Le grand jour de Vauquelin
Vauquelin a toujours la cote
22 Jun 2025 - L'Équipe
LUC HERINCX
Le Normand peut devenir aujourd’hui le premier Français à remporter une course par étapes World Tour depuis Christophe Moreau sur le Critérium du Dauphiné en 2007. Pour cela, il va devoir laisser définitivement ses doutes de côté et tenir tête à Joao Almeida
Même s’il est spécialiste du chrono, le Normand n’est pas favori sur le contre-la-montre en côte, face au Portugais.
"Il a mis la barre plus haut sur plein de points,
la préparation physique, la nutrition, les stages"
- KÉVIN RINALDI, ENTRAÎNEUR
DE KÉVIN VAUQUELIN
C’est l’image d’un leader chevronné, routinier des bonnes pratiques d’un Maillot Jaune. Ces derniers soirs, sous la tente protocolaire, on a vu Kévin Vauquelin en récupération active, accoudé sur les prolongateurs de son vélo de contre-la-montre. Un sens de l’anticipation à l’approche de l’épreuve décisive pour la victoire finale du Tour de Suisse aujourd’hui ? Rien à voir, le leader d’Arkéa-B & B Hotels se préparait déjà pour le Championnat de France aux Herbiers (Vendée), jeudi prochain. Sans l’heureuse échappée du premier jour qui a permis d’ajouter son nom à la liste des prétendants à la victoire finale, cette semaine suisse n’aurait d’ailleurs dû servir qu’à cela: affiner sa condition physique pour les échéances à venir.Kévin Vauquelin avec le maillot jaune, hier, sur le Tour de Suisse.
En fait, gravir aujourd’hui les 10,1 km de montée sèche (830 m de dénivelé) entre Beckenried et Stockhütte avec un vélo de chrono serait impertinent, tout le monde aura sa monture classique. Et c’est là tout le problème: le vice-champion de France de l’exercice, puissant en position assise même dans les portions raides, ne sera pas favori sur ce terrain de pur grimpeur.
Pour remporter le classement général de l’Étoile de Bessèges en février, Vauquelin (24 ans) s’était adjugé le chrono final de 10 km avec une moyenne de 42 km/h. La vitesse sera réduite par deux dans la montée vers la station de Stockhütte.
« Donc l’aspect aérodynamique sera négligeable, explique Kévin Rinaldi, son entraîneur. Il n’y aura pas d’écart significatif avec ceux qui sont plus en danseuse comme Oscar Onley ou Felix Gall (4e et 5e du général). À Bessèges, il y avait une partie de plat qui préfatigue les organismes où Kévin avait gagné un peu de temps, puis la montée était vraiment courte, le genre d’effort où il excelle mondialement. Il ne pourra pas être sur le même niveau d’intensité sur ces 10 km. Ce n’est pas la même gestion du tout. Sur ce chrono final, il va falloir être le plus régulier et lisser son effort sur la montée » . Les qualités exactes de Joao Almeida (UAE-XRG), son principal rival, 2e du général à 33’’.
« On l’a vu, Almeida et trois ou quatre coureurs sont meilleurs que Kévin en montagne. Il va perdre du temps, c’est sûr, anticipe Rinaldi.
On va avoir une stratégie totalement indépendante des adversaires. » À partir des données agrégées sur Vauquelin, son entraîneur élaborera un plan avec des valeurs de puissance à respecter à quelques watts près.
Le chrono d’il y a un an sur le Tour de Suisse est une des références. Sur une distance plus longue (15,7 km) mais une première partie plate, le Normand (19e) avait perdu 2’07’’ sur le vainqueur… Almeida. Soit 8 secondes au kilomètre qui, rapportées à l’épreuve d’aujourd’hui, creuseraient un écart fâcheux de 1’21’’ avec le Portugais. « Le fait d’avoir travaillé différemment et qu’aujourd’hui, il est un peu mieux en montagne et sur les bosses d’une vingtaine de minutes, ça va lui servir », espère Rinaldi. La semaine suisse de Vauquelin version 2024 avait d’ailleurs été poussive. Il avait retrouvé progressivement de la force pour atteindre son pic au début du Tour de France et remporter la deuxième étape à Bologne (Italie).
Cette année, il est déjà plus frais plus tôt, plus régulier aussi, car il n’a pas été malade ou blessé depuis l’hiver. « Et il a mis la barre plus haut sur plein de points, la préparation physique, la nutrition, les stages, complète son coach. C’est son travail sur le temps long qui paie. Il ne vient pas de la route (mais de la piste), donc tout ça arrive sur le tard, on le voit encore continuer à se construire. » La saison dernière, Almeida et Vauquelin s’étaient affrontés sur un autre contre-la-montre comparable. Lors de l’ultime étape du Tour de France entre Monaco et Nice, en arrêtant les temps au premier intermédiaire à La Turbie pour avoir un profil analogue (11,2 km de montée), Vauquelin avait perdu 22’’ soit deux par kilomètre.
Ce serait amplement suffisant pour conserver le maillot jaune aujourd’hui, même en cas de victoire d’étape d’Almeida puisque le chrono ne consacre pas de bonification. « 2’’ au km, je signe » , dit Rinaldi en souriant. Sauf qu’il faut prendre en compte les niveaux de fatigue au bout de trois semaines de course : chasseur d’étape, Vauquelin avait pu débrancher certains jours contrairement au Portugais.
La capacité du Normand à conserver le maillot jaune dépendra donc beaucoup de l’état de forme du lieutenant de Tadej Pogacar, à l’attaque quasiment toute cette semaine pour tenter de réparer son erreur du premier jour (le leader d’UAE avait laissé filer une échappée où Vauquelin lui avait pris quasiment trois minutes). « L’avantage, c’est que Kévin sait vraiment se faire mal sur le vélo sans avoir besoin d’un adversaire autour, ajoute Rinaldi. Il est très content de sa semaine, ça le motive beaucoup d’être à ce niveau-là, c’est très challengeant pour lui et toute l’équipe. Je ne m’emballe pas, mais on va faire le maximum… »
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Une maturité à confirmer
Ambitieux mais parfois tiraillé par le doute, le Français s’apprête à vivre une dernière étape particulière. Mais il semble avoir passé des caps pour performer.
YOHANN HAUTBOIS
Le corps en quasi-position foetale, la tête posée en arrière sur la barrière en bois, Kévin Vauquelin rembobinait déjà la fin de l’étape, hier, terminée à la troisième place derrière Joao Almeida et Oscar Onley. Sous l’oeil d e l a c a mé r a d e l a c h a î n e L’Équipe, le Normand se renfrognait d’avoir attaqué « trop tôt » , persuadé qu’il aurait pu « les fumer» au sprint, oubliant que son culot aurait pu payer et surprendre le coureur portugais. « C’est un jeune (24ans) sans filtre, il verbalise beaucoup quand il pense faire de la merde » , estime Yvon Caër, son ancien directeur sportif chez Arkéa-B & B Hotels.
«J’ai confiance en moi et en mes jambes » : parfois pris de doutes, Kévin Vauquelin s’avance aujourd’hui sûr de lui.
Le garçon est en effet déroutant, capable dans la même minute d’afficher une ambition folle, un tempérament de feu, puis dans la foulée de déclarer qu’il doit plus croire en lui, qu’il est passé par des moments compliqués en fin de saison dernière, d’assurer qu’il est déjà heureux de la tournure de ce Tour de Suisse où il venait moins pour triompher que pour préparer le Tour de France. Une fois la bête apprivoisée à défaut d’être domptée, son entourage sait comment appréhender son caractère sinusoïdal selon JeanPhilippe Yon qui fut son entraîneur au VC Rouen: «C’est un coureur plein de fraîcheur psychologique. Il fonctionne comme ça, il a besoin qu’on s’occupe de lui, il a besoin de douter pour qu’on le rassure et il va chercher ça chez les autres. Quand on l’écoute, il y a toujours un truc qui ne va pas, je l’appelais “Monsieur Bobologie” ».
(Rires). Se reconnaît-il dans ce portrait? «Malheureusement, oui (rires). Parfois, je réfléchis trop, je suis dans la comparaison avec les autres coureurs. Mais maintenant, je me dis, dans une bosse, que les autres aussi sont à fond.»
Hier, dans l’avant-dernière montée de la journée, quand cela ferraillait dur avec l’attaque de Felix Gall, on l’a vu se masser le bas du dos, prémices d’une éventuelle blessure après une semaine à charbonner, mais il n’en était rien à le voir suivre, au train,
Almeida, Onley et consorts. Au point de les attaquer, donc, au demi-kilomètre, avant de s’écrouler sur sa selle à 150 mètres et de concéder six secondes au leader d’UAE auquel il tentera de résister, aujourd’hui, dans un exercice dédié aux torturés du cerveau.
L’autre jour, l’ancien pistard le confiait lui-même, il faisait partie de cette confrérie des « chronomen » , un peu comme les gardiens de but au football, pas vraiment câblés comme tout le monde, un jour tout en haut, l’autre tout en bas. Encore que dans le cas du vainqueur de l’Étoile de Bessèges, qu’Yvon Caër n’a «jamais vu sombrer même quand on croit qu’il est en manque de confiance» , cette approche serait d’abord « une carapace pour se protéger » pour Jean-Philippe Yon. « Sous ses airs de douter, à l’intérieur, c’est un gagneur. Mais Kévin n’était pas un précoce en termes de maturité, même s’il va mieux.»
Déjà, chez Arkéa, on avait remarqué son évolution à l’intersaison, on le trouvait «moins foufou » et cette semaine encore, dans le leadership, il aurait passé un cap, plus sûr de ses attentes, plus précis dans ses demandes au collectif. Caër le croise encore souvent sur les courses et constate qu’il « a vachement mûri. Mais oui, au début, il a fallu le piloter. Je me souviens que pour son premier Tour de Lombardie (en 2022), il pensait faire top 10. On en a parlé, et le soir, il m’a dit : “C’est bon, j’ai compris”. Comme plein de personnes qui se découvrent, qui ne connaissent pas leurs limites, il balance dans l’excès de confiance et parfois l’inverse. Ce sont des tempéraments comme ça, plein de paradoxes.»
C’est aussi son essence, et ce matin, à l’aube de ce qui serait «un exploit» (Caër), il va se lancer dans ce chrono comme une bête, gonflé par «la confiance accumulée cette semaine. Trentetrois secondes, c’est mieux que dix ou vingt secondes. J’ai confiance en moi et en mes jambes. Avec l’aide de mes proches, de mon équipe, de mon mental, je vais m’arracher.»
Assis à ses côtés, Mickaël Leveau, son directeur sportif, glissait sûrement à dessein que «dans la tête, on a un cran d’avance sur Almeida. Il a douté, car il n’a pas lâché Kévin et il a été surpris du finish. Pas sûr qu’il dorme bien. Il peut être surpris, il n’est pas prêt (rires). » Vauquelin, si.
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Alaphilippe, toujours à fond
Au fil des jours, depuis la première étape où il s’était retrouvé devant, avec un joli matelas (4e avec 2’52’’ sur Joao Almeida), comme Romain Grégoire (1er) et Kévin Vauquelin (2e), Julian Alaphilippe s’est pris au jeu. Et sur cette épreuve helvète où il était venu peaufiner sa préparation en vue du Tour (du 5 au 27 juillet) et montrer le maillot de son équipe Tudor, le double champion du monde (2020 et 2021) a fini par jouer le général, au point de suivre les meilleurs hier, décrochant dans les derniers kilomètres puis de raccrocher le wagon pour terminer 5e de l’étape. La victoire d’Almeida et les dix secondes de bonications le font descendre d’une marche sur le podium du général (3e) mais pour Sylvain Blanquefort, son directeur sportif, « c’était une très bonne journée pour lui. On a pris nos responsabilités, il a donné le maximum car il est dans les cinq premiers de la course. Il veut plus mais quand on voit d’où il revient, cela faisait longtemps qu’on ne l’avait pas vu dans ces conditions. » Et il n’a pas prévu de réaliser le chrono d’aujourd’hui comme une séance d’entraînement: «On y va pour garder le podium (Alaphilippe a 38 secondes d’avance sur Onley, 4e), assure Blanquefort. Demain (aujourd’hui), c’est à fond.»
(Y. H.)
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