ce n’est pas tout à fait la même chose.»

Rien à voir avec le poids des socios espagnols – le terme étant la traduction littérale de «partenaires» –, qui sont les vrais détenteurs du club qu’ils soutiennent. Le FC Barcelone en compte 150.000 qui, en échange d’une adhésion, élisent les équipes dirigeantes et votent pour les grands accords commerciaux du club. En Allemagne, la Bundesliga applique quant à elle la règle du 50+1, qui exige que plus de la moitié du capital des clubs soit possédée par une association de supporteurs. En France, le modèle se développe timidement, notamment dans les clubs en difficulté économique. Ce fut le cas à Sochaux, en 2023, où l’association Sociochaux a récolté près de 800.000 euros pour sauver le club du dépôt de bilan et de la perte de son statut professionnel, vieux de près d’un siècle. Les socios, au nombre de 11.000, sont actionnaires du club à 8 % et siègent désormais au conseil de surveillance. «On pense que les équipes de foot ne sont pas des entreprises comme les autres et que les supporteurs ont leur mot à dire», défend le président des Sociochaux, Mathieu Triclot. Entreprises, collectivités locales, supporteurs… Une cinquantaine de petits actionnaires se partagent la gouvernance du FC Sochaux-Montbéliard et aucun n’est majoritaire. Un modèle à l’opposé des clubs de l’élite française, dont 11 sur 18 sont pilotés par des entreprises ou des fonds d’investissement étrangers. Les socios, eux, défendent l’idée d’un retour à un football populaire. «C’est ce que permet un actionnariat très éclaté, juge Mathieu Triclot. Certes, plus on est nombreux, plus il faut faire avec les susceptibilités de chacun. Donc on s’engueule, mais c’est ça, la démocratie.»

«ANCRAGE LOCAL»

En entrant au capital de l’AS Saint-Étienne, les Socios verts seront le quatrième groupe de supporteurs actionnaires en France après ceux de Sochaux, Bastia et Guingamp. Des dizaines d’autres associations militent encore pour posséder des parts de leur club de coeur, sans pour l’instant y parvenir. Au mois de juin, le Sénat a adopté une proposition de loi incitant davantage les clubs à consulter leurs supporteurs. Elle devrait être examinée par les députés à la rentrée.

Alors que les membres de la Ligue 1 toucheront cette année des droits télé historiquement bas, comment expliquer que les clubs restent réticents aux initiatives qui pourraient permettre de renflouer (un peu) les caisses ? «Parce qu’elles craignent de perdre le contrôle total dans la gestion de leur club», analyse le directeur d’études au Centre de droit et d’économie du sport Christophe Lepetit. D’autant plus que dans un championnat où les budgets annuels s’échelonnent de 850 millions d’euros pour le PSG à 25 millions pour Angers et Le Havre, les 18 équipes de l’élite française ont peu à gagner d’une entrée ultra-minoritaire de leurs supporteurs au capital. «150.000 ou 1 million d’euros, ça ne permet toujours pas d’avoir un pouvoir décisionnaire dans la direction, tempère l’économiste. Là où des propriétaires comme Kilmer peuvent y trouver leur compte, c’est qu’en faisant cela, les supporteurs les voient d’un très bon oeil. Etre associés à la gouvernance leur donne l’impression d’être acteurs, et non plus simples consommateurs. Cela renforce l’ancrage local qui s’est étiolé dans énormément de clubs.» Une manière, aussi, de favoriser la paix sociale.

Le mouvement est encore timide, mais il se développe. Ces dernières années, plusieurs associations de supporteurs français sont entrées au capital de leur club de foot favori. A Guingamp, Sochaux et peut-être bientôt Saint-Étienne (lire ci-contre), ils espèrent ainsi peser sur la vie et les orientations de leur propriétaire. Remettre une dimension populaire au coeur d’une activité qui brasse des sommes toujours plus colossales. Trois d’entre eux racontent leur choix à Libération.

«Quelque chose qui dépasse largement le football»
   - Mathilde Regnaud, 45 ans, socio de Sochaux 

«Je suis la socio numéro 273 sur 11.000 du FC Sochaux-Montbéliard, l’une des premières adhérentes donc.

Pourtant, le foot n’était pas l’objet principal. Si je suis devenue socio, c’est pour ce que le FCSM représente sur le territoire, une tradition, quelque chose qui dépasse largement le football. Je suis née à Montbéliard, j’habite désormais Belfort, et pour le Nord Franche-Comté, le club de Sochaux, c’est incontournable. Ce club représente énormément de choses pour les gens d’ici. Et la manière dont les socios se sont montés pour apporter les 800.000 euros qui ont permis au club de se sauver, ça raconte quelque chose de ce territoire de résistance et de résilience.

«Néanmoins, j’aime bien le football mais je suis dégoûtée par le foot business. Le mouvement socio, c’est justement la construction d’une alternative, c’est travailler ensemble pour un foot populaire. C’est dire qu’un club ne peut pas exister sans ses supporteurs et, en tant que supporteur, c’est renforcer son attachement à un club. Depuis que je suis socio, je suis ravie d’aller à Bonal [stade du FCSM, ndlr], d’y emmener mes enfants, de mettre le maillot qu’on a édité avec le nom des 11 000 socios.

«Et puis, c’est faire du collectif, construire quelque chose entre gens qui glissent pourtant des bulletins différents dans l’urne. C’est rare, ces espaces. Certains socios ne font rien de particulier, d’autres s’engagent plus. Par exemple, le 21 juin, on a monté un événement festif, avec un musée éphémère autour de l’histoire du club. Ça m’a permis de rencontrer des gens d’horizons très différents.»

«Devenir un club élitiste ne m’intéresse pas»
   - Patrice Queniet, 65 ans, peut-être futur socio de Saint-Étienne

«En 1976, j’avais 14 ans quand je tombe sur le match Kyiv - Saint-Étienne, en quart de finale retour de Ligue des champions. Après la défaite 0-2 à l’aller, on gagne 3-0. Je ne m’intéressais pas particulièrement au foot à l’époque, mais ce match fut un déclencheur.

«Ce que j’ai toujours aimé dans ce club, c’est sa ferveur. Le lendemain d’une défaite, à Saint-Etienne, les gens font la gueule. Ce club, c’est leur identité. Des nouveaux supporteurs arrivent constamment, l’amour du club se transmet de génération en génération. C’est fou de voir un stade de 40.000 places autant rempli dans une agglomération de 400.000 habitants. «Quand j’ai entendu parler de l’initiative des socios pour entrer au capital, ça m’a donné envie de participer un peu à la vie du club. J’ai donné 65 euros. Le mouvement socio, c’est une super initiative dont on ne parle pas beaucoup en France. Avec le temps, j’espère que les groupes de socios pourront aussi peser dans les instances de la Ligue de football professionnel pour protéger les supporteurs, qui sont parfois injustement sanctionnés pour des tifos et des feux d’artifice.

«Si tout le monde devenait socio, ça pourrait nous protéger d’un monde de plus en plus international avec des clubs qui forment des équipes galactiques. De nos jours, les propriétaires possèdent plusieurs clubs et font du trading. Ils se coupent de leur base. Devenir un club élitiste ne m’intéresse pas. Le foot, c’est un métier qui s’apprend. La preuve avec le Qatar, qui même en investissant des milliards au PSG, n’a réussi à gagner la Ligue des champions qu’au bout de quatorze ans. Si c’est pour faire du business, autant de ne pas investir dans le foot.»

«Le club appartient à tout le monde»
   - François De Quelen, 69 ans, «kalon» de Guingamp 

«Les “kalons”, c’est le nom de nos socios. Ça signifie “coeur” en breton. C’est un terme qu’on a choisi car c’est nous qui gérons toute la partie associative du club. Les missions associatives sont d’autant plus importantes qu’ici à Guingamp, notre territoire est sinistré par les fermetures des grandes entreprises dans les années 80. On aide beaucoup les oeuvres caritatives en leur apportant du soutien et des financements.

«Je suis supporteur de très longue date, j’ai vu mon premier match en 1978. Lorsque Bertrand Desplat [le président du club en 2017] a mis en place ce système d’entrée au capital, j’ai tout de suite adhéré et j’ai reçu le dossard numéro 438. Aujourd’hui, nous sommes plus de 18.000. Comme je suis à la retraite, j’arrive à être très impliqué dans le club. Je suis référent de la section découverte du club, qui s’occupe des enfants de 4 à 6 ans. On ne peut pas vraiment dire que je suis entraîneur, car c’est surtout un travail d’encadrement, où l’on passe autant de temps à jouer au ballon avec les pieds qu’avec les mains. Mais je suis fier d’aider le club à former des jeunes. Dans l’histoire de l’En Avant Guingamp, les joueurs issus du centre de formation ont toujours tiré l’équipe vers le haut dans les moments importants.

«Guingamp c’est un club très familial. Dans la ville, il y a moins de 7000 habitants et le club appartient à tout le monde. On compte plus de 140 petits actionnaires, qui sont surtout des entreprises du coin. Notre modèle est moins compétitif, c’est sûr, mais on ne se prend pas pour ce qu’on n’est pas. Alors on essaye de recruter malin et on demande des guerriers. On pense qu’on est dans le vrai, car pratiquement tous les ans, on garde notre place en Ligue 2. Et ça suffit à notre bonheur.»
Recueilli par 
J. Gr. et LOUIS MOULIN

Commenti

Post popolari in questo blog

Dalla periferia del continente al Grand Continent

I 100 cattivi del calcio

Chi sono Augusto e Giorgio Perfetti, i fratelli nella Top 10 dei più ricchi d’Italia?