Bien à l’heure

À 24 ans, Remco Evenepoel emporte sa première victoire d’étape sur le Tour. Un chef-d’oeuvre programmé de maîtrise des lois de l’aérodynamique et de l’obsession du détail, propres aux spécialistes du contre-la-montre.

6 Jul 2024 - L'Équipe

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL - PIERRE CALLEWAERT

GEVREY-CHAMBERTIN (CÔTE-D’OR) – Même quand on pense à tout, on n’est jamais vraiment préparé à bavarder avec un souverain. Alors, quand le prince Albert II de Monaco l’a salué dans la zone protocolaire au pied du podium, Remco Evenepoel a improvisé en garçon bien élevé, il lui a parlé météo : « Heureusement, il a fait beau ! » – repartie polie mais sensée tant on imagine comment il aurait attaqué la descente finale à fond de train sous la pluie.

Il y a aussi quatre mots qui masquent un continent englouti de travail de préparation en vue de ce contre-la-montre, effectué depuis de longs mois et qui l’a mené à sa victoire annoncée, hier, dans les rues de Gevrey. Choix de la géométrie du cadre, de la fibre de carbone, de l’ association casque-combinaison, de l’ angle des prolongateurs moulés en 3 D, du braquet, le tout mouliné dans des logiciels de simulation numérique puis validé dans la soufflerie de son équipementier américain, Specialized, en Californie.

Un type de peau aérodynamique

Pour valide r ces essais, Soudal-Quickstep emploie cette saison un ingénieur, Marcel Keyzer, passé par la F1. En association avec Specialized, il a assisté le champion du monde à trouver les roues les mieux adaptées au parcours d’hier. « Grâce à une modélisation mathématique, explique-t-il à La DH, je définis les réglages et montages optimaux. » En liaison avec Koen Pelgrim, l’entraîneur d’Eve-nepoel, qui lui transmet ses puissances, il «croise ces données avec le fichier GPS dans lequel j’étudie l’angle des virages, l’intensité des freinages et des relances, ainsi que le dénivelé, pour choisir le matériel (les roues) le plus approprié. »

Autre illustration de la maniaquerie dans l’art de faire rouler un type sur vélo. Evenepoel dit avoir observé que la peau de ses bras serait dotée de capacités aérodynamiques plus « performantes » que tous les tissus les plus élaborés. Difficile à confirmer en l’état, même si on peut supposer que ses avant-bras dénudés soient passés en soufflerie. Selon Bert Blocken, spécialiste de l’aérodynamique dans le cyclisme, « il est tout à fait cohérent que la peau de certains individus, une surface poreuse offrant des irrégularités intéressantes pour réduire la traînée aérodynamique, ait une meilleure pénétration dans l’air que certains tissus ».

Ses vêtements, Evenepoel les a testés cet hiver en soufflerie, à Milan, au siège de Castelli, fournisseur de Soudal. L’entraîneur d’Evenepoel a raconté en détail à La DH cette séance cruciale de plusieurs heures : « La différence de 12 secondes entre Remco et Filippo Ganna lors du dernier Mondial (sur 47,8 km) a pu se jouer juste par la qualité des vêtements… »

Il portait hier lors des a reconnaissance la combinaison arc-enciel de champion du monde du chrono, avant-bras nus. Mais les règles de l’organisation l’ont contraint à porter pour l’étape celle du maillot blanc de meilleur jeune (comme Pogacar a porté sa version jaune), fournie par un autre fabricant, Santini. Si cette règle apparait parfois absurde aux équipes, vu les sommes investies pour gagner chaque watt décisif, elles estiment les améliorations importantes, chaque combinaison étant recousue et adaptée sur le corps du coureur avant la course.

Il connaissait le moindre mètre du parcours par coeur

Qui se promenait hier dans les vignes de Chambolle-Musigny a peut-être croisé le champion du monde sous son casque en reconnaissance studieuse de 25 kilomètres du parcours. Et quand il dit avoir adoré chaque mètre de ce chrono, on le croit, il les connaît tous personnellement. Entre Noël et le Nouvel An, il arpentait déjà le comté et, une semaine avant le Tour, il a été repéré à nouveau sur ces routes départementales. Elles ne présentaient pas de difficultés techniques majeures, mais tantôt ouvertes aux vents, tantôt zigzaguant dans les bourgs, il fallait savoir sur quelle portion garder les mains sur les prolongateurs, ou les mettre aux freins, quand descendre la chaîne sur tel pignon, quelle trajectoire choisir.

Enfin, pour rouler vite sur un vélo de chrono, il faut monter dessus souvent, pour dompter cette position. Remco attribue son aisance en partie à son corps d’ancien footballeur, mis dès ses 16 ans en salle de musculation. Mais il s’astreint aussi à deux séances hebdomadaires, avec des plans spécifiques. Depuis quelques jours, c’est même sur sa machine de contre-la-montre qu’il effectuait ses décrassages.

Une partie de la famille Evenepoel était à ses côtés, hier, avant son départ. Oumi, sa femme, dès la reco matinale, et ses parents Patrick et Agna. Une loi de la carrière de Remco établit que, à nouveau validée hier, s’ils les convoquent, c’est qu’il va gagner. Ils sont les principaux responsables du talent de leur fils. Dans la hiérarchie de la performance, les gènes trônant bien au-dessus de toutes les études, de toutes les souffleries et de toutes les séances chez les jeunes au RSC Anderlecht.

Le champion du monde peut-il gagner l’étape Monaco-Nice ? Pour l’heure, tout est en ordre. Et pour la météo, pas la peine de brasser des tas de données, le prince lui a dit qu’il ferait aussi beau qu’en Bourgogne.