Les carénages en question

Utilisé sur le contre-la-montre de GevreyChambertin, le carénage thoracique peut, selon une étude, procurer un avantage aérodynamique significatif. Il est interdit, mais les équipes l’utilisent pour y placer une radio, invoquant la sécurité.

“Vous allez voir que tous les spécialistes 

du chrono porteront un carénage (aujourd’hui)''

   - MATHIEU HEIJBOER, 

     DIRECTEUR DE LA PERFORMANCE CHEZ VISMA-LEASE A BIKE

5 Jul 2024 - L'Équipe

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL PIERRE CALLEWAERT

DIJON – Bert Blocken est un professeur en génie mécanique à la Heriot- Watt U ni versity,àÉdi mbourg( Écosse ), et àlaKULeuv en, en Belgique. Expert en génie mécanique, professeur en physique du bâtiment, il adore le cyclisme qui le lui rend bien: il est de ceux qui ont mesuré en soufflerie et modélisé en numérique l’art de rouler contre l’air. Ses travaux, reconnus, publiés, ont révolutionné la science de performance. C’est lui qui, dans la soufflerie de l’université d’Eindhoven, disposait d’un Primoz Roglic et d’un Wout van Aert en plastique pour les soumettre à tous les courants d’air.

Parfois, un truc l’intrigue à la télé. Alors il retourne en soufflerie avec ses collègues, convoque son complice Thierry Marchal, de chez Ansys, société spécialiste de la simulation numérique, pour calculer s’il a raison d’être intrigué. Exemple : l’an dernier, il a mesuré le gain aérodynamique significatif pour un coureur de rouler devant une voiture chargée de vélos sur la galerie. Ses précédents travaux avaient déjà convain cul’ U CI de modifier la règle de la distance minimale séparant le coureur d’une voiture lors d’un chrono : de 10 mètres, elle est passée à 25 mètres.

L’an dernier, c’est à la demande d’un journaliste américain de triathlon qu’il s’est mis au boulot, sur son temps libre, sur l’utilisation de «chest fairings», les carénages thoraciques que les triathlètes glissent sous leur maillot au niveau du sternum. Empiriquement ils savent que même un simple bidon placé à cet endroit les aide à lutter contre l’air. Les spécialistes du Tour de France n’ont pas tardé à les imiter, dès Fränk Schleck lors du chrono du Critérium international en 2011. Jonas Vingegaard portait un tel dispositif l’an dernier sur le Tour lors du contre-la-montre de Combloux en 2023, Remco Evenepoel aussi quand il est devenu champion du monde à Glasgow. «Pour une discipline où des dixièmes de secondes sont décisifs, l’utilisation d’ un carénage de poitrine, même très petit, peut décider du résultat d’une course », pointent Bert Blocken et le docteur Fabio Malizia, auteurs de cette étude (*), la première qui mesure l’ avantage de ce procédé.

Elle a été réalisée à l’aide de simulations de dynamique des fluides numériques validées par deux séries d’essais en soufflerie. Pour référence, un coureur sans carénage de poitrine a été comparé à sept coureurs équipés de carénages de tailles variées, à une vitesse simulée de 46,8km/h. «La vitesse supérieure moyenne des meilleurs coureurs de contre-la-montre du Tour sur des étapes plates, en excluant le vent» précise Blocken. Pour la lisibilité ce matin, il a ramené ses calculs aux 25,3 km qui séparent Nuits-Saint-Georges de Gevrey Chambertin.

Résultat: pour le carénage le plus avantageux étudié (CF4 sur les illustrations ci-dessous), le gain de temps sera d’au moins 0,78 sec par km pour des vitesses jusqu’à 15m/s. Soit au minimum 19,5 secondes sur cette septième étape. Pour des carénages moins volumineux, ce temps peut tout de même rester à un minimum de 2,9 secondes.

Si l’on s’en tient àl’ article 1.3.033 des règlements de l’UCI, ce carénage est tout simplement interdit: «Les équipements vestimentaires ne doivent pas modifier la morphologie du coureur et tout élément ou dispositif non essentiel, dont la finalité ne serait pas exclusivement celle d’un élément de protection, est interdit.» Mais les équipes qui l’utiliseront cet aprèsmidi ont détourné la règle - sans trop se cacher - en invoquant la nécessité pour un coureur de porter une radio. Mathieu Heijboer, directeur de la performance chez Visma-Lease a bike, est transparent: «La radio est essentielle. Et même si nous sommes bien conscients de l’avantage aérodynamique du carénage thoracique, c’est aussi pour des raisons de sécurité qu’on la place là.»

Les médecins du Tour ont déjà indiqué que les radios placées sur le dos occasionnaient des lésions sérieuses en cas de chute. « Or, poursuit Heijboer, aucune règle ne nous force à poser la radio sur le dos.» Alors, qu’en est-il de l’application de la règle ? C’est selon. «Ce qui est interdit, c’est de rendre les radios plus volumineuses, par exemple en les entourant de bande adhésive. On doit s’assurer que les commissaires acceptent nos radios. Mais c’est variable: sur le dernier Tour du Pays Basque, tout à coup, ils l’ont interdit.»

Pas de scandale en vue, donc. « Les commissaires vont vérifier la radio et c’est normal. Mais vous allez voir que tous les spécialistes du chrono porteront un carénage ( demain), » prédit Heijboer. Et il annonce aussi que ces boîtes de plastique glissées sous le maillot seront aussi utilisées prochainement sur les étapes en ligne.