Evenepoel, un chrono millésimé


Favori, le Belge a remporté le contre-la-montre hier et la bataille des « Quatre Fantastiques », qui se sont tenus en 37 secondes et dans laquelle Tadej Pogacar, deuxième, a encore chipé du temps à Jonas Vingegaard.

EVENEPOEL PREND SA PART

L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL - ALEXANDRE ROOS

À ce rythme, on se demande si la journée de repos lundi ne va pas elle non plus être passionnante, si les quatre fadas ne pourraient pas se retrouver autour d’une partie de boules ou de dominos. Hier, armée de libellules lâchées sur les vignobles des grands crus de bourgogne, ils ont maintenu autant de suspense sur le contre-lamontre que dans une étape de montagne et c’est un premier exploit, dans la mesure où cet exercice-là n’est pas toujours celui qui cloue les foules dans leur canapé.

Les quatre ont fini aux quatre premières places, éjectant les purs rouleurs comme Victor Campenaerts (5e) ou Stefan Küng (10e), qui a perdu du temps avec le déraillement de sa chaîne, et se sont tenus dans un écart étroit, 37 secondes, qui pourrait être la promesse de belles batailles lors des deux prochaines semaines si, derrière le duel Pogacar-Vingegaard, Roglic et Evenepoel ne sont finalement pas si loin.

Comme pressenti, ce dernier – le plus fin spécialiste du quatuor – est sorti vainqueur du contre-la-montre, avec sa position aérodynamique parfaite, compacte, profilée pour pénétrer dans l’air comme une balle de revolver. Sur un parcours plat pour l’essentiel, où il a pu se caler sur sa selle et envoyer les watts, et ce n’est pas un hasard si la seule portion où il perdit un peu de temps sur Tadej Pogacar fut la plus technique du tracé, qui comportait la descente de la côte de Curley.

Même s’il s’est fait une frayeur à 2,5 km de l’arrivée alors qu’il pensait avoir crevé, ce qui le ralentit un temps, le champion du monde du chrono a été fidèle à son rendez-vous en ce début de Tour, pour remporter sa première étape dans la

Grande Boucle. Il devra attendre encore un peu pour connaître son premier maillot jaune, qui le narguait à 45 secondes, mais c’était finalement un monde face à Pogacar, à qui il ne parvint à grignoter que 12 secondes à l’arrivée.

Sa deuxième place confortée au général

Le Belge a tout de même pu conforter sa deuxième place sur le podium du général et va désormais passer un test de résistance sur d’autres terrains, notamment en haute montagne. Le tableau général de ce contre-la-montre n’a rien tourneboulé, au contraire, il a plutôt confirmé la hiérarchie observée depuis le départ de Florence, que ce soit dans la côte de San Luca à Bologne ou dans le Galibier. Avec quelques mouvements marginaux qu’il faudra surveiller pour voir s’ils deviennent des tendances lourdes.

Si l’on en juge par sa fin de parcours, Primoz Roglic (3e), un poil juste jusque-là, est en train de monter en puissance. Les avant-bras très hauts sur les prolongateurs dans une allure de tyrannosaure, le Slovène a terminé plus fort que Jonas Vingegaard (4e), qu’il a battu de trois secondes. Au général, il a doublé Juan Ayuso (15e de l’étape) pour reprendre sa place de quatrième Fantastique et on ne peut écarter un coureur avec tant d’expérience, un tel mental de cocotte en fonte, surtout qu’il est en mission sur le Tour de France, le dernier grand objectif de sa carrière.

Son ex-équipier Jonas Vingegaard, avec ses jambes de porcelaine, a lui renvoyé le même sentiment que mardi dans les Alpes, à savoir qu’il lui en manque encore un peu pour faire le match avec Tadej Pogacar, sans que ce soit rédhibitoire. Le tout reste de savoir s’il aura une marge de progression dans les deux semaines à venir, sinon la messe sera dite.

Car au-delà du bonheur éphémère de Remco Evenepoel, le bilan hier soir dans l’optique du général donnait plutôt Pogacar encore vainqueur de la journée. Petit Mario tout jaune et remuant qui envoyait son kart déraper dans les virages, le Slovène pensait peut-être creuser davantage mais il a encore grignoté 25 secondes sur son rival, pour un total d’une minute quinze au général, et a confirmé que pour l’instant, il avait la main.

Le bonheur de Bernard, Vauquelin qui épate

On peut s’attendre à ce qu’il remette la pression très vite, demain sur les chemins blancs (une étape qui débutera et se terminera à Troyes) par exemple. Dans tout ça, on en oublierait presque le reste du monde. Le bonheur simple de Julien Bernard, sur ses routes bourguignonnes, qui s’est arrêté dans le kop rassemblé pour lui pour embrasser sa compagne, dans un moment de chaleur et de communion, et les commissaires de l’Union cycliste internationale n’ont rien trouvé de mieux que de lui coller une amende pour « comportement déplacé (…) et dommages à l’image du sport » , alors qu’en l’espèce c’est leur ridicule qui abîme l’image du cyclisme.

Romain Grégoire a pris une belle 20e place, une forme qui lui ouvre des perspectives pour la fin du Tour, où il ira chasser dans les échappées, mais c’est surtout Kévin Vauquelin qui a épaté. Vainqueur de l’étape de Bologne, le Normand a cette fois pris la 6e place du contre-la-montre, une position d’un autre temps pour les coureurs français, qui souffrent tant dans l’exercice. Son horizon est plus ouvert que jamais, puisqu’il sait tout faire, mais avant de s’enflammer sur ses possibilités, il a très probablement déjà poinçonné son ticket pour les Jeux Olympiques.

***

Tom Dumoulin: « Il a le corps parfait »

Deuxième du Tour en 2018, champion du monde du contre-la-montre en 2017, l’ex-rouleur néerlandais de 33 ans admire le niveau de Remco Evenepoel.

Luc Herincx, à Gevrey-Chambertin (Côte-d’Or)



Tom Dumoulin au départ de la 2e étape du Tour à Cesenatico (Italie), dimanche.

- Le résultat du contre-lamontre a-t-il ressemblé à vos prédictions?

Oui, je m’attendais à ce que Remco ( Evenepoel) s’impose sans prendre le maillot jaune. Autrement, cela aurait été un exploit énorme. La distance était trop courte, il lui aurait fallu 50 km environ, mais un chrono aussi long en première semaine aurait été une mauvaise chose pour le Tour. Là, j’ai vraiment apprécié ce que j’ai vu, c’est une victoire magnifique.

- Pourquoi Evenepoel est-il si fort dans cet exercice?

Il a le corps parfait pour avoir un aérodynamisme extraordinaire combiné à une puissance énorme. D’ailleurs, il avait un plateau de 62 dents, c’est vraiment un énorme braquet… En plus de ça, c’est un coureur très intelligent, impliqué dans le choix du matériel, la reconnaissance des parcours. Pour jouer la victoire finale sur le Tour, Pogacar et Vingegaard sont de meilleurs grimpeurs pour l’instant mais on ne sait pas ce qu’il en sera dans quatre ou cinq ans. Evenepoel a déjà gagné la Vuelta, le voilà 2e du Tour, on va voir s’il est encore capable de progresser en montagne.

- Remco (Evenepoel) a été de loin le meilleur sur toutes les parties assez roulantes ce le meilleur rouleur de l’histoire?

C’est bien possible. De toute façon, avec tous les progrès et innovations dans ce domaine, qui datent surtout de ces dix dernières années, il n’y a pas besoin de regarder loin en arrière.

- Comment analysez-vous son chrono en comparaison de celui de Pogacar?

Remco a été de loin le meilleur sur toutes les parties assez droites, roulantes, où le facteur de l’aérodynamisme a été à son avantage. Il a aussi pris du temps dans la montée car Pogacar a sûrement pris un rythme trop élevé au tout début.

Mais le Slovène lui a repris beaucoup de temps dans les descentes et les virages, parce que c’est un grand compétiteur, qui adore aller vite dans ces portions-là. En plus il a progressé en descente depuis deux ans et il est forcément plus en confiance qu’Evenepoel ( qui est tombé au Tour du Pays Basque en avril). Cette prise de risque était nécessaire, c’est un artiste.

- Et qu’avez-vous pensé du chrono de Vingegaard?

C’est déjà un miracle qu’il soit là, donc j’ai été agréablement surpris, mais c’est une surprise mesurée, parce que je sais que c’est un coureur qui n’a pas besoin énormément d’entraînement pour être prêt. Il l’a prouvé. Et son équipe (Visma-Lease a bike) est vraiment motrice dans le domaine de la performance et de la nutrition, donc tous leurs coureurs en bénéficient. Les autres équipes essaient seulement de suivre le mouvement. Mais le niveau de Vingegaard n’en reste pas moins incroyable. »

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